Si le génocide en cours à Gaza prolonge Auschwitz ce n’est pas au sens où les Juifs seraient coupables de faire aux Palestiniens ce qu’ils ont eux-mêmes, au mode opératoire près, subis à Auschwitz. Le rapport entre Auschwitz et Gaza n’est pas celui d’une « imitation ».
Posons cette question : comment se fait-il, et alors que le monde occidental s’est rendu coupable d’Auschwitz ce même monde – et certes il n’est pas homogène – se serait, sauf de la part de quelques exceptions significatives en l’espèce de mouvements politiques clairement néo-hitlériens, converti avec sincérité à un philosémitisme tellement généreux qu’il aurait pris la forme d’un soutien massif, notamment de la part américaine du monde occidental, au projet sioniste de constitution d’un Grand Israël ?
De nombreuses analyses existent qui mettent l’accent sur le caractère instrumental et intéressé de l’entreprise. Notons tout d’abord que si de nombreux jeunes soldats – et indirectement de nombreux civils – ont perdu la vie lors de la guerre qui s’est conclue par l’effondrement du IIIème Reich et la fermeture des camps de la mort, on ne voit guère d’occidentaux non juifs risquer leur vie en Israël. L’argument selon lequel cela tiendrait essentiellement à une revendication juive d’autonomie ainsi qu’à une volonté farouche de paraître souverain dans les nécessaires guerres de défense nationale, qui est celle aujourd’hui d’un Etat juif, ne peut en aucun cas, de manière magique, effacer le fait que cette autonomie, proclamée avec vigueur, n’est en réalité possible que dans le cadre d’une dépendance existentielle à la puissance de feu d’un certain nombre d’Etats, explicitement ou non, chrétiens.
Au reste, dans ce contexte, l’affirmation de l’autonomie israélienne sert aussi, de fait, à dissimuler l’origine chrétienne de la puissance de feu qu’Israël engage au service, est-il affirmé, de son existence même. Naturellement les islamistes l’ont bien vu qui parlent des « judéo-croisés ». En ce sens les attentats contre le World Trade Center ont parfaitement mis en scène ce qui est vécu comme ennemi civilisationnel par l’islamisme. Les Twins Towers c’était à la fois la synagogue et l’église.
Je précise que ce que j’essaie de faire c’est précisément d’entrevoir des voies qui ne s’inscrivent pas dans le « programme » des conflits de civilisation. Le seul camp qui est le mien, si c'est un camp, est celui d'un véritable universalisme.
Mais, précisément, ce n’est pas la « chrétienté globale » qui est impliquée dans le génocide en cours à Gaza. Le monde chrétien est profondément clivé sur cette question. Pour l’heure il y a à mieux comprendre de quelle manière une partie de la chrétienté fait la charité d’une puissance de feu à un Etat juif en tant qu’il a engagé un processus génocidaire.
Allons au fait : après Auschwitz parmi les populations juives épargnées ou survivantes nombreuses ont été les personnes pour lesquelles l’idée d’un Etat refuge capable d’autodéfense militaire ne pouvait que paraître particulièrement précieuse et attractive. C’est à cet endroit que se rencontrent une espérance légitime et un calcul de type impérialiste. Je résume ainsi la situation créée par le projet sioniste : ou les Juifs persistent à s’exposer aux plus extrêmes violence antisémites ou ils se rendent utiles en prenant eux-mêmes les risques inhérents à un combat fantasmé comme civilisationnel et opposant Islam et Judéochristianisme. Le monde chrétien feignait la charité pour instrumentaliser la « défense juive » au profit d’une stratégie de renforcement du rapport de force en faveur des appétits inséparablement symboliques et matériels d’un monde occidental assumé comme séparé et dominateur.
Le juif de ghetto ne méritait pas qu’on se batte explicitement pour lui et pour le sauver de la machine exterminatrice. A l’époque du IIIème Reich la menace bolchévique dicta sans doute au christianisme politique d’Etat l’agenda des victoires à remporter. La fermeture et la destruction des centre de mises à mort et des camps furent des bienfaits « par-dessus le marché » du plus important à savoir l’endiguement du déploiement de l’Armée Rouge soviétique. Ce furent les Soviétiques qui tirèrent les premiers bénéfices pour avoir « libéré » Auschwitz. La guerre froide existait déjà au sein même de la guerre chaude. Et elle s’est livrée avec des images. Le procès de Nuremberg, qui fut aussi un procès spectacle, se serait-il tenu si les soviétiques n’avaient pas fait savoir qu’ils avaient été les « libérateurs » d’Auschwitz?
Au sein de ce maelstrom des personnalités juives ont tenté d’agir pour le mieux. Certaines, qui avaient pris toutes leur place dans la résistance antinazie, ont été assassinées par Staline. Il n’était pas question que l’Internationale façon stalinienne comprenne explicitement, au côté de nombreux autres groupes, des membres juifs politiquement éminents.
Je reviens à Gaza. Sans Auschwitz le génocide en cours n’aurait pas lieu. Mais, comme je l’ai dit, il ne s’agit nullement d’un changement de rôle entre anciennes victimes et nouveaux bourreaux ; entre anciens bourreaux et nouvelles victimes. Ou plutôt le changement de rôles n’est qu’apparent car, ce qui importe le plus, c’est que cela n’est rendu possible que par l’immense « charité » du christianisme politique. Je parle ainsi d’une « ruse de la raison antisémite ».
L’antisémitisme se pare aujourd’hui de philosémitisme. Sa ruse a été, et encore, de faire passer comme étant une participation à l’existence de l’Etat refuge pour les juifs une instrumentalisation massive. Le bon juif aura été longtemps le juif mort. Le bon juif est aujourd’hui celui qui contribue à l’assassinat de milliers d’enfants Palestiniens tous assimilés à des graines de terroristes.
On pourrait donner une liste des « thèmes » qui définissent le « paysage » du soutien au génocide en cours à Gaza : attentat du Word Trade Center ; attentat de la rue des Rosiers ; attentat du Bataclan ; attentat de Nice ; attentat de l’école Ozar Hatorah à Toulouse ; l’assassinat de Samuel Paty et de Dominique Bernard … mais aussi les horreurs commises par l’Etat islamique ; celles commises, plus anciennes, par le FLN en Algérie… Ces « thèmes » constituent une sorte de bulle ou la foi de l’occident en sa propre innocence et légitimité rend aveugle à la dimension criminelle qui s’est très tôt déployée après le 7 octobre.
Après tout tous les enfants palestiniens morts n’étaient que de possibles criminels antisémites ou, plutôt, anti-judéo-chrétiens. Tout en étant totalement aveuglé quant aux causes qui rendent compte à la fois du désespoir et de la combattivité d’une population transformée en population réfugiée et à laquelle on fait jouer le rôle de « peuple nazi ».
Le sionisme tel qu’il est devenu, et selon une généalogie qui remonte au moins au sionisme révisionniste d’un Jabotinski, n’est qu’une récupération/instrumentalisation qui prolonge l’antisémitisme d’Auschwitz. Les survivants, et de nombreux épargnés, transformés en soldats judéo-chrétiens et islamophobes.
La « raison antisémite » est une pure folie. Elle se montre d’autant plus comme telle lorsqu’elle se déploie en une ruse aux accents philosémites.
Il ne s’agit nullement de disculper certains acteurs juifs comme, par exemple, Netanyahou, Smotrich ou Ben Gvir. Mais le génocide en cours n’est pas un « génocide juif ». C’est une sorte de croisade « judéo-chrétienne », certes génocidaire, mais où le juif est appelé à montrer qu’il est un bon soldat et non un juif de ghetto virtuellement génocidé. Comprenne qui pourra la puissance du chantage qui opère en sous-main.
Ou bien c’est Auschwitz bis en vous laissant sans arme face à l’islamisme ; ou bien vous devenez de glorieux soldats judéo-chrétiens.
Et où les Juifs montreront leur utilité en transcendant de cette manière leur nature parasitaire. Mais alors où est l’antisémitisme ? Et quelle est aujourd’hui son expression principale ?