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Chercheur en philosophie. Parmi les axes de recherche : les rapports entre la philosophie de Martin Heidegger et le national-socialisme.

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Billet de blog 2 septembre 2025

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Spinoza et l’étonnement

Pour Spinoza, rompant avec la tradition issue de Platon et d’Aristote, le philosophe n’est pas celui qui s’étonne mais celui qui, fort de l’expérience même de l’étonnement en tant que « pathologie », se tient constamment en éveil pour accueillir l’essence de choses singulières jusqu’ici inconnues.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est dans le Court traité de Dieu, de l’homme et de la santé de son âme, écrit en latin par Spinoza vers l’année 1660 qu’on trouve un concept d’étonnement. Celui-ci est envisagé comme passion (ou affect), plus exactement en tant que passion dont l’origine se trouve dans l’opinion. Le projet de Spinoza est en effet de déterminer les causes des passions et, ce faisant, de contribuer à la bonne santé de l’âme.

Il y va, en effet, comme d’une médecine de la vie mentale. Les passions  sont des « pathos », des « affections ». Elles déterminent ce qu’il en est d’une pathologie de la vie mentale. De même que, pour le corps, la médecine s’ efforce de trouver ce qui est à l’origine des maux ( car, alors, l’action sur la cause, quand elle s’avère possible, peut contribuer à la réduction de l’effet voire à sa suppression) la philosophie qui se nommera plus tard éthique, en trouvant la cause des passions affectant la vie mentale, serait à même de concourir à la « santé de l’âme ».

Le philosophe serait ainsi à l’âme ce que le médecin est au corps.

Mais, précisément, n’y a-t-il pas matière à s’étonner du fait que l’étonnement figure en première place des passions déterminées par Spinoza dans le Court traité ?

Le choix de Spinoza de commencer par l’analyse de l’étonnement est dicté par la manière même dont Spinoza hiérarchise les différentes espères de connaissance. Il est donc nécessaire de commencer par rappeler ce qu’il en est de cette hiérarchie.

Nous commencerons par rappeler la distinction que fait le philosophe, dans le chapitre qui précède celui où se trouve l’analyse de l’étonnement, entre opinion, croyance et connaissance vraie.

L’opinion est une connaissance incertaine. C’est le savoir que nous possédons à propos de certaines choses mais en tant que ce savoir est seulement constitué de suppositions et de conjectures. L’opinion est ainsi la forme de connaissance la moins « fiable ». Il faut noter qu’il est impossible de s’en passer totalement. Au temps de Spinoza les navigateurs étaient souvent en situation de tracer leur route en fonction de connaissances lacunaires et incertaines. La confection de cartes maritimes, comportant un dessin exact des côtes, contribua à réduire le rôle de « l’opinion ». De même du côté de la chose militaire le rôle de l’espionnage et du renseignement est appelé à réduire les risques résultant du fait que l’ennemi lui-même a tout intérêt à faire en sorte que, de  ses positions et de ses ressources et de ses plans, on n’en ait qu’une opinion la plus vague possible. Dans les deux cas on ne peut agir sans l’opinion. Mais cette dépendance elle-même fait apparaître combien de risques le caractère incertain de l’opinion fait courir à ceux qui ne peuvent pourtant pas s’en passer. Celui qui, dans la guerre, a une connaissance certaine de l’état de l’ennemi tandis que celui-ci est voué à ne pouvoir que prendre appui sur des opinions très incertaines a une bonne chance d’être vainqueur.

Ces deux derniers exemples montrent bien, par ailleurs, en quoi l’opinion est une connaissance quoiqu’incertaine. Elle est connaissance car elle constitue une représentation du réel sur laquelle nous réglons une part de nos actions. Elle peut s’avérer tantôt  fausse et  illusoire, tantôt partiellement exacte et même, dans certains cas, et comme par chance, tantôt presque complète de l’objet.

La croyance constitue le deuxième genre de connaissance. Elle est constituée tout d’abord par les « choses que nous saisissons seulement par la raison ». Je n’ai pas à croire que cet objet m’a brûlé parce qu’il était très chaud. Les «objets de croyance » sont effectivement des « objets de raison » dans le sens où la croyance est toujours croyance en des choses qui excèdent l’expérience sensible. Me brûlant en manipulant une poêle chaude je ne suis absolument pas en état de croire qu’elle était froide ou même coupante. Mais, à l’inverse, je peux être amené à croire que la terre est plate. Pour la refuser résolument il faudrait pouvoir songer au fait que, s’approchant d’un de ses bords, il me reste alors ou à tomber dans le vide ou à marcher la tête en bas de l’autre côté de la terre. Là où la vérification empirique est  impossible règne la croyance. Mais la croyance exige une autre propriété pour être pleinement croyance. Il faut en effet que les choses auxquelles on croit « ne (soient) pas vues par nous ». C’est une « conviction » qui s’est imposée à nous sans référence avec le domaine de la vérifiabilité empirique, conviction dont la devise est : « c’est ainsi et non autrement ». Soulignons qu’elle s’impose non pas en tant qu’évidence empirique  mais par « raisonnements ». C’est par raisonnement qu’on me fait croire que la terre est plate. En l’occurrence le raisonnement se développe sur la base de prémices et des principes erronés. Si la terre était une sphère comme se fait-il qu’à partir d’un certain moment on ne tombe pas dans le vide ? Par quel miracle, parvenu aux antipodes, on ne se retrouve pas la tête en bas ? Dans tous les cas on ignore ce qu’il en est de ce qu’on appelle le champ gravitationnel. L’ignorance de ce qui a jusqu’ici fait l’objet de vérification favorise l’extension du domaine de la croyance. 

On notera au passage que dans nos exemples d’opinion à savoir la navigation ancienne et la conduite de la guerre des croyances peuvent également jouer un rôle dans les décisions. Un général peut avoir à la fois des opinions et des croyances à propos de l’ennemi qu’il combat. Les opinions semblent se former davantage sous la pression immédiates des événements tandis que les croyances supposent déjà une certaine « tradition ». Leur rythme de formation est en ce sens différent.

Enfin par connaissance claire Spinoza entend une connaissance qui, ne résultant pas de raisonnements à l’instar de la croyance n’est pas une conviction mais s’acquiert au contraire par « sentiment et jouissance de la chose elle-même ».  C’est le  cas quand, par exemple, nous parvenons à nous représenter Dieu sans aucune référence à une image ou à un récit comme, par exemple, le récit de la création du monde par Dieu. Il est alors « substance », et substance « causa sui », cause de soi. La connaissance claire est la connaissance adéquate de l’essence de choses singulières. C’est de même en vertu de ce mode de connaissance que nous savons immédiatement que si deux lignes sont parallèles à une troisième alors elles sont parallèles entre elles. La démonstration en est par ailleurs facile à réaliser.

(Notons que dans le Traité de la réforme de l’entendement Spinoza distingue entre 4 modes de connaissance et non 3. Ces modes sont les suivant : perception par ouï-dire ; perception acquise par expérience vague ; perception « où l’essence d’une chose se conclut d’une autre chose ; perception où la chose est perçue « par sa seule essence ». Nous consacrerons une note à un exposé plus approfondi à cette théorie spinozienne des 4 modes de connaissance.)

Dans le Court Traité Spinoza soutient que l’étonnement est une passion de « celui qui connaît les choses par le premier mode » à savoir par l’opinion et dont le caractère principal est d’être incertain.

Mais pourquoi tout d’abord, et de quelle manière, envisager l’étonnement comme passion ? Que se passe-t-il, en effet, lorsque nous sommes étonnés ? Supposons par exemple que, dans un parc animalier, je vois pour la première fois un cygne noir. Ma surprise pourra être totale si, reconnaissant un cygne, je ne me souviens pas qu’on m’ait dit qu’il n’existait pas seulement des cygnes blancs mais aussi des cygnes noirs. Bref je m’étais persuadé, n’ayant été contredit alors ni par l’expérience ni par le discours, que les cygnes étaient blancs, que le cygne était blanc. La blancheur était  indument posée comme une marque générique du cygne. L’image du cygne était celle d’un oiseau au plumage blanc.

Décrivons ce qui se passe quand, percevant un cygne noir, je m’en étonne. On ne peut se satisfaire d’une simple relation duelle entre la personne qui perçoit et s’étonne et l’objet de la perception. On ne pourrait effectivement, dans ce cas, comprendre pourquoi un étonnement se produit. Spinoza fait ainsi intervenir un tiers à savoir l’opinion, cette connaissance dont la marque est d’être incertaine.

Il est possible de décrire le processus perceptif sous la forme d’une relation triangulaire entre un sujet, un savoir et un objet. Le sujet n’est pas tout son savoir car il est précisément l’instance qui perçoit et éventuellement s’étonne. Le savoir qu’il possédait jusqu’ici, à savoir l’opinion qui était encore la sienne et selon laquelle le cygne est blanc, ne perçoit ni ne s’étonne quoique fonctionnant comme un cadrage mental de la perception. Précisément l’objet « cygne noir » est identifié comme un cygne lors même que celui qui l’identifie était encore persuadé que les cygnes étaient blancs. Autrement dit le cygne noir, à l’instant de l’étonnement, satisfait en tout point à l’image morphologique du cygne possédé par le sujet percevant tout en contredisant la couleur jusqu’ici associée à cette image morphologique.

L’étonnement peut ainsi se décrire comme l’affect qui accompagne la perception d’un objet qui, à la fois, entre dans une case mentale d’identification tout en manifestant une qualité jusqu’ici exclue de l’identification. C’est un cygne mais, ô surprise, il est noir et non blanc. « Etonnant non ?! ». Il y avait bien avant la perception du cygne noir une connaissance à savoir que le cygne est un oiseau de telle forme et de couleur blanc. Mais cette connaissance par opinion s’avère bel et bien incertaine. La preuve en est que, précisément, je découvre qu’il existe aussi des cygnes noirs.

L’étonnement ainsi survient au sein d’une perception quand la connaissance incertaine, ou opinion, qui l’encadre et lui sert de référence interprétative révèle son caractère incertain.

Il s’agit bien par ailleurs d’une passion ou d’un affect humain. On pourrait se demander en effet si le monde animal connaît l’étonnement. Le fait que, chez les êtres humains, toute expérience est susceptible d’être verbalisée et transmise n’est sans doute pas pour rien dans la constitution de l’étonnement. Car, en effet, aux noms qui me permet de décrire une expérience sont associées des images. Lorsque ces images sont perturbées ce sont mes habitudes linguistiques qui sont remises en cause. L’étonnement semble ainsi indiquer la nécessité d’une révision de ces habitudes.

Par contre comment certains animaux ressentent les objets qui troublent leur expérience lors même que leur expérience n’est pas médiatisée par un langage conceptuel ? Ils peuvent avoir un réflexe de prudence ou même de fuite et ressentir quelque chose de proche de l’étonnement.

Mais ils n’ont jamais à s’expliquer verbalement sur ce qu’ils ont vu sinon à produire des signaux sonores d’avertissement.

Voyant un cygne noir un animal carnassier peut surtout privilégier le fait qu’il possède une odeur prometteuse. Pour autant que les animaux non humains vivent dans des mondes différents de celui des hommes n’excluons pas, par principe, la possibilité qu’ils éprouvent une forme d’étonnement ou un affect voisin de celui-ci.

Nous pouvons ainsi suivre Spinoza lorsque, analysant une passion qui se manifeste pour des attitudes témoignant d’une interrogation, laquelle a une effet de suspension de certaines conduites, il met en valeur le fait que l’étonnement est en lui-même une remise en cause de cette connaissance incertaine qu’est l’opinion. L’étonnement est ce que nous ressentons lorsque nos savoirs, appelés à rationaliser nos actions, se trouvent momentanément remis en cause par l’expérience. L’émergence d’un hiatus entre ce que l’on sait et ce que l’on fait  « fait étonnement » et favorise une attitude réflexive. Car il faut, semble-t-il, vite resserrer les liens entre savoir et faire. « J’ai bien noté qu’il existait des cygnes noirs ».

Ne perdons pas de vue que ce qui rend possible l’étonnement est que notre rapport courant aux choses est sous la dépendance de l’opinion. Comme celle-ci est par essence incertaine l’étonnement surgit quand, au sein de ce rapport, se fait précisément sentir l’incertitude qui s’attache aux représentations que j’ai des choses que j’expérimente. L’expérience même de l’étonnement est celle de la nécessité de réviser mon savoir là où l’incertitude révèle ce que mon savoir recèle à un moment donné d’ignorance.

Après ce long préambule nous allons reprendre contact avec le texte de Spinoza. Il nous faudra alors affiner certaines de nos analyses.

L’étonnement sera la première [passion] qui se trouve dans celui qui connaît les choses par le premier mode ; car, tirant de quelques observations particulières une conclusion qui est générale, il est comme frappé de stupeur, quand il voit quelque chose qui va contre cette conclusion tirée par lui.

L’étonnement a ainsi une place singulière dans le dispositif théorique de Spinoza. Le premier « niveau »  ou mode de connaissance, c’est-à-dire l’opinion, se caractérise par la généralisation de conclusions tirées de « quelques observations particulières ». C’est ce que nous faisons spontanément et communément. Les arbres de mon jardin perdent leurs feuilles en automne. Et un jour je découvre, outre le fait qu’il existe des arbres non feuillus toujours verts, dits résineux, comme les sapins, qu’il y a des chênes verts.

La manière avec laquelle nous conférons du sens aux mots que nous utilisons pour verbaliser l’expérience et la transmettre favorise cette pratique de l’induction. Et celle-ci introduit de la stabilité dans le rapport entre ce que nous faisons et le savoir convoqué par le faire. C’est cependant sur ce terrain que surgit la première des passions à savoir l’étonnement. Nos généralisations, qui sont multiples et commodes, s’exposent en effet à être démenties par de nouvelles observations jusqu’à alors inédites. La pratique de la généralisation s’expose ainsi  par principe au démenti. Et c’est précisément le démenti qu’enregistre le « vécu passionnel » de l’étonnement. L’homme de l’opinion a ainsi vocation à s’étonner. Ainsi l’étonnement ne peut que favoriser la révision de notre savoir et faire en sorte qu’il permette à nos actions une plus grande pertinence. Il m’est possible, par exemple, de planter un chêne vert dans mon jardin. Il y a des arbres feuillus à feuillage persistant.

Il est remarquable, par ailleurs, que Spinoza parle de stupeur. Être frappé de stupeur est la marque du fait d’endurer la passion d’étonnement. Et la stupeur, nous l’avons entrevu, suppose quelque interruption dans le cours de nos réflexions les plus passives et habituelles. L’esprit s’arrête momentanément pour reconsidérer ses généralisations et les réformer. Peut-on parler, au  sens où quelque chose se met en mouvement à l’occasion de l’étonnement, d’une émotion d’étonnement ? Et pour autant que le corps, dans l’action, est impliqué, cette émotion d’étonnement ne procède-t-elle pas d’une disjonction momentanée entre l’enchaînement de nos actions sur les choses et celui  de nos représentations de choses ? Être stupéfait signifierait ainsi aussi bien éprouver le hiatus que la nouvelle observation créé entre le savoir et le faire que de se mettre dans la disposition de le résorber. Désormais je saurai qu’il existe des arbres feuillus au feuillage persistant. Cela,  bien sûr, tout paysagiste le sait depuis ses premiers apprentissages.

Spinoza renforce son propos par deux exemples susceptibles de faire sourire. « C’est ainsi que quelqu’un, qui n’aurait jamais vu que des moutons à queue courte, a de l’étonnement au sujet des moutons marocains qui ont de longues queues ». La référence aux moutons marocains a notamment pour but, dans l’exemple, de souligner combien nos généralisations dépendent de l’étendue « mondaine » de notre expérience. L’exemple est ainsi un encouragement au voyage mais, aussi, au sens de l’observation quand, comme Spinoza, on peut résider dans des régions portuaires ouvertes sur le monde et son commerce. La dimension géographique du « pathos » d’étonnement est confirmée par le second exemple : « Ainsi l’on raconte d’un paysan qui s’était persuadé qu’il n’y avait pas de champs en dehors des siens qu’une vache étant venue à disparaître, il fut obligé de la chercher au loin et tomba dans un grand étonnement de ce qu’en dehors de ses propres champs il s’en trouva encore de si grande quantité ».

C’est un peu « l’histoire belge » du Court traité ! Mais, précisément, elle fait réfléchir. Un champ est une parcelle de nature délimitée par une clôture. Aussi étrange que cela puisse paraître on peut imaginer qu’un homme de la terre qui n’a jamais quitté son « coin de terre » puisse penser que ses champs sont une exception originale. Dans l’histoire c’est l’évasion d’une vache qui conduit le paysan à prendre connaissance que la pratique consistant à clôturer des espaces de pâturage est en réalité répandue. Il découvre ainsi que, s’il a lui-même inventé le procédé, d’autres que lui ont eu la même idée. L’étonnement enregistre la découverte aussi bien d’un état du monde jusqu’ici ignoré que le fait même qu’une même idée peut se répandre sans contact ni imitation.

Il n’y a pas que les sédentaires ignorants et les paysans qui sont ainsi sujets à l’étonnement. Les philosophes aussi y sont exposés. (Remarque : l’expression « sujets à l’étonnement » signifie « être prédisposé à être assujetti à la passion d’étonnement ; à en pâtir puisqu’aussi bien c’est un « pathos »).

Et certainement la même aventure arrive à beaucoup de Philosophes qui se sont persuadés qu’en dehors de ce petit champ ou de cette petite boule de terre sur laquelle ils sont, il n’en existait pas d’autres, parce qu’ils n’en considéraient pas d’autres. Mais jamais il n’y aura d’étonnement dans celui qui tire de vraies conclusions. Et telle est la première passion.

Beaucoup de philosophes semblent n’être guère plus éclairés que le paysan qui s’étonne de l’existence de champs ailleurs que là où il a fermage. Spinoza est ici audacieux et quelque peu irrévérencieux. Il a médité les découvertes de Kepler et de Newton.  L’univers est infini et au  sein de cet univers la Terre est un « petit champ », pour le moins une « petite boule ». Il n’y aurait par conséquent aucune objection à faire à l’idée que d’autres mondes sont possibles et donc qu’ailleurs, à des distances abyssales, existent d’autres « petites boules » sur lesquelles quelques philosophes méditent.

Pour Spinoza, rompant avec la tradition issue de Platon et d’Aristote, le philosophe n’est pas celui qui s’étonne mais celui qui, fort de l’expérience même de l’étonnement en tant que « pathologie », se tient constamment en éveil pour accueillir l’essence de choses singulières jusqu’ici inconnues. Il n’a pas à anticiper la manière dont elles pourraient se présenter à l’expérience. Mais il lui est possible d’en induire, à partir d’une connaissance adéquate de l’univers connu, le principe. Il semble donc que Spinoza ait entrevu en toute clarté que l’existence, ici et maintenant, d’une planète Terre et de son soleil, n’était qu’un cas d’une infinité de possibilités.

Si un philosophe spinoziste pouvait s’embarquer sur un astronef pour explorer l’espace il serait dans l’attente de nouveaux mondes dont la singularité, par conséquent, ne le plongerait pas dans la stupéfaction mais lui ouvrirait en grand les portes de nouvelles recherches. Il retrouverait ainsi le sens des intuitions d’un Giordano Bruno. Ce dernier périt brûlé vif en 1600 suite à une condamnation de l’Inquisition du fait que, notamment, il avait soutenu l’idée de la « pluralité des mondes ».

Spinoza connaissait-il cette déclaration de Giordano Bruno ? : « … Pour la même raison que notre espace existe, il devrait donc exister aussi chaque autre monde possible; et leur pouvoir d'être n'est pas actionné par l'être de notre monde, tout comme le pouvoir d'être d'Elpino n'est pas actionné par l'existence de Fracastoro. »

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