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Chercheur en philosophie. Parmi les axes de recherche : les rapports entre la philosophie de Martin Heidegger et le national-socialisme.

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Billet de blog 12 avril 2025

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De Gaulle en 1967 : quelle sorte d'antisémitisme?

On peut au reste observer que le langage de De Gaulle est calibré de manière à envoyer un signal à la Chrétienté. Il parle en effet d’un « capital considérable d’intérêt et même de sympathie ». La métaphore est économique et laisse entendre qu’il y aurait là comme un habile calcul.

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Soit cet extrait, dont certains passages sont bien connus, de la déclaration qu’a faite Charles de Gaulle lors de sa fameuse conférence de presse du 27 novembre 1967 :

« On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de Juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables, frictions et conflits. Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles » (Je souligne).


Notons que malgré la dispersion des Juifs ceux-ci, pour De Gaulle, étaient restés un peuple. L’être juif n’est alors pas réductible à une simple affiliation religieuse, affiliation qui serait parfaitement compatible avec le fait de faire partie d’un peuple politique national à majorité non juive. Cela est pourtant une position soutenue par des Juifs, par ceux qui, notamment, se sentaient par exemple d’abord et avant tout membre de la communauté nationale française. Leur judéité relevait alors d’une fidélité religieuse d’ordre privé, d’une spiritualité ou, plus simplement, d’une mémoire. Un Juif peut, athée ou croyant, occuper les plus hautes fonctions d’un Etat-Nation  dont la population est majoritairement chrétienne. Mais, avant tout, il se pense dans ce cas comme membre d’un peuple politique en tant que ce peuple procède d’un rassemblement dynamique d’une pluralité de personnes de multiples origines. Un peuple politique se constitue sur fond d’une mise entre parenthèses de certaines affiliations et appartenances. Celles-ci ont leur espace propre quoique non susceptible de se substituer à l’espace politique en ses institutions. 
C’est au reste une caractéristique de la modernité au sens large : les rassemblements politiques, se constituant nécessairement à une certaine échelle, exige qu’on mette de côté, sans théoriquement les annuler et pour constituer l’espace public correspondant, des marques dites « particulières ». 


L’affirmation gaullienne selon laquelle les Juifs étaient restés un peuple s’accorde malheureusement bien aux « inquiétudes » des antisémites parmi lesquelles la crainte d’un double jeu des juifs nationaux. Ils se disent français ou allemands mais sont avant tout des Juifs. Etrangement l’existence d’Israël permet à certains de redoubler de soupçons : « ils » roulent pour qui : la France ou Israël ?


Certes on peut utiliser le mot peuple de manière large. On parle par exemple du peuple chrétien. Mais on accordera que le concept de peuple politique fait référence à l’ensemble des lois que ses membres reconnaissent comme devant en priorité être respectées. 
L’observance du sabbat est possible pour une communauté donnée mais ne peut être une règle pour l’ensemble du peuple politique. Ces règles sont prioritaires. Il n’est pas inutile de réfléchir à tous les avantages que procure ce dispositif essentiel à la démocratie. Une personne dont l’histoire peut sembler totalement étrangère à une quelconque « souche » peut prétendre aux plus hautes fonctions dès lors que son ambition est d’incarner un « intérêt général » comme, par exemple, de pouvoir concourir à l’amélioration du système de santé ou à la défense du territoire. Le virus du sida n’est ni athée, ni juif, ni animiste, ni occidental, ni tiers-mondiste. 
Mais De Gaulle a donc estimé qu’il était pertinent de rappeler que les Juifs étaient restés un peuple. Et cela était d’autant plus approprié qu’il s’agissait pour lui de qualifier aussitôt ce peuple à savoir que, malgré la dispersion et leurs malheurs, ils étaient restés « un peuple d’élite, sur de lui-même et dominateur ». 


Beaucoup de Juifs, qui ont admiré le De Gaulle de la résistance et l’ont même reconnu comme chef, ont avec raison très mal pris cette affirmation. Car cela revenait clairement à désigner, en pleine période de décolonisation, les Juifs à la vindicte tiers-mondiste. 
Ce n’est pas le plus grand De Gaulle qui transparaît dans ses lignes. Mais pourquoi agir, quoiqu’avec beaucoup plus de brillant, à l’instar d’un J-Marie le Pen ?

Il est vrai qu’en 1967, alors qu’une sorte de néo-colonialisme à la française semble sévir en « françafrique », De Gaulle pouvait espérer tirer les dividendes de sa décision de reconnaitre l’indépendance algérienne. Moi, le grand homme de France, je me suis retiré de l’Algérie. Et ce sont les Juifs, des dominateurs, qui remettent le couvert au Moyen-Orient. N’était ce pas en faire le bouc émissaire de la diplomatie gaullienne ? 


Mais il y a plus et qui donne une allure particulière à l’antisémitisme très calculé de certaines déclarations de De Gaulle. Il évoque ainsi le fait que, notamment en réaction à l’horreur des persécutions nazies, « un capital considérable d’intérêt et même de sympathie, s’était accumulé en leur faveur – en faveur du peuple juif – surtout, il faut bien le dire, dans la Chrétienté… ».


De Gaulle, grand catholique devant l’Eternel, reconnaît semble-t-il à regret que la Chrétienté n’est pas pour rien dans la création d’Israël et du soutien dont cet Etat a bénéficier pour assoir son autorité territoriale, autorité par ailleurs expansionniste. 
Décoloniser l’Algérie, belle pièce diplomatique en direction du « Sud », aurait perdu de son sens au regard du soutien apporté à un Etat qui pratiquait un colonialisme expansionniste de peuplement. 


On peut au reste observer que le langage de De Gaulle est calibré de manière à envoyer un signal à la Chrétienté. Il parle en effet d’un « capital considérable d’intérêt et même de sympathie ». La métaphore est économique et laisse entendre qu’il y aurait là comme un habile calcul. 
Surtout, comme s’il fallait dissimuler le fait, De Gaulle ne mentionne nullement l’aide, politique et matérielle, que la Chrétienté a apporté au projet sioniste. Il préfère sans tenir, mais on comprend pourquoi, à l’origine non chrétienne, du « vaste concours en argent, en influence, en propagande, que les Israéliens recevaient des milieux juifs d’Amérique et d’Europe… ». 


Au fond De Gaulle laisse entendre que les Chrétiens se sont laissés prendre par la propagande sioniste. C’est méconnaître le rôle majeur joué par les « sionistes chrétiens » dans l’histoire d’Israël. Lord Balfour, l’auteur d’une déclaration en faveur de l’existence d’un foyer national juif en Palestine était lui-même un Chrétien fervent doublé d’un sioniste messianique. Le retour des Juifs en Palestine était conforme à la théologie chrétienne même si, de ce fait, ils avaient vocation à se convertir. A se convertir ou à périr…


En passant De gaulle prenait sa distance avec le christianisme américain surtout sous sa forme « évangélique ». Mais, comme on l’a vu, il s’est efforcé de diminuer les responsabilités chrétiennes et cela en chargeant la barque du côté juif. 


Ce qui manque, de manière générale, c’est une histoire fine du sionisme chrétien et de son rôle dans la création d’Israël. On peut en effet penser que sans cet appui chrétien jamais les Juifs, seuls, auraient pu créer un Etat moderne. Certes l’histoire est jalonnée de faits d’armes qui peuvent faire honneur aux Juifs israéliens. Il n’empêche que la création d’Israël semble être redevable à un « judéo-christianisme » et où la partie chrétienne a joué un rôle décisif. 


Et c’est précisément au nom du « judéo-christianisme » que Netanyahou entraîne son pays dans une impasse tragique. L’Etat israélien, sous direction  extrême droitière,  est un Etat génocidaire. Si les pilotes sont israéliens les bombes, conçues pour faire des ravages sur les populations, sont chrétiennes. 


Qu’en dirait aujourd’hui Charles De Gaulle ? 

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