Thierry Ardisson, dans le rapprochement qu’il a fait et a regretté jusqu’à la demande de pardon, a pour le moins oublié cette différence centrale : l’industrie criminelle d’Auschwitz s’est développée à l’écart, dans le secret, et selon des mises en scène qui trompèrent même de nombreuses victimes tandis que, pour le moins, « nous » savons que quelque chose se passe de terrible à Gaza. « Nous » pouvons même voir certains effets de bombardements et, de même, certaines images d’habitants affamés.
Cette différence est décisive pour comprendre ce qu’il en est de ceux qui, à l’extrême-droite du sionisme, ont planifié quelque chose qui permettrait la création d’un grand Israël c’est-à-dire d’ un « Etat juif » qui comprendrait, par annexion, la bande de Gaza et une Cisjordanie déjà disloquée par de nombreuses colonies.
Pour le moins, dans l’équation à résoudre, les Palestiniens étaient de trop.
Il s’agissait donc bien, des territoires à annexer, d’en effacer au moins une partie significative des habitants autochtones. Nécessairement l’hypothèse « génocide » était dans l’air même si, et la propagande actuelle joue sur cette indécision, le « départ volontaire » était un but moins risqué à atteindre.
Je formulerai cette première hypothèse : alors même que nous savons quelque chose des violences qui sévissent à Gaza par des images enregistrés par des gazaouis, et alors même que, du côté de la presse de reportage, c’est effectivement Nuit et brouillard, les images qu’ont les Gazaouis de la barbarie orchestrée par Tsahal contribueraient, au moins théoriquement, à ce qu’ils en arrivent à désirer partir.

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Les mots sont rugueux à prononcer mais l’idée est bien que ce qui se passe à Gaza constituerait une sorte de « mini génocide » de dissuasion. Et là, effectivement, il y a une différence fondamentale entre Auschwitz et Gaza. Le but des nazis a été d’exterminer la « racaille juive » non de la terroriser, même par un « mini génocide » - les pogroms relèvent peut-être de cette catégorie – et cela dans le but de la soumettre à une volonté d’éloignement. Certes il y eut des tractations concernant la possibilité d’un départ des juifs pour l’Afrique et, même, pour la Palestine mais, pour les nazis intégristes, le but était bien l’anéantissement total, sans reste, des juifs. Dans son testament Hitler se targue d’avoir aidé le monde entier par sa politique antisémite tout en léguant aux générations futures l’impératif d’achever le travail.
Mon hypothèse implique naturellement qu’on puisse parler de génocide sans que, pour autant, il s’agisse à l’évidence d’un anéantissement total de l’ »ennemi par essence ».
Dans un sens le gouvernement israélien actuel pourrait compter sur la dénonciation et la désapprobation mondiales pour ouvrir la possibilité d’un « départ volontaire » en direction de certains pays d’accueil.
C’est dans son intérêt de ne pas risquer une comparaison à l’identique avec Auschwitz et le IIIème Reich. Mais les acteurs qui ont le pouvoir aujourd’hui en Israël comptent parmi leurs armes celle du génocide.
Encore aujourd’hui certains esprits réputés même grands persistent à reproduire le récit du « bouclier humain ». Le Hamas, en se protégeant par immersion militante armée au sein de la population obligerait Tsahal à commettre d’inévitables crimes de guerre.
On voit bien que l’argument peut cependant s’inverser : la théorie du bouclier permet précisément de mettre un œuvre un « génocide partiel » de dissuasion. Il prend l’allure de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité alors que sa fonction est de pousser les gazaouis vers la sortie. (C’est où la sortie ?).
En détruisant dans la foulée habitations et équipements le but est précisément de provoquer un exil, une Nakba bis. Il n’est pas dans l’intérêt d’Israël qu’on puisse lui imputer le massacre de près de 2 millions de personnes. Mais il s’avère à mes yeux que ces destructions désespérantes s’accompagnent d’une sorte de génocide de terreur. Son échelle demeure « modeste » mais elle est extensible. Plus tard vous vous déciderez à demander refuge plus il y aura de morts ; plus le génocide prendra de l’ampleur.
A raison on souligne l’atrocité des violences qui frappent les enfants : morts, amputations, morts des parents etc. Les planificateurs ne peuvent qu’adorer la tactique du bouclier car il ne fait aucun doute qu’ils comptent, mais c’est classique, sur l’effet de terreur absolue que ne peut que produire, en « interne », le "spectacle" des enfants martyrs et sacrifiés. Là est le nœud génocidaire, ineffaçable, d’une entreprise de purification ethnique qui aimerait, en même temps, se dispenser d’avoir à rendre compte du massacre de plus de 2 millions de personnes.
De nombreuses études seront nécessaires pour comprendre ce qui se joue à Gaza. J’ai dit qu’Auschwitz a fonctionné dans le secret. Pour beaucoup d’Israéliens Gaza est de même invisible. Ils sont englués dans une idéologie « Nuit et brouillard ». Ailleurs ce qu’on voit de Gaza se réduit quasiment à l’aspect routinier d’une guerre qui n’est pas une guerre mais un génocide « à géométrie variable ». En interdisant la presse et après avoir tué, parfois intentionnellement, près de 200 journalistes les planificateurs ont limité drastiquement l’information. La téléphonie portable, on l’a vu, permet la sortie d’images indésirables. Mais cela est compensé semble-t-il par l’effet de terreur que ces images produisent en « interne ».
Quand certaines personnes disent qu’il n’y a pas de génocide à Gaza elles commettent l’erreur qui consiste à ne faire aucune différence entre résultat et processus. Les crimes déjà commis prennent place dans une logique génocidaire puisqu’aussi bien il est annoncé qu’ils devront « partir ou mourir ».
Pour le moins nous serions monstrueusement idiots à attendre qu’on puisse compter les morts pour déclarer le génocide.
Le processus actuel est génocidaire. On doit le dénoncer comme tel pour le stopper. Pour qu’il ne devienne pas aussi monstrueux que celui qui eut lieu à Auschwitz.
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