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Chercheur en philosophie. Parmi les axes de recherche : les rapports entre la philosophie de Martin Heidegger et le national-socialisme.

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Billet de blog 17 novembre 2024

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Lettre à G. Muhlmann à propos de son émission "Avec philosophie" sur le silence

J'expose à la réalisatrice et philosophe Géraldine Muhlmann les motifs pour lesquels, au cours de son émission du 13 novembre sur France Culture, j'ai été fondé à penser qu'elle a fait silence sur le génocide en cours à Gaza. La philosophie, sur France Culture, n'est pas même à l'écoute des historiens israéliens qui estiment qu'un génocide est bien en cours à Gaza.

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Je m’apprêtais à vous adresser un bref message pour vous faire part de  cette interrogation : « Que vous arriverait-il, professionnellement parlant, si vous preniez l’initiative d’interrompre 5 minutes le cours de vos émissions sur le silence pour dénoncer le génocide en cours à Gaza ? »

J’ai alors pris connaissance que votre émission du 13 novembre était largement consacrée aux silences qui ont accompagné la vie de personnes diversement concernées par les horreurs commises par les nazis. Mais, précisément, vous êtes sortie heureusement du cadre pour faire allusion au conflit du Moyen Orient. Vous sortez du silence-abstention pour contester, à propos des violences d’Amsterdam, le bien-fondé de la comparaison avec la « nuit de cristal » et vous mettez en cause nommément Netanyahou. Mais c’est, aussitôt, pour dénoncer l’accusation de génocide et la ramener à l’usage du « point Godwin ».  Pour ma part cette sortie hors d’un certain silence revient en réalité à faire silence sur les horreurs en cours. Faut-il en effet attendre qu’un génocide soit pleinement avéré, notamment en termes de nombres significatif de morts, pour être déclaré comme tel ? C’est tout le travail accompli par des historiens et des penseurs sur les processus génocidaires qui ne serviraient alors à rien. Et, certes, le mot génocide est aussi utilisé à des fins malveillantes. Mais l’incroyable paradoxe du moment que nous vivons est qu’on peut être poursuivi pour antisémitisme ou pour incitation au terrorisme à parler du génocide à Gaza lors même qu’après hésitation ce sont des historiens israéliens qui argumentent rigoureusement dans le sens d’un processus génocidaire à Gaza. Je pense notamment à Omer Bartov et Amos Goldberg. Malgré l’usage malveillant du terme ils ont décidé de ne pas faire silence sur leur conviction. Vous parlez par ailleurs du « tabassage des supporters  israéliens » alors que vous faites silence sur la réalité de leurs agissements et, notamment, sur le fait qu’ils ont entamé des chants génocidaires : « Plus d’école à Gaza… plus d’enfants à Gaza ». Et cela même à leur retour à l’aéroport de Tel Aviv. Ce faisant ils n’ont fait que s’accorder à la logique génocidaire : l’élimination des enfants du groupe « ennemi ». Voilà où nous en sommes.

Pour clore : que vous serait-il arrivé, professionnellement, si vous aviez invité des membres du mouvement de protestation appelé Breaking of silence ?  Il manque alors peut-être un épisode à votre série sur le silence : un épisode qui aurait été consacré à l’autocensure et à l’examen des diverses pressions que des professionnels des médias peuvent subir pour « faire silence sur… ». Mais peut-être assumez-vous pleinement le silence que vous avez fait ce 13 novembre. Beau sujet de méditation sur les usages de la « philosophie ». Ce n’est pas toujours une garantie de « lumière ».

Je joins comme point d’orgue cette citation d’Annette Becker, auteure de Messagers du désastre : « J’ai toujours été frappée par l’impossibilité qu’il y eut à appréhender l’extermination des Juifs entre 1941 et 1945, dans le temps où elle se déroulait. »

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