Bonnes pages (144 à 148) de Maya Kandel, "Une première histoire du trumpisme", Gallimard, 2025, 190 pages.
Où leur lecture rend parfaitement compréhensible le comportement de Donald Trump à l’égard de l’Ukraine, du Danemark (pour le Groenland), de l’Union européenne et du G7 entre autres...
Où leur lecture montre aussi qu’une même conception du politique existe entre ses partisans et Vladimir Poutine.
FS
Le national-conservatisme est un mouvement créé en 2019 par l’intellectuel israélo-américain Yoram Hazony, en association avec plusieurs centres de réflexion dont l’Institut Claremont.
Hazony a une formation en philosophie politique.
Conseiller de Benjamin Netanyahu au début des années 1990, il a créé un centre de réflexion et d’action politique à Jérusalem, financé en partie par des dons d’organisations évangéliques et de riches Américains.
A partir du début 2010, il intensifie les liens et les échanges avec le parti républicain.
L’objectif du mouvement NatCon est de rassembler la droite et de redéfinir l’armature intellectuelle du conservatisme et du parti républicain pour conserver les nouveaux électeurs amenés par Trump, et assurer de la sorte la pérennité du trumpisme en tant que stratégie de victoire électorale.
Le principal moteur du mouvement réside dans les conférences annuelles organisées d’abord aux Etats-Unis, puis également en Europe, à partir de 2019.
C’est lors de ces conférences qu’ont lieu l’échange d’idées dans des interventions plénières ou dans des ateliers plus restreints dédiés aux différents thèmes (éducation, justice, sécurité, politique étrangère, immigration, etc.), la mise en réseaux et les rencontres lors de déjeuners et dîners qui se tiennent lors des trois jours de conférences.
Les interventions sont ensuite diffusées sur le site de la fondation Edmund Burke, ainsi que dans les publications et sites de l’Institut Claremont. Elles sont relayées par un écosystème croissant de sympathisants en ligne et par le biais de newsletters dédiées.
En quelques années, le mouvement NatCon réussit à fédérer la quasi-totalité des organisations et intellectuels conservateurs en un mouvement politique de soutien au trumpisme, jusqu’à se confondre avec lui.
La nomination de Vance, qui clôture la dernière conférence nationale-conservatrice organisée par la fondation Burke à Washington du 8 au 10 juillet 2024, consacre son statut de figure de proue de cette nouvelle droite, et couronne le national-conservatisme comme nouveau coeur idéologique du parti républicain.
Après une interruption en 2020 en raison de la pandémie, les conférences NatCon annuelles de la fondation Burke ont repris en 2021 et 2022 en Floride.
Plusieurs déclinaisons européennes ont lieu à Rome, Bruxelles et Londres, expressions de la volonté d’emprunter à d’autres sources intellectuelles, mais aussi de créer des liens et des échanges entre mouvements populistes ascendants, afin d’amplifier les thèmes communs et de créer des réseaux.
L’objectif partagé est d’arriver au pouvoir.
Dès la première réunion, les Hongrois occupent une place de choix, et Viktor Orban est l’invité d’honneur de la première conférence en Europe.
Steve Bannon, qui a arpenté le vieux continent pour rassembler les partis d’extrême droite en 2018, est aussi un compagnon de route des NatCons, et devait ouvrir la conférence en 2024 (il n’a pas pu car il était en prison pour « mépris du Congrès », il en ressort quelques jours avant l’élection de novembre).
En 2019, Hazony avait publié un livre en forme de manifeste, Les Vertus du nationalisme, et créé la fondation Edmund Burke, puissance fédératrice du mouvement et organisatrice de ses conférences annuelles, dont la conférence inaugurale a lieu le 14 juillet, date symbolique au même titre que le choix de la figure tutélaire de Burke1 dont l’oeuvre la plus connue est sa critique de la Révolution française.
Prix du livre conservateur décerné lors de la conférence CPAC (Conservative Political Action Conference), la grand-messe annuelle des conservateurs américains, en mars 2019, son ouvrage est encensé dans la presse conservatrice et l’Institut Claremont en fait une promotion soutenue.
Pendant le premier mandat de Trump, Wess Mitchell, alors responsable Europe au département d’Etat, le recommande à ses interlocuteurs européens « pour comprendre la vision dominante à Washington » en matière de politique étrangère.
La thèse centrale du livre porte sur les effets bénéfiques du nationalisme comme principe politique organisateur des sociétés et de l’ordre international.
Le nationalisme permettrait de préserver la souveraineté et l’intégrité identitaire des nations ; par opposition à l’impérialisme et au globalisme des institutions internationales, lui seul serait en mesure de préserver la paix.
Ce raisonnement se fait au prix d’une réécriture de l’histoire, qui considère par exemple que le nazisme était un impérialisme et non un nationalisme2.
De même, Hazony décrit l’Union européenne comme un projet impérialiste dont le but est d’effacer les identités nationales européennes et d’instaurer une gouvernance bureaucratique globale, au mépris des peuples et de l’héritage de la civilisation occidentale.
La conclusion de l’ouvrage propose des « principes » pour un ordre international des Etats-nations, un retour à la realpolitik définie par les principes de non-interférence et de non-ingérence, le rejet catégorique de toute institution supranationale ou internationale, et une multipolarité consistant à accorder une « zone d’influence » à chaque grande puissance régionale.
Le livre est aussi une attaque contre le libéralisme politique : tout un chapitre est consacré à une critique méthodique d’un de ses textes fondamentaux, le Traité sur le gouvernement civil (1690) de John Locke.
Hazony rejette l’argument de la rationalité et du libre arbitre, fondement du consentement des gouvernés et inspiration de la Constitution américaine et de son « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Il rejette tout autant la séparation entre sphère privée et sphère publique, autre caractéristique des Etats modernes, dont la première version écrite est pourtant, là encore, la Constitution américaine (qui relègue la religion à la sphère individuelle et garantit par le Premier amendement la liberté religieuse).
D’un mot, Hazony propose de revenir aux anciennes fondations nationalistes et religieuses de l’ordre politique.
Le national-conservatisme entend fournir l’idéologie d’un parti républicain doublement révolutionné par la victoire de Trump.
Cette double dimension doit être soulignée.
En effet, la victoire de Trump a d’abord redéfini le socle électoral du parti républicain, avec l’apport de nouveaux électeurs : des gens qui ne votaient pas, séduits par Trump, et que les NatCons entendent conserver.
Il s’agit en particulier des Américains de classes populaires, en 2016 surtout des Blancs non diplômés, mais ce socle s’est élargi aux électeurs latinos et noirs non diplômés, on l’a vu.
La deuxième dimension est une révolution sur le plan des idées, puisque la présidence Trump conduit à un certain nombre de ruptures dans le positionnement du parti républicain, en premier lieu sur l’économie ou la politique étrangère.
1 Edmund Burke est qualifié de « chef de file de la réaction anglaise, et bientôt européenne à la Révolution » dans le Dictionnaire historique de la Révolution française d’Albert Soboul (1989).
Donner le nom de ce penseur à une fondation montre clairement que celle-ci a pour but de revenir sur tous les principes et les acquis de la Révolution française, comme Philippe Pétain voulut le faire en son temps avec sa Révolution nationale.
2 Rappelons que le nationalisme a été à l’origine des deux guerres mondiales qu’a connues le premier XXème siècle et que le nazisme, comme le fascisme italien, fut d’abord un ultranationalisme.
Rappelons aussi que l’ultranationalisme des nazis rendit "légitime" à leurs yeux le génocide des Juifs ; de même que l’ultranationalisme des Hutu rwandais rendit également "légitime" à ceux-ci celui des Tutsi...
Franck Schwab