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Chercheur en philosophie. Parmi les axes de recherche : les rapports entre la philosophie de Martin Heidegger et le national-socialisme.

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Billet de blog 21 novembre 2025

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Heidegger côté face ; Heidegger côté pile

80 après l'ouverture du procès de Nuremberg il ne s’agit nullement de censurer Heidegger. Il nous incombe cependant, si nous voulons que survive et vive la démocratie, de démonter le discours heideggérien et de souligner combien il est malheureusement aisé, en « philosophie », de n’être qu’un « idiot utile ».

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Heidegger demeure aujourd’hui la référence centrale de tous ceux qui se reconnaissent dans la haine de la modernité et des Lumières. Le spectre des heideggériens est nuancé car regroupant aussi bien des néonazis ultraradicaux que des « centristes de gauche » associant leur humanisme à une technophobie de bon aloi.

Mais cela même n’est possible que parce que le « maître » est lui-même un nazi d’une radicalité sans reste. Il n’a critiqué les « nationaux-socialistes » que parce que, au moins jusqu’en 1942, (date de cette conférence où, à Wannsee, fut décidée la mise en œuvre systématique de la solution finale à l’égard des Juifs), ils ne semblaient à ses yeux que vouloir reproduire l’état de fait existant. La critique que fit Heidegger du nazisme à partir de sa démission du rectorat était une critique à l’extrême-droite  des nazis !

Comment cela est-il possible alors même que Heidegger est enseigné en terminale et constitue encore une référence majeure de l’activité philosophique académique ?

C’est cela même sa grande réussite : d’être parvenu à associer à la vision du monde nazie, dans sa version la plus meurtrière, un ensemble de textes qui, et alors même que Heidegger a voulu en finir avec la « philosophie », permet de détacher une « pensée des hauteurs » des bas-fonds de l’ idéologie génocidaire nazie. Et c’est sur le fond cohérent puisqu’aussi bien Heidegger se pensait être en mesure de montrer que l’ « Allemand », à la différence du « Juif », était en mesure d’ouvrir un monde où la grandeur  - l’Aryen poète et penseur - ne faisait plus aucune concession à la petitesse – le Juif calculateur et cosmopolite.

Côté face, donc, Heidegger peut se lire avec une certaine candeur comme « grand penseur de l’Etre ». Il a lui-même construit cette identité. L’illusion qui s’attache le plus souvent à ce « détacher » est que cette pensée de l’Etre est un possible universel. Or rien n’est plus contraire au racisme ontologique heideggérien.

Côté pile, en revanche, nous rencontrons un Heidegger farouchement raciste et antisémite, préconisant l’extermination de masse et décidé à convertir l’Université à un hitlérisme académiquement respectable. Car, sur le fond, l’heideggérisme est un hitlérisme à visage académiquement respectable. C’est l’hitlérisme aménagé en vue de contaminer la sphère spirituelle et culturelle.

Or, comme dans n’importe quelle pièce de monnaie les deux côtés, le côté face et le côté pile, sont rigoureusement inséparables. Qui ne regarde que le côté face donne un coup de main au côté pile.

80 après l'ouverture du procès de Nuremberg il ne s’agit nullement de censurer Heidegger. Il nous incombe cependant, si nous voulons que survive et vive la démocratie, de démonter le discours heideggérien et de souligner combien il est malheureusement aisé, en « philosophie », de n’être qu’un « idiot utile ».

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