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Chercheur en philosophie. Parmi les axes de recherche : les rapports entre la philosophie de Martin Heidegger et le national-socialisme.

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Billet de blog 23 juin 2025

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Sur une grossière opération négationniste de Marc Weitzmann

Avec un aplomb qui laisse pantois M. Weitzmann met de son côté les travaux de Klemperer sur la langue du IIIème Reich pour dire que quelque chose de la déformation infligée par les nazis à des mots ou à des expressions courants se passe à propos du recours au mot de génocide pour qualifier ce qui se passe à Gaza.

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Mais qui est Marc Weitzmann ? Un philosophe raté ? Un joueur cynique ? Un trumpiste de salon ? Un suprémaciste enragé ?

Il vient de publier dans Libération une tribune à propos de l’emploi du mot génocide utilisé pour qualifier les « horreurs » de Gaza, horreurs qu’il reconnaît par ailleurs. L’opération est pitoyable mais plaît à ceux qui refuse de voir que l’extrême droite sioniste génocidaire est en train de détruire le futur d’une coexistence pacifique. Et cela en traitant comme il convient tous ces Palestiniens en tant qu’ils  sont des « en trop ». En plus de la colonisation l’Etat israélien devra être comptable d’un génocide ! On comprend l’obstination, parfois nourrie d’une sorte de candeur terrifiante, à nier le réel.

Ce serait sans doute à ses yeux une preuve de ringardise que de concevoir, à propos d’une question aussi grave, comme un séminaire organisé par la presse démocratique (Le Monde, Libération, L’Obs, Politis etc) où le collège qu’elle constitue de cette manière inviterait des personnalités reconnues dans le champ de l’histoire, de la pensée politique et de la presse d’opinion : Enzo Traverso, Amos Goldberg, Omer Bartov, Gidéon Levy, Menachem Klein, Colette Bessis, Omer Shatz, Pierre Stamboul, Michèle Sibony … Ils estiment tous qu’un processus génocidaire est en cours à Gaza. On pourrait donc compléter la liste par, sinon des polémistes ou des propagandistes, mais par des questionneurs exigeants.

Imaginons la publication commune d’une synthèse argumentée !

Mais l’objectif de Marc Weitzmann n’est pas d’établir un constat bien qualifié mais d’instiller un doute, ce que d’aucuns, les bonnes âmes, appelleront sans doute généreusement « distance critique ». Comment s’y prend-il ?

  • Il ne reprend pas, par prudence rhétorique, le discours officiel du bouclier humain et l’argument des messages envoyés à la population avant le départ des bombes ou l’arrivée des chars. Les horreurs de Gaza ont pour origine le fait que la population de Gaza est prise en étau. Lisons : « Rien ne devrait être plus évident que de dénoncer le monstrueux cauchemar des Gazaouis : celui d’être pris en tenaille, entre, d’un côté, un gouvernement israélien d’extrême droite qui se fout d’eux et rêve de leur disparition et, de l’autre, une organisation totalitaire, qui dit les représenter mais envisage de les sacrifier jusqu’au dernier à son profit politique et à celui de Téhéran »

Autrement dit s’il y a des morts, de nombreux morts, de nombreux enfants morts, ce n’est pas à mettre au compte de l’agressivité de la "puissance coloniale" mais du caractère tragique de la « tenaille ».

 Pourtant M. Weitzmann reconnaît que l’extrême droite israélienne n’a rien à faire des Palestiniens. Il pourrait alors se dégager de la fausse symétrie de la tenaille et interroger pourquoi Netanyahou et le Likoud ont jadis soutenu le Hamas contre le Fatah. Il s’agissait aussi bien de torpiller le projet de 2 états que diaboliser une population laissée dans les mains du Hamas et, notons-le, privée progressivement d’alternative. Le Hamas, notamment, a su très bien exploiter les contradictions du Fatah. C’était, à terme,  jouer pour les plus extrémistes des sionistes. Le suprémacisme israélien ne pouvait que se satisfaire d’une « hamassification » des Gazaouïs. C’était en faire en effet des candidats au génocide. L’idée très répandue que les Israéliens n’avaient personne avec qui discuter était en réalité celle d’une déshumanisation des Gazaouis. Dire « on ne peut pas discuter avec le Hamas », un Hamas qu’on a par ailleurs favorisé, revenait à priver les Palestiniens de la dignité humaine de la parole. Les « inhumains » du Hamas ont été habilement instrumentalisés pour déshumaniser toute une population. L’ombre du génocide planait depuis longtemps. Au moins depuis l’assassinat de Rabin.

Du point de vue de l’extrême-droite sioniste le 7 octobre valait comme permis de génocider. C’était un point d’aboutissement reposant sur la stratégie du refus de création d’un Etat palestinien. Ce refus était le refus d’une reconnaissance de l’humanité des Palestiniens. Sans état, supposés sans réelle identité historique, livrés intentionnellement à une bande antisémite, ils s’engouffraient dans une machinerie exterminatrice. Certains en avait l’intuition.

 Je l’ai déjà dit : le génocide en cours vient de loin.

  • Mais notre grand penseur ne s’arrête pas là. Avec un aplomb qui laisse pantois il met de son côté les travaux de Klemperer sur la langue du IIIème Reich pour dire que quelque chose de la déformation infligée par les nazis à des mots ou à des expressions courants se passe à propos du recours au mot de génocide pour qualifier ce qui se passe à Gaza. Il associe au reste le mot à la comparaison faite avec Auschwitz. Autrement dit tous les chercheurs, dont certains ont longuement travaillé sur la Shoah, ne font que s’exprimer selon les règles de la langue LTI telle que l’analyse Klemperer dès lors qu’ils utilisent le mot génocide. (LTI veut dire Lingua Tertii Imperii ou, en clair, Langue du Troisième Reich).

Ce n’est pas stupide mais abject et diffamatoire ! Tous les accusateurs de l’Etat israélien actuel pris dans les rets de la langue LTI ! Les « nazis » ne sont pas ceux qui sont au premier rang du génocide mais ceux qui les dénoncent et cela en articulant des intentions très claires et des faits massifs comme, par exemple, l’assassinat de milliers d’enfants-boucliers. Comme, par exemple, la destruction des organismes de santé et l’organisation de la famine. En ce moment même rien n’est plus dangereux pour les Palestiniens que de se rendre aux points de distributions de nourriture créés par les Israéliens. Ce sont des pièges où ils peuvent être abattus. Comme si, pour réaliser le génocide, l’extrême-droite sioniste avait choisi de le commettre à « petit feu » sous la couverture de la chasse au Hamas et de la libération des otages.

La lutte contre le terrorisme antisémite du Hamas fonctionne bon an mal an comme le paravent derrière lequel se réalisent un génocide et un nettoyage ethnique. Avec ses modes opératoires spécifiques et qui n’ont que peu de rapport, effectivement, avec ce qui s’est passé à Auschwitz. « Ce n’est pas Auschwitz, a dit un historien israélien, mais c’est un génocide ».

  • Enfin M. Weitzmann ne s’attaque pas frontalement, il évite ainsi pour le moins un peu de ridicule, ceux des chercheurs qui parlent « génocide ». Il a trouvé le coupable idéal : l’Afrique du Sud. Ce pays qui a su se libérer d’un apartheid qui, semble-t-il, n’a jamais beaucoup vraiment dérangé l’Etat israélien.

Il ne s’agit pas de donner quitus à des discours dés lors qu’on peut raisonnablement déceler de l’antisémitisme.

Mais ce « mauvais sujet » qu’est l’Afrique du Sud est un coupable idéal. Comme s’il avait commis, en abolissant l’apartheid, un crime impardonnable. M. Weitzmann est-il suprémaciste et, sous couvert d’une critique aux accents antitotalitaires de « gauche », et en rejetant dans un même mouvement la comparaison avec Auschwitz et l’accusation de génocide, se saisit de l’occasion pour créer une petite pièce de revanche à l’encontre de groupes qui, à un moment donné, ont su se délivrer de la « poigne blanche ».

 La honte ! Omer Bartov et Amos Goldberg dans la main des antisémites d’Afrique du Sud ! Et des « baratineurs » en langue LTI !

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