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Chercheur en philosophie. Parmi les axes de recherche : les rapports entre la philosophie de Martin Heidegger et le national-socialisme.

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Billet de blog 30 janvier 2025

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L'heideggérisme : un nazisme universitaire

Je qualifie en quelques phrases ce qui me semble pouvoir caractériser le projet de Heidegger. C'est l'hitlérisme "sublimé" et transmis autrement que par les logorrhées du nazisme standard. Heidegger a misé sur l'université. Et il a gagné son pari.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il ne s’agit pas ici de déployer de manière démonstrative un faisceau de preuves seulement de qualifier quel a été en réalité le projet de Heidegger, projet ô combien toujours actif.

Ce qui a motivé le ralliement de Heidegger, à l’origine catholique conservateur antisémite, à l’hitlérisme c’est précisément l’engagement de Hitler, qui lui apparut digne de confiance, de faire ce qui était nécessaire pour régler la « question juive ».

Heidegger a salué l’arrivée au pouvoir d’Hitler en adhérant au parti nazi. Et bien que quelques mois plus tard, dans la foulée de son rectorat à Fribourg, il fut profondément déçu par des « nationaux-socialistes » qu’il trouvait privé d’esprit de décision, il fut toujours hitlérien au sens où il lui tenait à cœur que le IIIème Reich soit celui de la solution finale. Des désaccords quant à la tactique et à la stratégie de Hitler lui-même n’ont jamais entamé chez Heidegger la certitude que le sort de la « vraie » Allemagne était suspendu à la réalisation de « l’anéantissement total » de «l’ennemi enté sur les racines intérieures du peuple ». (Heidegger).

Heidegger a surtout compris très tôt que le « Reich pour mille ans », mot d’ordre qu’il faut projeter au-delà des vicissitudes de l’histoire factuelle, réclamait autre chose que les logorrhées des philosophes nationaux-socialistes.

Pour assurer la « transmission » il fallait passer par l’institution universitaire, dispositif par ailleurs coutumier et prestigieux de la culture allemande. Il fallait donc à l’hitlérisme profond, en vue de sa pérennisation active, des « lettres de noblesse ».

Ces « lettres » devaient à la fois approfondir la croyance en la légitimation du judéocide tout en offrant le moins de prise possible, surtout après 1945, aux accusations précisément d’idéologie nazie. Heidegger oeuvra ainsi dans la différence qu’il instaura en ne reconnaissant pas au nazisme de pouvoir être une « philosophie » - bien que, par ailleurs, il constituait le mouvement nécessaire à l’essor de l’Allemagne – tandis que, au contraire, la philosophie pouvait et devait prendre en charge la question, métapolitiquement parlant, des fondements du national-socialisme.

On peut le dire de manière autrement plus imagée et concrète : après 1945 le nazisme n’aurait pu s’enseigner et surtout pas dans les formes adoptées par ces « philosophes nationaux-socialistes » que Heidegger exécrait et méprisait. Heidegger trouva les ressources pour façonner un nazisme au visage spirituel et poétique. Il a invisibilisé le nazisme tout en creusant métapolitiquement les motifs «spirituels » de sa légitimation et de la nécessité de sa répétition. Pour le dire encore de manière simple : Heidegger a su enseigner le nazisme tout en le dissimulant et en feignant même de le condamner.

C’est pourquoi je parle de l’heideggérisme comme d’un nazisme universitaire.

C’est un hitlérisme moins la grossièreté idéologique du verbe nazi standard.

Avec Heidegger on peut enseigner Hitler « par la bande », en diagonale. Il importe peu que peu de gens puissent décoder  l’heideggérisme. D’une part l’heideggérisme académique est utile pour dissimuler le « trésor » - l’hitlérisme « spirituel » ; d’autre part il suffit que quelques individus sachent comment faire fructifier le trésor. On se souvient que Steve Banon, le conseiller du premier Trump, avait déclaré que « Heidegger était son homme ».

Notons enfin, dans ce court billet, que le « nazisme universitaire » heideggérien n’est pas moins génocidaire que le « nazisme vulgaire ». Au contraire !

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