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Billet de blog 3 avril 2014

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transcendance et immanence

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transcendance et d'immanence de Dieu et ainsi du cosmos entier  c'est-à-dire de l’Un !

Sans le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam, et la foi Bahaie (quoique cette dernière aurait trouvé ses sources ailleurs), n’auraient sans doute jamais vu le jour. Il y aurait eu quand même des courants religieux issus des traditions antiques, chamaniques, animistes, asiatiques, etc. Certaines philosophies comportent en elle-même une dimension religieuse, telles le stoïcisme, l’hindouisme de Sankara, le néo platonicisme de Plotin, le spinoziste de Spinoza, la « religiosité cosmique » d’Albert Einstein.

La plupart des théologiens et des auteurs spirituels parlent de Dieu en termes à la fois de transcendance et d'immanence. La transcendance divine désigne la manière dont Dieu transcende ou dépasse l'univers. Son immanence désigne la manière dont il habite cet univers. Il arrive souvent cependant que la transcendance soit mal comprise, comme si elle voulait dire que d'une manière bien mystérieuse, Dieu vit dans un autre monde, un monde spirituel et invisible qui se situerait à l'extérieur de l'univers. Parallèlement, on se représente l'immanence de Dieu comme si elle voulait dire que Dieu est partout présent à l'intérieur de l'univers. Mais « à l'intérieur » et « à l'extérieur » sont des métaphores spatiales qui ne conviennent pas et peuvent même induire en erreur. Il n'y a rien en dehors de l'univers, parce qu'il n'existe pas d'espace en dehors du continuum espace-temps de l'univers. Et parce qu'il n'y a pas d'en-dehors, parler d'un en-dedans n'a pas beaucoup de sens non plus. Il en résulte des malentendus au sujet de la transcendance et de l'immanence de Dieu.

Bien que Dieu soit immanent au monde, plusieurs croyants ont été amenés à l'imaginer comme appartenant à un autre monde, un monde céleste, et donc très éloigné de la vie quotidienne. Mais comme nous l'avons vu, pour Jésus, Dieu était très proche, au milieu de nous. Jésus a certes désigné Dieu comme notre Père céleste, maiscela ne voulait pas dire que Dieu se trouve très loin dans un autre monde. Dieu est notre abba intime et aimant.

Tout comme Jésus, les prophètes et les mystiques n'ont pas commis l'erreur de situer Dieu dans un autre monde, un monde céleste. Quoi que l'un ou l'autre ait pu penser au sujet du ciel, pour eux Dieu était présent et agissant dans l'ici-maintenant. Ce qu'ils visaient, c'était l'union avec Dieu dans l'ici-maintenant de ce monde, quoi qu'il puisse leur arriver après la mort. « Le jour de mon éveil spirituel, confie la mystique béguine Mechtilde de Magdebourg (1210-1280), fut le jour où j'ai vu et su que je voyais toutes choses en Dieu et Dieu en toutes choses [1]. »

C'est un fait: plusieurs mystiques affirment si vigoureusement et catégoriquement que Dieu ne fait qu'un avec l'univers qu'on les accuse souvent de panthéisme [2]. Le panthéisme est la croyance selon laquelle Dieu est toute chose. En d'autres termes, il n'y aurait aucune différence ou distinction entre Dieu et l'univers. On estime toujours, à tort, que Maître Eckhart était panthéiste. Bien qu'il y ait toujours eu et qu'il y ait encore de nombreuses personnes panthéistes, cette conception ne correspond ni à ce que les mystiques du passé ont dit ni à ce que les auteurs mystiques d'aujourd'hui cherchent à dire.

En raison de l'accent qu'on met actuellement sur l'immanence de Dieu et sa profonde implication dans tout ce qui se produit dans le monde, la plupart des auteurs essaient d'éviter le panthéisme en parlant de panenthéisme.Ce mot veut souligner que Dieu est présent en toute chose. L'avantage du panenthéisme est d'éviter le panthéisme, tout en ne laissant pas croire que Dieu vit à l'extérieur de notre monde. Mais je ne suis pas sûr que cela exprime d'une manière suffisamment adéquate l'expérience de Jésus et celle des mystiques. Parler de Dieu comme étant en toute chose, c'est encore recourir à une métaphore spatiale suggérant que Dieu serait une sorte d'objet invisible à l'intérieur de chaque être ou dans les vides entre les êtres. Mais l'expérience de Jésus et des mystiques semble suggérer que Dieu ne fait qu'un avec l'univers.

Certains auteurs ont donc proposé de parler d'incarnation universelle [3]. Selon cette façon de voir, Dieu serait incarné dans tout l'univers, et l'univers serait comme le corps de Dieu [4]. Dieu ne ferait qu'un avec l'univers, comme une personne ne fait qu'un avec son corps. Se représenter soi-même, les autres et le reste de l'univers en expansion comme le corps de Dieu, le manifestant et le révélant à chaque instant, recèle un très fort potentiel spirituel. Cette image précieuse mérite d'être explorée.

On peut en trouver un magnifique exemple dans les écrits de la mystique médiévale Hildegarde de Bingen (1099-1179), qui entendit Dieu dire: « Je suis la brise qui nourrit ce qui est vert... Je suis la pluie née de la rosée qui fait rire l'herbe de la joie de vivre [5]. »

Je veux rester attentif au fait que Dieu est un mystère insondable et qu'on ne devrait pas se le représenter comme un objet de quelque nature que, ce soit. On ne peut donc parler de Dieu ou en faire l'expérience qu'uniquement comme une sorte de sujet. En ce sens, Dieu serait le sujet ou le « soi » de l'univers. Dieu n'est pas un objet dans l'univers, ni la somme totale de tous les objets qui composent l'univers, ce qui serait du panthéisme. On peut penser Dieu uniquement comme sujet ou, plutôt, comme le sujet, le sujet universel, le Soi universel [6].

Nous personnifions souvent la nature et l'univers. Nous parlons de Mère Nature. Nous disons que la nature guérit. Pour le physicien mathématicien Brian Swimme, l'univers est comme en attente de diversité, de complexité et de centration. Il voit l'univers comme créatif, attentif, nourricier et toujours insatisfait [7]. C'est ainsi que Jésus, les prophètes et les mystiques auraient parlé de Dieu. Dieu n'est pas la diversité, la créativité ou l'énergie de l'univers. Il est le Soi qui diversifie, crée et énergise. Dieu est l'univers en tant que créateur. Nous pouvons observer la créativité dans l'univers en expansion, mais nous ne pouvons pas voir le créateur, un peu comme nous pouvons voir des objets mais ne pouvons pas voir en lui-même le sujet agissant.

Voilà donc une manière d'apprécier à la fois l'immanence et la transcendance de Dieu. D'une manière immanente, Dieu ne fait qu'un avec l'univers, mais en même temps, en étant le sujet, le Soi, le créateur de l'univers, il transcende tous les objets auxquels nous pouvons penser comme composant l'univers. Les mots sont déficients ici. Dieu est le mystère transcendant qui ne peut jamais être décrit ou nommé. Comme toute subjectivité et toute conscience, on ne peut que le désigner et se tourner dans sa direction. Devant tant de mystère, admiratifs et émerveillés, nous ne pouvons que contempler.

Peut-être trouvez-vous que là, nous sommes vraiment très loin des problèmes et des questions de la vie quotidienne. Il n'en est rien. Notre expérience de ne faire qu'un, aussi limitée soit-elle, est une puissante expérience de guérison, de réconciliation, d'harmonie, d'amour et de paix. D'une manière encore plus fondamentale, cette expérience est merveilleusement libératrice.

[1]   Citée par Sue Woodruff, Meditations with Mechtild of Magdeburg, Santa Fe, Bear & Co., 1982,

[2]   Voir Soelle, The Silent Cry, p. 103-108.

[3]  Voir par exemple Ronald Rolheiser, The Holy Longing, p. 79-81, et Mary Conrow Coelho, Awakening the Universe, Emerging Personhood : The Power of Contemplation in an Evolving Universe, Lima, Wyndham Hall Press, 2002, p. 229-232.

[4]  Grace M. Jantzen, God's World, God's Body, Londres, Darton, Longman and Todd, 1984, et Sally McFague, The Body of God.

[5]  Cité dans Joanna Macy, World as Lover, p. 11.

[6]  La meilleure manière de saisir la différence entre un sujet et un objet est notre utilisation grammaticale des mots. Nous pouvons utiliser un mot comme sujet d'une phrase ou comme objet ou prédicat dans une phrase. Quand nous utilisons un mot comme sujet, nous n'affirmons encore rien, nous ne faisons que faire référence à quelque chose au sujet duquel nous allons ensuite faire une affirmation, ou attirer l'attention sur ce quelque chose. Nous utilisons un mot non pour dire quelque chose, mais pour indiquer quelque chose. En soi, le sujet n'a pas de forme et est inconnu

[7]  Voir en particulier les conférences de Brian Swimme sur DVD dans la série The Powers of the Universe  (Centre for the Story of the Universe), 2003.

Extrait du livre Suivre Jésus aujourd’hui, Novalis/Cerf, 2009, p.222-225
avec l’autorisation des Éditeurs

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