Engagement internationaliste et accueil des migrants-réfugiés
L’actualité mondiale de 20 millions de migrants-réfugiés, dont 2,5 millions aux portes de l’Union Européenne, est celle d’une « crise majeure des politiques d’accueil » qui laisse des dizaines de milliers de morts sur les routes, les déserts et les mers. Cet état des lieux, loin de se réduire à un problème géopolitique de régulation de l’accueil entre Etats dans de nouvelles frontières communes, nécessite de l’analyser comme produit de la généralisation de l’économie néolibérale mondialisée, au sein et hors de l’UE, de guerres régionales permanentes et d’une crise écologique globale qui en sont issues. Ce cours de libre concurrence et d’austérité alimente une montée des populismes nationaux qui sont tous des replis racistes et sécuritaires. Elle pose clairement la question d’une orientation internationaliste qui, aujourd’hui comme hier avec l’émigration de travail, intègre la défense de ces migrants-réfugiés dans les luttes anticapitalistes qui subvertissent toutes les frontières. En France elle est étroitement liée aux politiques de « décolonisation » dont la réalisation émancipatrice reste largement à faire, tant dans les pays ex-colonisés que dans la subjectivité politique « nationale ». Le référendum de 2018 en Nouvelle-Calédonie en est l’enjeu. L’ « Humain d’abord » ne peut donc être qu’une lutte de « citoyens du monde ».
Quelques éléments d’analyse.
1° La caractéristique centrale des politiques capitalistes néolibérales mondialisées, dont l’Union Européenne est un acteur majeur, est l’extension du mode de production capitaliste et du marché de libre concurrence à l’ensemble de la planète. Sa généralisation produit des contradictions explosives dans le développement inégal et combiné des politiques nationales de chaque pays, la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes déterminée par les lois du marché en est une mise en concurrence de tous contre tous, où chacun tente d’accéder à une vie acceptable par sa mobilité. Il en résulte un marché mondial de la main d’œuvre avec de multiples délocalisations des entreprises vers des pays où les profits se réalisent sur une baisse du coût de la force de travail. Chaque année, cette situation met en migration 65 millions de personnes dans le monde, dont 20 millions sont sur les chemins d’un l’exil de survie (migrants réfugiés ou économiques).
2° La multiplication de guerres locales et régionales s’alimente de cette domination impérialiste des puissances de ce système financier mondialisé (USA, UE, Chine, Russie), dont la conquête de nouveaux marchés et d’exploitation de richesses minières, pétrolières, agricoles, ventes d’armements, qui instrumentalisent les conflits au sein et entre régimes dictatoriaux, de conflits ethniques, de crises écologiques majeures, de développement de zones de misère et de précarisation généralisée des populations, représente une véritable mise sous tutelle politique du Monde. Chacune de ces causes d’exil entraine des flux de réfugiés à la recherche d’un asile protecteur. L’acquis de la Convention de Genève de 1951 ne faisait pas de différence entre réfugiés politiques, déplacés et migrants économiques, entre pays sûrs ou pas.
3° Or, à l’opposé, les politiques de l’Union Européennes, bien que n’étant le but d’exil que de 2,5 millions de migrants, dévoient ces acquis en mettant en œuvre ces différenciations. Comme acteur majeur de domination et de libre concurrence dans un marché européen, elle s’est instituée par de nouvelles frontières commune qui constituent l’espace Schengen de libre circulation des marchandises et des personnes. Pour ceux qui viennent d’ailleurs elle a mis en place une régulation par les règlements dits de Dublin (actuellement Dublin III) qui ne reconnaissent comme réfugiés que ceux qui « font la preuve » de persécutions politiques et sont issus de pays dits « pas sûrs », dont le traitement est déplacé impérativement au premier pays d’entrée dans l’UE. L’accueil de migrations économiques est laissé de façon subsidiaire à chaque pays selon les besoins du marché, ces migrants qui ne sont donc plus reconnus comme réfugiés étant une variable du marché de l’emploi. Il en résulte une politique de tri et de renvoi à géométrie variable selon les besoins géopolitiques, où la notion absurde de pays sûr priorisent des situations de guerre et de répression d’Etat sur d’autres, et les besoins du marché dans chaque pays européen, les deux instituant une violence de plus aux différents type de migrants réduits cyniquement à leur utilité politique et économique et non aux besoins de sujets humains. Cette gestion institutionnelle de type contractuel hors démocratie, est en réalité une mise sous tutelle européenne sur tout gouvernement élu démocratiquement, qui leur impose la domination des politiques néolibérales des oligarchies dominantes avec ses politiques d’austérité et de précarisation généralisée, mais aussi pour les pays frontière cette régulation des migrations de réfugiés politiques.
La crise actuelle de l’accueil des migrants et des réfugiés fait apparaître une crise majeure de son projet de domination politique sur les peuples et l’essor de revendications xénophobes nationalistes alimentées par les effets quotidiens d’austérité et de précarisation généralisés. Sa conséquence est une évolution des procédures Dublin vers un Dublin IV, qui accompagne :
- un traitement policier accru des migrations au sein de chaque pays européen, avec la multiplication des centres de transit et de rétention, de renvoi systématique des « dublinés » vers le premier pays d’entrée de l’UE ou le pays d’origine, véritable « déportation » où le seul échappatoire pour le migrant ne peut être que l’errance de camps en camps,
- une militarisation accrue du dispositif de surveillance Frontex, d’accords avec des régimes autoritaires comme celui de la Turquie d’Erdogan et de pays d’Afrique pour déplacer de façon contractuelle, le triage de l’entrée des réfugiés.
Cet état des lieux européen relève de la responsabilité politique de nos gouvernements sur les causes de ce cours destructeur de toute reconnaissance du migrant comme sujet exilé. Il est un véritable coup de Trafalgar contre les droits humains et une atteinte majeure au droit d’asile solidaire des migrants/réfugiés. Il fait apparaître nombre de complicités avec les mafias de « passeurs » qui participent des effrois subis par les migrants. Il est le credo de la nouvelle Présidence Macron qui tente de le promouvoir comme outil de défense et de gestion économique communs.
4° Ce cours répressif s’accompagnent d’atteintes fondamentales aux institutions démocratiques comme l’a démontré la mise sous tutelle de la Grèce comme laboratoire avancé tant dans la gestion du pays et de l’accueil des migrants que dans la négation des élections démocratiques. Elle est ainsi devenue le lieu où s’expérimente une nouvelle police des frontières, qui s’accompagne de multiples murs et de camps de rétention (hotspots), transformant le demandeur d’asile en sujet migrant errant à travers l’Europe, et souvent en « clandestin » futur « sans-papiers ».
Il en résulte en France pour les exilés un parcours du combattant, où tout est fait pour différer la demande d’asile tout en mettant en place des politiques dites « d’émigration économique choisie ». une répression accrue des migrants en attente de demande d’asile par la reprise systématique d’évacuations brutales vers des lieux d’hébergements peu formés à l’accueil dont la mise en place des CAO ou de Centres de transit comme celui de La Chapelle à Paris qui ne sont qu’un hébergement de courte durée dans une perspective d’orientation et d’éloignement des « dublinés » (90% des présents) en attendant le retour vers le pays d’entrée de l’UE où la mise en centre de rétention (CRA). Les évacuations de "campements de fortune" en "campement de fortune", les harcèlements policiers (avec destructions de leurs maigres « biens » et parfois de leurs papiers !) en est l’actualité quotidienne. Tous et toutes subissent les mêmes expulsions sans solution d’hébergement, sauf provisoires (quelques jours d’hôtel qui coûtent cher). Ce cours destructeur du sujet migrant laisse à la rue tous ceux qui ne sont pas reçus par manque de place, qui sont déboutés du droit d’asile ou qui refusent l’orientation proposée, et au final se voient imposés une obligation à quitter le territoire (OQTF) par la police. Ils restent donc en errance sans protection dans de nouveaux camps spontanés entre autres dans Paris ou en proche-banlieue.
Le processus répressif vise fondamentalement à transformer le migrant réfugié politique en migrant économique à renvoyer dans son pays d’origine, ce qui se traduit par la multiplication des expulsions indignes vers le Soudan, l’Afghanistan, l’Irak.
Cet ensemble qui bafoue tous les droits humains fondamentaux, est présenté par les gouvernements successifs comme une nécessité liée au contexte d’actions terroristes de l’islamisme radical de Daech et l’instauration d’un Etat d’urgence permanent. Chacun peut constater que ce prétexte tend à masquer le fait reconnu que les terroristes des derniers attentats sont un produit de la précarisation sociale et que l’état d’urgence a surtout permis la répression des « zadistes », des militants écologiques et des manifestants contre la Loi Travail, et s’étend maintenant aux soutiens des migrants, dont la « criminalisation » comme « délinquants solidaires ».
Cet ensemble alimente le racisme de couches de la population laissées pour compte, et la montée des populismes « nationalitaires », produits des politiques d’austérité. Il est un cours politique sécuritaire qui s’aggrave au quotidien, la nouvelle Présidence Macron et son ministre de l’intérieur la prolongeant avec le projet d’intégrer les contenus de l’état d’urgence dans la Constitution, grand écart hypocrite entre la soumission à la tutelle de l’UE et la réinstallation d’une police des frontières. Migrants et populations sont donc appelés à d’habituer au contrôle permanent et policier, ce qui est le pendant du libéralisme.
Quelles orientations et quelles mobilisations ?
La défense internationaliste des migrants et de leurs soutiens rencontre donc la lutte contre l'état d'urgence permanent et contre le racisme. N'enterrez pas nos libertés ! Etant d’ores et déjà des obstacles mis à la liberté de manifester et d’être solidaire. Elle pose clairement une orientation de « décoloniser les représentations ».
1° Dans toutes les mobilisations en cours et qui s’annoncent, défendre un droit d’asile pour les migrants de toute nature est celui d’un accueil digne, humain, respectueux des droits fondamentaux, dont la libre circulation des personnes et l’inconditionnalité sont l’objet de notre internationalisme. Il doit intégrer celui des femmes qui fuient les violences dont elles sont victimes dans leurs sociétés d’origine puis subissent les violences des passeurs lors de la migration, aux homosexuels qui fuient des pays où la loi les condamne à mort, à tous ceux qui sont dans l’espérance d’un monde meilleur que celui de la précarité issue des politiques néolibérales mondialisées.
. Ce point nécessite la sortie des procédures européennes dites de Dublin et une véritable politique d’accueil qui rejoint la régularisation de tous les sans-papiers.
2° Elle est le refus de toute criminalisation de ceux qui portent aide et accueil aux réfugiés/migrants. Contre la désinformation, le racisme et la xénophobie, aux côtés des multiples collectifs locaux de solidarité avec les migrants, il est prioritaire de lutter pour une autre politique migratoire comme le demandent des centaines d'associations, face au programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile actuels (PRADHA) et celui des jeunes mineurs et jeunes majeurs isolés.
3° Elle s’inscrit dans toutes les alternatives sociales solidaires d’accueil des migrants-réfugiés. Si la dimension humanitaire est souvent présente dans ces actions, il apparait que même l’humanitaire est source de tensions politiques au sein de ces ONG, entre être opérateurs des Etats et le refus de leurs politiques de non-accueil et de renvoi. Notre début d’expérience dans l’intervention sur les divers camps fait apparaître que l’action en commun nécessite une intervention à construire qui combine des mobilisations immédiates AVEC les migrants (être présent et empêcher les expulsions, aide concrète en termes de nourriture, d’hébergements, d’accès aux soins, de transport, de soutiens juridiques et de cours de français) et d’un rassemblement de structures de temporalité politique longue. L’action immédiate a été celle du soutien à Calais, à Paris, dans la vallée de la Roya qui a mis en œuvre avec les migrants l’organisation d’assemblées générales quotidiennes qui structurent ce qui s’y passe. Une organisation collective de l’espace et du temps s’appuie sur les besoins pratiques vitaux des migrants : une circulation fluide entre les tentes, la mise en place de toilettes et douches, l’installation de poubelles régulièrement vidées, ont mobilisé les soutiens solidaires avec de nombreuses démarches auprès de la mairie de Paris. Les repas portés par des associations bénévoles ont nécessité sa planification. Ces besoins pratiques de vie quotidienne accompagnent l’exigence du passage des autorités pour enregistrer les demandes d’asile, la mise en place de cours de français quotidiens et des moments festifs. Cet ensemble qui structure symboliquement l’accueil mobilise des manifestations en commun dont le but revendiqué par les migrants est une évacuation humaine et non policière vers des lieux dignes d’hébergement et de soins. La souffrance psychologique et traumatique de ces migrants a commencé à être traitée par cette action collective qui refuse d’être un violence de plus. Le « maraudes » médicales et psy avec des interprètes ont institué des des espace de parole peu formalisé sur les douleurs physiques et psychologiques d’une histoire à reconnaître. L’appel au médecin est souvent mobilisé par les autres migrants où les intervenants solidaires. Ce « prendre soin » qui rétablit une possible confiance et l’engagement d’un suivi dans le temps vers un lieu de soin thérapeutique possible en dehors du camp, est « prendre le temps » d’un réel accueil solidaire.
C’est ce mouvement, ainsi que celui de la solidarité de populations avec les migrants réorientés vers des centres d’hébergement où à la rue, se confronte aujourd’hui aux évacuations policières brutales et aux hébergements sans humanité. Une mobilisation politique prioritaire est donc de se rassembler pour s’opposer tous les jours à l’ampleur de la crise humanitaire qui en découle, à l’appareil répressif d’Etat, à ces lieux d’hébergements dont la légitimité légale de « mise à l’abri » est dévoyé vers un tri de renvoi géré par le ministère de l’Intérieur d’assignation à résidence, de mise en rétention.
La portée politique de mouvement solidaire est de créer un droit commun inconditionnel alternatif, dont la dimension juridique s’appuie sur une protection internationale reconnue dont l’application nécessite une régularisation dans des droits de l’Homme fondamentaux (demande d’asile dès l’arrivée, écoute d’accueil inconditionnel, soins et accompagnement social, un logement digne intégré au tissu social et non internement dans des camps, traitement soit rapide de la demande).
4° Il s’agit donc bien, dans chaque pays européen ou autre, de le combattre concrètement par une action solidaire dont l’axe alternatif suppose une lutte qui repose sur un projet politique de solidarité commune. Il est aujourd’hui l’enjeu d’actions multiples allant de tous les types d’hébergements solidaires, d’actions d’occupations, de manifestations, de résistance, porté par des citoyens, des associations, des syndicats et d’organisations politiques, qui avec la LDH luttent pour un droit de regard et d’action sur les camps spontanés, de transit. Cette action de droits de l’homme est partie prenante des besoins concrets des populations du pays d’accueil est une lutte de solidarité de la population qui mobilise nombre de communes qui demandent à accueillir ces migrants contre les actions de l’extrême droite raciste et des politiques de la peur, dont l’ampleur donne lieu actuellement à une cartographie explicite (Sursaut Citoyen en dénombre actuellement 1000).
Ensemble a donc une responsabilité politique internationaliste particulière à penser et agir sa présence dans ce mouvement. Elle suppose une réflexion politique sur la question des exilés et ne peut être séparée de la défense de tous les sans-papiers et de tous les précaires, mais aussi des luttes contre le racisme. La difficulté politique de coordonner et rassembler nécessite d’avoir des initiatives vers tous les mouvements de solidarité pour faire apparaître un Front Commun politique qui aille au-delà du seul soutien aux initiatives des associations. Une telle initiative doit clairement intégrer ce qui fait action directe sans s’enfermer dans leurs stratégies « autonomes » centrées sur la confrontation avec les forces policières. La proposition d’un évènement qui pose cette alternative est donc à élaborer, dans le dessein commun d’une véritable politique d’accueil qui repose sur la liberté de circulation et d’installation pour ceux qui la demande, c'est-à-dire d’une ouverture démocratique des frontières de et dans la société.
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Texte Annexe pour les camarades qui travaillent dans le soin et son accompagnement social, ou qui s’intéressent à la question de l’exil.
Les souffrances traumatiques de l’exil.
L’exil est quitter une société d’appartenance vers une autre dont il faut acquérir les codes sociaux et culturels, ce qui suppose un véritable travail psychique d’acculturation. Cet entre-deux est l’enjeu d’un accueil qui repose sur la solidarité humaine, dont le défaut entraine une souffrance psychique issue d’un trauma de plus. Tous les migrants et réfugiés de répressions politiques, de guerres et de situations de misère sont confrontés à cette souffrance de l’exilé. Pour le saisir, l’interview d’un migrant africain parle du départ pour échapper à la mort dans son propre pays et prendre le risque de perdre sa vie pour continuer à vivre. Sa formule saisissante vient ici éclairer ce qu’est la souffrance traumatique de l’exil. Tant que le voyage reste un but vivant, le trauma initial du départ est refoulé, mais l’impasse de l’accueil et de ses suites le fait ressurgir de façon différée comme souffrance traumatique. Sa violence fait réapparaitre tous les traumas accumulés dans le pays d’origine, durant le voyage et le passage des frontières, particulièrement en France comme rupture symbolique de sa représentation de patrie des droits de l’homme.
Cette souffrance su non-accueil est révélée et amplifiée, aujourd’hui, par les procédures européennes dites de Dublin (aujourd’hui Dublin III) qui imposent de faire la première demande d’asile dans le premier pays d’arrivée en Europe, ce qui se traduit en permanence par des politiques de renvoi. La demande d’asile est par ailleurs déniée quand le migrant ou la migrante viennent d’un pays considéré sûr, dont la liste dépend plus des relations diplomatiques que de la réalité. Tous ceux qui ne correspondent pas ç cette double injonction sont soit déclarés « dubliné(e)s » ou débouté(e)s au nom d’un contrôle strict des « migrations économiques ». Cet ensemble créé un refus d’asile qui est une violence de plus physique, matérielle et psychique, ce qui fait apparaître ce que l’on appelle internationalement le psycho-trauma ou le stress post-traumatique à la suite des travaux sur la névrose de guerre, ce que Sigmund Freud nomme névrose traumatique comme confrontation de l’homme à sa propre mort. Son langage rend compte d’une universalité anthropologique dans toutes les langues et les identités socioculturelles.
Ce psycho-trauma du sujet exilé est donc l’expression du trauma du départ et de sa répétition, dont la sidération émotionnelle et psychique d’un évènement imprévisible, impensable, produit une amnésie, passagère ou durable des contenus de ce qui s’est passé. Il est devenu irreprésentable, indicible, et réapparait de façon répétitive dans les rêves sous forme de cauchemars, les troubles du sommeil, les vécus dépressifs et le sentiment de danger qui se poursuit, c'est-à-dire d’un évènement non symbolisable. L’intégrité du corps est atteinte, le sujet n’est plus en état de se concentrer sur l’organisation de sa vie quotidienne, ce qui aggrave les sentiments de honte et de culpabilité. La souffrance prend alors la forme d’une plainte corporelle, un corps qui parle la souffrance. Ce clivage isole absolument le sujet dans son appartenance symbolique à un groupe et de tout avenir. L’abattement, l’impossibilité d’agir font apparaître une représentation de soi dépressive - être victime -, mais aussi des réactions de colère, voire de passages à l’acte violents qui aggravent la mise à distance des autres. Un parcours jalonné d’actes de désespoir jusqu’au suicide. Cependant, le plus souvent, le sujet migrant s’exprime par une demande d’aide concrète immédiate qui recouvre ce qui l’a mis en crise comme sujet, ce qui le rend invisible, illisible, Dans ce contexte, l’action de l’intervenant solidaire, puis du médecin et du psychiatre est une aide sur les besoins pratiques du quotidien porteuse d’une écoute vers des soins. Cette action vise à reconnaître le « sujet » en errance, sans refuge et soumis à une répression policière incessante, afin de sortir avec lui du réel du déni mortifère du non-accueil.
L’accès aux soins somatiques et psychiques est donc une nécessité immédiate et de temps long, souvent mobilisé par les autres migrants où les intervenants solidaires qui tentent de le soutenir et font alors appel au médecin. Le rôle structurant des intervenants sur un camp est donc ce « prendre le temps d’un accueil alternatif » - solidaire - comme prendre soin du migrant par l’organisation collective de l’espace et de ses besoins pratiques souvent vitaux. Il se constitue en créant des espaces de parole qui rassemble et une présence instituée comme inconditionnelle qui est la qualité même de tout accueil. L’expérience du comité de soutien aux migrants des camps d’Austerlitz[1] a montré la dimension solidaire de la prise de parole et de décisions en assemblée générale AVEC les migrants jusqu’à des manifestations en commun pour une évacuation humaine vers des lieux dignes d’hébergement et de soins. Le rôle du psy en lien avec le bus de médecins du monde a été de marauder avec un(e) interprète en se présentant comme médecin psychiatre qui écoute et fait connaissance avec tel migrant ou groupe de migrants, espace de parole sur les douleurs physiques et psychologiques.
Le soin psycho-traumatique commence là, en prenant soin pour rétablir une possible confiance et l’engagement d’un suivi dans le temps, ce qui suppose un lieu de soin thérapeutique possible institué en dehors du camp. [2] Le traitement relationnel nécessite ce lieu spécifique qui traite de cette perte de confiance dans ses liens d’appartenance au groupe d’origine et l’accueil de l’autre comme sujet. Cette écoute permet de réactualiser les conflits intimes et familiaux dans les vécus de persécution et de menace permanente, de honte et de culpabilité. Sa nécessité de temps long s’oppose donc au refus de protection actuel et d’un accueil inconditionnel comme droit commun de la population. Elle nécessite la prise en compte de l’aléatoire du récit de la demande d’asile, qui ne peut être traitée comme une recherche de « preuve », ce qui est le cas actuel de la plupart des administrations avec son cortège de refus répétitifs, le sujet étant au final « débouté ».
Le traitement de la souffrance de l’exil doit donc s’inscrire dans une protection internationale reconnue, dont la réalisation juridique nécessite une régularisation statutaire légale comme inscription dans des droits fondamentaux (demande d’asile dès l’arrivée, accueil inconditionnel, lutte pour logement digne intégré au tissu social et non internement dans des camps, papiers de transition dès l’arrivée, accès aux soins). C’est l’objet de notre lutte et de notre engagement avec les migrants, quelle que soit la cause de leur exil.
Jean-Pierre Martin
[1] Durant le printemps et l’été 2015.
[2] La santé même des migrants est atteinte par la loi de Juillet 2015 qui modifie le dispositif applicable aux étrangers malades (qui revient sur une disposition de la loi du 16 juin 2011). L’expertise est désormais soumise à un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration(OFII), donc d’une logique du ministère de l’intérieur et non de la santé.