jean-pierre Martin

Abonné·e de Mediapart

16 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 septembre 2016

jean-pierre Martin

Abonné·e de Mediapart

Comment être solidaire avec les migrants

jean-pierre Martin

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 COMMENT ETRE SOLIDAIRE AVEC LES MIGRANTS

La question est européenne comme action politico-pratique. Elle prend des formes différentes entre pays mais son axe directeur est le refus d’une politique de tri et de renvoi avec ses multiples murs et camps de rétention (hotspots). Si en Grèce elle est portée par un mouvement social de dispensaires autogérés entre médecins et population comme support politique, où l’accueil est inconditionnel et s’accompagne d’actions d’occupations, de manifestations, de résistance à un humanitaire administré par l’UE, elle reste parcellaire en France portée par des actions associatives sur les camps en lien AVEC les migrants-réfugiés et leurs besoins pratiques (hébergement, accès à la demande d’asile, apprentissage du français, accès aux soins) comme défense d’un accueil inconditionnel et de la liberté de circulation. Dans tous les cas l’action repose sur les droits de l’homme et la Convention de Genève de 1951 où être réfugié rassemble la plupart des causes de migration.

Elles sont politiques comme alternatives pratiques de respect de la dignité humaine possible tout en mettant en évidence la responsabilité de nos gouvernements dans les milliers de morts sur le long des routes migratoires. La proposition des camps proposés actuellement par la Mairie de Paris reste à éclaircir de ce point de vue quant à l’inconditionnalité de l’accueil, sa dimension de rétention provisoire, qui restent dans l’immédiat d’un flou inquiétant, d’autant qu’elle intervient dans un contexte de « nettoyage policier » des rues.

 Dans ce contexte de répression policière inégalée sur les migrants rendent de plus en plus difficiles les pratiques de soutien AVEC les migrants sur cet enjeu politique commun, y compris quand la motivation des acteurs est humanitaire.Pour le préciser je reprends la lutte, comme expérience plus que comme modèle, du Collectif de SOLIDARITE AVEC LES MIGRANT-E-S DU QUAI D'AUSTERLITZ[1].

Ce camp a rassemblé 4 camps étalés sur le quai. Il a été durable et a permis  pendant plusieurs mois d’agir AVEC des hommes et des femmes qui survivent sous tente sur le Quai d'Austerlitz, la plupart d'entre eux venant du Soudan, d'Erythrée et de l'Afrique sub-saharienne. L’objectif de l’action,  réclamée par les migrants est que cette situation ne peut, ne doit plus durer ! Elle est inhumaine, indigne et dégradante. Or, pendant des mois les pouvoirs publics et leurs opérateurs n’ont RIEN FAIT DE SIGNIFICATIF pour  répondre aux besoins pratiques de ces migrants. La création du Collectif a été un premier acte essentiel associant la solidarité des riverains, des associations, des organisations qui s’y sont regroupés en collectif, en soutien aux revendications des migrants : un hébergement pérenne, un accompagnement pour les aider dans les démarches administratives qu’ils mettront en œuvre afin de pouvoir séjourner en règle sur le territoire français. La plupart ne souhaitent pas rester en France mais l’accompagnement dans ce passage reste essentiel.

Cette action continue d’aménagement des camps et d’accompagnements concrets, de veille sanitaire du Bus Médecins du Monde où le psy maraude d’une tente à l’autre avec une interprète, de cours de français quotidiens, s’est constituée avec des AG avec les migrants sur chaque camp sans discriminer réfugiés et migrants. Le soutien politique avec les migrants est donc une série de revendications pratiques pourront être efficacement mises en œuvre que si des conditions précises qui sont respectées, en rupture avec les interventions policières antérieures lors de l’évacuation de « La Chapelle », de « l’esplanade Pajol et du « square Eole ».

 Nous avons donc négocié une solution d’évacuation avec la Mairie de Paris (beaucoup plus difficilement avec la Préfecture de Région) en exigeant et en appuyant notre action par plusieurs manifestations de rue avec les migrants, évacuation qui repose :

- sur l’absence de présence policière (et des risques de violence qui en découlent) lors des opérations de sortie du campement vers des lieux d’hébergement,

- une information préalable soit donnée aux migrants et au collectif de soutien, dans des délais suffisants, sur les dispositifs et lieux d’hébergement,  leur localisation et le suivi associatif dont ils peuvent bénéficier et la durée des hébergements,

- que des moyens de « rattrapage » soient proposés aux migrants absents lors de la mise en œuvre des opérations de sortie du campement,

- que les migrants puissent être accompagnés dans les cars qui les mèneront aux lieux d’hébergement, des repas soient fournis ou rendus possibles dans les lieux d’hébergement : pas d’hébergements hôteliers qui ne permettent pas la confection de repas, la mise en place une « bagagerie » dans des locaux associatifs près du Quai d’Austerlitz, afin d’éviter la dispersion ou la perte des effets personnels.

 Le respect de ces conditions est la garantie d’une opération respectant la dignité des personnes et du sujet humain

Les opérateurs mandatés et financés par la Mairie de Paris et par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) n’étant manifestement pas dans ce réel travail d’accueil, le collectif a donc dû apporter ses compétences dans la gestion d’activités d’ordre humanitaire et d’accompagnements concrets, telles que la distribution de nourriture, l’accès aux soins, l’accompagnement des demandeurs d’asile, etc. Nous n’avions pas pour vocation d’organiser la distribution de nourriture ; de même, c’est à titre individuel que certains membres du collectif contribuent bénévolement aux cours de français où à l’accès aux soins.Nous agissons par conviction politique et solidaire, en associant bénévoles et professionnels.

L’évacuation du camp s’est réalisée sur ces bases, sans violences, la police restant à distance. Notre lutte a été rendue visible quand elle a commencé à déranger les pouvoirs publics.

Les suites des camps d’Austerlitz.

Le suivi des migrants rencontrés sur les camps s’est organisé, en lien avec d’autres collectifs parisiens comme action concrète qui participe de la politique, avec une permanence chaque mercredi qui rassemble plusieurs dizaines de migrants pour des cours de français et des consultations juridiques (ex : BAAM – Bureau d’Aide aux Migrants) et aujourd’hui des veilles et des actions de soutien juridiques sur la multitude d’évacuations brutales.

En tant que psychiatre, je constate que l’accès aux soins est d’abord celui de la souffrance traumatique, dont le premier traitement est celui de cette lutte ensemble, car si les contacts sur les camps permettent une première approche, ce que j’appelle faire connaissance réciproque de qui nous sommes, le soin proprement dit est difficile à réaliser en dehors de sa première écoute émotionnelle et le constat de la précarité du sujet sur le camp. Il suppose donc que les migrants soient hébergés dans des conditions dignes avec toutes les revendications précédentes, pour traiter cette VIOLENCE DE PLUS du non accueil qui est source de souffrances psychologiques multiples dont celle psycho-traumatique qui réactualise les violences subies antérieures et clôt toute perspective d’avenir.

Pour pérenniser concrètement et politiquement cette mobilisation, nous devons débattre aujourd’hui du comment continuer avec quelles actions à instituer ?

Elle nécessite une coordination entre collectifs et associations pour réaliser une défense quotidienne des migrants et des actions emblématiques en commun à un même moment : Occupations de logements ou d’édifices, de squats ? Appel à une solidarité réelle durable du Mouvement social dans l’exigence de revendications pratiques : transports gratuits, une alimentation adaptée dans les structures d’accueil. Traitement des demandes d’asile avec les moyens adéquats pour que son traitement soit rapide[2].

Ces besoins pratiques sont ceux du parcours et du passage éventuel vers un autre pays. Ils sont les conditions objectives qui instaurent l’engagement de reconnaissance du sujet humain avec son écoute (histoire de la migration vécue, avant, pendant et après, avec ses moments psycho-traumatiques). Sans cette dimension de reconnaissance du sujet migrant l’écoute du psycho-trauma se réduit à une technique ponctuelle du traitement émotionnel (debriefing), là où seul le temps à prendre et l’accompagnement permettent de sortir de cette violence de plus et ses effets d’un avenir barré, d’un mur, de l’isolement dans la survie individuelle (source d’affrontements, de résistances, de colères et de révoltes qui morcèlent les collectifs de migrants comme action collective solidaire.

Cet ensemble d’actions et de pratiques font apparaître ce que peut-être une véritable politique d’accueil à construire comme service public.


[1] Les organisations membres du collectif de soutien aux migrants d’Austerlitz sont des associations et réseaux de solidarité : Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Réseau Éducation sans Frontière (RESF), Comité inter mouvements auprès des évacués (CIMADE), Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC), la Maison des Potes, RCI ; une association humanitaire intervenante: Médecins du Monde (MDM) ; des syndicats de travailleurs/ses : Confédération générale du travail (CGT), Solidaires ; des partis politiques : Europe Écologie Les Verts (EELV), Ensemble !, Parti de Gauche, Parti communiste français (PCF) ; et l’Assemblée citoyenne Paris 14e. Par ailleurs, le Centre d’entraide pour les demandeurs d’asile et réfugiés (CEDRE), antenne du Secours Catholique, agit aux côtés du collectif.

[2] La santé même des migrants est par laloi qui modifie le dispositif applicable aux étrangers malades (qui revient sur une disposition de la loi du 16 juin 2011) est désormais soumis à un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration(OFII), donc de la logique du ministère de l’intérieur et non de la santé.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.