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Billet de blog 22 avril 2020

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PETROLE ET RECESSION

La pandémie est-elle le déclencheur qui anticipe sur l'effondrement prévu par les collapsologues, le rapport Meadows , beaucoup d'analystes? N'ayant rien fait pour stopper la destruction de la biosphère, rien fait pour limiter l'effet de serre il va falloir tout inventer sous la contrainte avec de moins en moins de moyens.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

PÉTROLE ET DÉCROISSANCE, une catastrophe ou une occasion?

Le PIB mondial comme européen suivent depuis deux ou trois décennies une courbe tout à fait parallèle à celle de la consommation de pétrole. C’est bien normal puisque le principal carburant de nos machines, nos transports, notre chauffage, notre commerce est le pétrole. C’est le travail de nos machines qui fait le PIB, celui de nos petites mains est insignifiant. Les français quand on parle d’énergie sont trop polarisés par le nucléaire qui n’est que 15% environ de notre énergie et ne fait pas de gaz à effet de serre, donc pas un problème urgent à mon avis.

Depuis 2008 la capacité de production du pétrole classique décroit (AIE dixit) et c’est le pétrole de roche mère (pétrole de schiste dans le langage courant) des USA ainsi que les sables bitumineux du Canada qui ont permis de consommer toujours un peu plus de pétrole. Ces pétroles sont coûteux à produire, les producteurs américains pratiquant le «fracking» sont très endettés et des cours d’au moins 60 dollars le baril sont nécessaires pour eux.

Il semble qu’en 2018 la production mondiale ait plafonné et même qu’elle ait commencé à légèrement reculer à partir de la fin 2018. Ce qui est corrélé avec une stagnation du commerce mondial et de la production industrielle. Il n’est donc pas invraisemblable que, les gisements classiques s’épuisant, nous soyons très proches du fameux «pic pétrolier». On ressort les courbes du rapport de Dennis Meadows et du MIT de 1972 pour le Club de Rome, on constate qu’elles ont été étonnamment justes dans leurs prévisions et qu’elles situent le maximum de production de biens et de services ainsi que l’épuisement des ressources vers 2025! La modélisation mathématique n’était pas mauvaise même si elle n’est ni parfaite ni infaillible. Ce travail a été actualisé et les outils modernisés en 2012 par le Club de Rome avec Graham Turner comme rédacteur, «l’effondrement» est toujours prévu vers 2030 suite a la destruction de la planète que nous continuons de réaliser.

Survient la pandémie du COVID-19. La paralysie des économies qui en résulte fait chuter la consommation de pétrole de 20 millions de barils par jour (bpj) sur 100 millions au total. L’OPEP et la Russie ont fini par se mettre d’accord avec la pression de Donald Trump pour réduire leur production afin de freiner la chute des prix. Réduction de 10 M bpj, évidemment ça n’a servi à rien. Le Brent est aujourd’hui à 20$ et l’américain WTI est à zéro. Les stocks sont pleins il faut arrêter la production. Il faut savoir que pour le pétrole sibérien, si on arrête un gisement les pipelines figent et on ne pourra jamais le redémarrer. L’Arabie Saoudite ne peut pas vivre avec du pétrole bon marché car cette monarchie absolue et religieuse ne tient que par sa richesse en pétrodollars, elle n’a rien d’autre. Pour le pétrole de schiste américain les faillites vont se multiplier mais surtout personne ne voudra plus y investir à perte pour un bout de temps. Cette technique fait qu’après fracturation hydraulique un groupe de puits peut drainer sur un kilomètre autour à peu près, avec au moins quatre forages en étoile, que l’essentiel est produit en un ou deux ans, qu’au bout de trois ans il n’y a plus rien et qu’il faut ensuite en forer d’autres à deux kilomètres de là pour continuer à faire produire ce gisement. Mécaniquement, si la demande revient avec des prix de l’ordre de 60$ le baril au moins, et ce n’est pas demain, ça va être long à relancer, difficile, il faudra réinvestir beaucoup, les investisseurs ne vont peut-être pas s’y précipiter dans un monde appauvri. Les expert prévoyaient que ce pétrole pourrait produire peut-être jusqu’en 2040, mais il faut tenir compte des gisements classiques qui baissent.

Quand le virus nous permettra de reprendre une vie normale, on ne sait quand, les acteurs économiques voudront rétablir leur business comme avant. S’ils y réussissent plus ou moins il est inévitable qu’ils se heurtent à un moment donné au «mur de l’énergie»! C’est pourquoi j’estime que la récession n’est pas temporaire, la pandémie a précipité ce qui serait arrivé dans cinq ou dix ans. Ce ne sera sans doute pas l’effondrement brutal que certains imaginent mais sans doute un état de crise qui n’en finit pas.

On savait qu’il fallait être plus sobre, ne pas surexploiter la planète et le vivant, que la croissance ne peut pas être infinie quand elle dépend de ressources finies. On n’a pas été capables collectivement d’en tenir compte, alors les lois de la physique s’appliquent un jour ou l’autre. Elles ne résultent pas d’un choix ni d’un vote.

Les pays qui dépendent beaucoup du pétrole vont beaucoup souffrir, Algérie, Nigeria, Venezuela, Russie, pays du golfe, Iran. Y aura-t-il des émeutes de la faim et des révolutions?

Les pays qui disposent de charbon peuvent en jouer au détriment de l’effet de serre, dans quelle mesure? Inde, Chine, USA.

Puisqu’on parle de l’effet de serre, notons que si l’on voulait atteindre les objectifs fixés pour ne pas dépasser le 2 degrés de réchauffement à la fin du siècle il fallait parait-il atteindre la neutralité carbone en 2050. Aujourd’hui cela impliquerait une décroissance de 4% par an, exactement ce que va nous coûter le coronavirus en 2020! A refaire tous les ans? Imagine-t-on qu’on saurait le faire de manière volontaire, ordonnée et coordonnée, supportable socialement? Peu probable. Les évènements vont-ils nous l’imposer? A ce rythme ce n’est pas souhaitable car rien n’est organisé et planifié pour ça, mais dans le principe c’est nécessaire.

J

Comment peut-on en convaincre les politiques? En étant convaincus nous mêmes, et militants. Ils veulent être élus non?

JPM Valady le 20 avril 2020

Notes:

- Concernant le lien de proportionnalité entre les trois facteurs: consommation de pétrole – PIB – Emissions de gaz à effet de serre, on peut imaginer un découplage dans l’avenir mais ça ne peut être que très lent et fonction de progrès techniques.

- Les économistes classiques ignorent superbement que le prix du pétrole sur le long terme n’est pas dépendant du lien classique offre-demande qui ne joue qu’à court terme. Meadows avait déja expliqué qu’un produit dont dépend le fonctionnement de l’économie ne voit pas son prix s’envoler durablement quand il est rare car sa rareté a appauvri les acheteurs qui alors ne peuvent plus s’en fournir suffisament. Cette auto régulation du prix fait que c’est la disponibilité en volume qui commande le PIB, ce qui est contre intuitif. Ce qui se passe avec la rareté c’est que ce sont les coûts investis pour l’accès à la ressource, sa découverte et son exploitation qui deviennent de plus en plus élevés.

- Le rapport du Club de Rome prévoit qu’après «l’effondrement» de notre système mondial, la population de la planète va commencer à décroitre fortement faute de ressources et de nourriture. On peut imaginer que c’est une vision très américaine des choses où l’on imagine que seule l’agriculture «moderne» intensive peut nourrir la planète. On commence aujourd’hui à penser que c’est plutôt l’agroécologie et la restauration des sols qui peut nous sauver. Une coïncidence à noter toutefois, ils estiment que la population maximale de la planète atteindra 7,8 milliards d’habitants avant de décroitre. Nous sommes en 2020 exactement ce nombre de 7,8 milliards!

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