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Billet de blog 9 décembre 2025

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le commun aujourd'hui (3)

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                                    Le commun aujourd’hui (3)

                                         - le besoin du conte –

Se réunir pour écouter une histoire.

C’est ainsi que fonctionne la religion (du latin relegere = rassembler), dans la synagogue (deux mots grec sun = avec, ensemble, agein : mener, conduire), le temple (templum latin du grec temenos : portion d’espace… en l’occurrence sacrée), la mosquée (lieu où l’on se prosterne) ou l’église (du grec ekklêsia = assemblée), constructions dont les dimensions sont à la mesure de l’extraordinaire que racontent et commentent le rabbin, le pasteur, l’imam ou le prêtre.

Malgré toutes les expériences de la relation personnelle avec Dieu par la méditation et l’expérience mystique d’extase, l’acte de foi est d’abord social en ce sens que la croyance a besoin d’être confirmée par une communauté ;  ainsi,  les diversités narratives créent des communautés particulières qui se retrouvent régulièrement pour entendre raconter et expliquer l’histoire qui les constitue, une histoire sainte écrite dans les livres saints que sont pour les croyants la Bible (Ancien et nouveau Testaments, Actes des apôtres) et le Coran.

Jésus et Mahomet ont en commun le fait que le récit de leur vie a été écrit dans les décennies qui ont suivi leur mort et à partir d’une oralité variable.  De sorte que leur histoire réelle est très mal connue et que cela n’a aucune importance : les croyants ne recherchent pas un savoir dont ils n’ont pas besoin puisque l’écriture sainte ne sollicite leur pensée qu’à l’intérieur du cadre d’un récit vrai a priori.

De ce point de vue, la lecture des Evangiles est éclairante : le récit écrit par les supposés évangélistes (Luc, Marc, Matthieu et Jean – certains pensent en effet que les textes sont plutôt une œuvre collective) ne vise pas la vraisemblance, mais le « miraculeux », corollaire de la nature divine de Jésus, présenté comme celui qui vient accomplir la volonté de Dieu, son père, par des actes et dans des circonstances dont il est régulièrement précisé qu’ils ont été annoncés par les prophètes de l’Ancien Testament.

Lire les Evangiles, c’est lire un conte en ce sens que les paroles et les actes de Jésus ne font pas partie du réel qu’expérimentent les hommes ; il faut donc les interpréter, comme on le fait pour les contes dits pour enfants, avec la différence majeure que l’enfant sait que la citrouille devient un carrosse (Cendrillon)  dans le « pas pour de vrai » du conte, alors que le croyant est convaincu que transformer l’eau en vin  (les noces de Cana) est un réel  « pour de vrai »,   puisque l’acteur est fils de Dieu et que l’évangéliste ne fait que rapporter des faits, comme le ferait un journaliste, même si ces faits peuvent n’être que pure imagination – par exemple, le séjour solitaire de Jésus dans le désert où il est soumis à la séduction du Diable (Matthieu ch.4 – 1 à 11) ou sa prière solitaire dans le jardin de Gethsémani avant son arrestation  (id. ch.26 – 39 à 44).

Les textes sont soumis au seul discours interne dit d’exégèse (du grec exêgêsis : explication) qui exclut nécessairement le discours critique qui est en-dehors de la sphère de la croyance, donc qui peut conduire à la nier.

Les croyants se réunissent en communauté pour se regarder croire, autrement dit pour chercher dans le regard de l’autre la justification de l’abandon de la pensée critique.

Le commun de la synagogue, de la mosquée, du temple et de l’église est celui de la métaphysique [composé de deux mots grecs : meta (à la suite de), et phusis (la nature)] – et si l’idée du communisme-marxisme social et politique a disparu à partir de la fin des années 1980, c’est parce qu’elle s’est révélée être une métaphysique.

(à suivre)

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