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Billet de blog 9 décembre 2025

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le commun aujourd'hui (4)

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                                    Le commun aujourd'hui (4)

                                  -  physique et métaphysique –

Physique précédé de l’article défini « la » correspond au sens du nom grec phusikê (dérivé de phusis : formation, nature, manière d’être) et désigne l’étude de la nature, plus précisément de son fonctionnement.  Autrement dit, « Comment ça marche ? ». Ça désignant le monde et l’homme lui-même.

Pourquoi physique ne suffit-elle pas ? Pourquoi a-t-il fallu ajouter le préfixe méta (adverbe grec signifiant : au milieu, et, c’est le cas ici : par derrière, à la suite) ? D’où vient la préoccupation pour ce qu’il y a derrière ce qu’enseigne la physique ?

Au « Comment ça marche ? » s’ajoutent les « Pourquoi ? » et « Pour quoi ? » qui ne ressortissent plus à la physique quand il s’agit non plus des rapports entre les constituants de la matière, mais du rapport entre cette nature globale et une raison d’être, autrement dit ce qu’il y a ou ce qu’il y aurait derrière, comme on a une idée derrière la tête.

La problématique peut se formuler aussi de cette manière : est-ce que toute recherche du « Comment ça marche ? » n’est pas nécessairement aussi celle des  « Pourquoi ? » et « Pour quoi ? » ?  Ou encore, est-il pertinent de penser que la physique précède la métaphysique ? Est-ce que l’une et l’autre ne constituent pas un ensemble indissociable ? Est-ce que la recherche scientifique n’est pas dictée par la nécessité du questionnement du sens ? Est-ce que le physicien n’est pas aussi un métaphysicien ? Est-ce seulement Jupiter et ses lunes que cherche Galilée quand il pointe sa lunette vers le ciel ?

Si l’Église le condamne, c’est parce que la connaissance de la nature est déjà acquise. Elle l’est par le « surnaturel » – en l’occurrence le géocentrisme – que finit par démolir l’observation en conduisant à l’héliocentrisme.

Le surnaturel en tant qu’explication du monde réunit les hommes dans un commun voulu tranquillisant : la terre est au centre parce que l’homme est au centre puisque Dieu qui l’a créé à son image ne peut être qu’au centre.

La physique vient briser le commun lumineux en faisant de l’homme un élément de la nature comme les autres. S’il n’est plus au centre, s’il est finalement de même nature qu’un satellite de Jupiter, quel est le sens de sa vie, de la vie ?

Le conflit majeur historique oppose le croire polythéiste puis monothéiste qui communise dans la supposée béatitude, au savoir qui singularise dans la tragédie, comme l’enfant devenu orphelin par la mort des parents.

La parole d’Évangile dit que la seule réponse possible est croire, et elle le prouve en validant dans le Nouveau Testament le rejet du savoir déjà acté par la pomme du jardin d’Eden de l’Ancient Testament : si Jésus ressuscité ne se présente pas devant Caïphe et Pilate ce n’est pas parce que la résurrection est un mythe, mais parce qu’elle deviendrait un savoir alors qu’il s’agit de croire.

L’exégèse résout l’énigme de ce refus du manifesté sauveur par l’argument de la liberté nécessaire. Si la résurrection de Jésus est attestée, l’homme ne peut plus choisir de ne pas croire, il n’est donc plus libre. Curieuse démarche pour l’acquisition de ce qui n’est alors qu’un artefact. Autant dire qu’il est utile de créer la maladie pour le plaisir de guérir.     

Tout cela est de l’ordre du calcul – une spécialité humaine – dont le plus machiavélique est celui opéré par Dieu-le-Père créant un fils afin qu’il soit crucifié pour le rachat des hommes. Mais pour quel résultat ? En quoi la vie des hommes sur la terre est-elle différente  ?  Et s’il s’agit de la vie dans le paradis céleste,  comment associer un tel marchandage cruel et sanglant avec le message divin d’amour du père pour ses enfants ?

Demander pourquoi ces contradictions essentielles ne sont pas rédhibitoires est une question absurde en ce sens qu’elle reviendrait à faire le procès des contes pour enfants au motif qu’ils ne racontent pas des faits réels.

Il s’agit de se demander pourquoi l’homme a besoin d’un type de communauté qui exclut la pensée susceptible de mettre en cause non un élément constitutif de la croyance – elle s’adapte à peu près à tout – mais le fait de croire  : après avoir condamné Galilée, la religion a dû admettre l’héliocentrisme qu’une exégèse a très bien su faire entrer dans le plan divin.

Le communisme-marxisme ne critique pas la religion sous ce rapport de contradiction, mais sur ce qui la produit :

« Le fondement de la critique irréligieuse est : c'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. (…)  L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. (…) La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole. » (Marx : Critique de la philosophie du droit de Hegel – Editions sociales : Marx et Engels – Etudes philosophiques – p.24,25)

Il s’agit maintenant de comprendre en quoi cette analyse, sans doute la plus pertinente,  se retourne contre la proposition communiste-marxiste qui contient, en principe, la fin du besoin de religion.

(à suivre)

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