Non seulement le sens politique du mot révolution – renversement – ne correspond pas à son sens étymologique – retour – mais il en est le contraire – le retour politique, c’est plutôt la réaction. Le mot adéquat serait « volution » qui n’existe pas.
Le choix des mots n’étant jamais sans signification – ainsi, on utilise pédophilie, qui n’a rien à voir avec la sexualité, à la place de pédérastie qui, lui, a tout à voir –, il est intéressant de confronter révolution avec les deux exemples historique emblématiques :1789 et 1917 pour tenter de voir quelle révolution est encore possible aujourd’hui.
La différence entre la prise de la Bastille et celle du Palais d’hiver se trouve dans l'élaboration et la programmation.
Le 13 juillet 1789, les Français, même les plus avertis, auxquels vous auriez annoncé que le lendemain serait le premier acte spectaculaire d’un bouleversement radical (vous auriez bien précisé : abolition des privilèges, renversement de la royauté, décapitation du roi, déclaration des droits de l’homme et du citoyen…) vous auraient conseillé de vous calmer et d’aller consulter un médecin.
En revanche, le 24 octobre 1917, les Russes, et pas seulement les plus avertis, vous auraient écouté avec l’air de l’évidence, ou peu s’en faut.
Aujourd’hui, personne ne parle de révolution, sinon ceux qui y sont le plus hostiles et qui accolent donc au mot l’adjectif nationale qui restitue au mot son sens étymologique réactionnaire.
La révolution de 1917, élaborée et programmée à partir d’une théorie, a abouti au fiasco que l’on sait.
Celle de 1789 qui ne l’était pas, a créé, entre autres, le triptyque Liberté Égalité Fraternité qui sera inscrit sur les frontons officiels en 1948 et qui demeure la devise de la République française.
Le rapport entre les trois mots n’est pas évident, surtout si on les confronte à la réalité concrète de la société. Il y a mille motifs pour dire que ce ne sont que des mots, que la liberté n’est que formelle, l’égalité un mythe et la fraternité une gentille utopie.
Si les trois mots ont été accolés – dès 1790 – et s’ils ont la vie dure, c’est bien qu’ils recouvrent un réel.
La reconnaissance de ce réel pourrait bien être l’objet de la révolution aujourd’hui.
On connaît ce mot de J-P Sartre : « Nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’occupation allemande ». Sous la forme d’un paradoxe provocant, se cache une réalité qui dépasse même le sens existentiel que lui donnait le philosophe.
Il n’y a de liberté qu’avec la possibilité du choix qui implique un savoir.
Quel est l’objet humain qui confère au choix une dimension universelle et autorise la proclamation de la liberté non en tant que valeur, mais en tant que principe ?
La réponse est contenue dans la question suivante : qu’est-ce qui différencie radicalement l’homme des autres espèces vivantes ?
C’est très simple : ce qui nous singularise, pour le pire et le meilleur – souvent le pire – c’est la double conscience que nous avons de notre mort : la conscience biologique – commune à tout ce qui est vivant, de la cellule à l’étoile en passant par la grenouille et l’éléphant – et la conscience psychique qui émerge à l’âge de 3 ou 4 ans en même temps que l’angoisse et les peurs associées, et avec laquelle il nous faut vivre jusqu’au jour où nous mourrons.
C’est dans cette double conscience que se constitue l’essence de la liberté, celle du type de réponse que nous construirons, et pendant toute notre vie, en réponse au message permanent et têtu de cette conscience.
Cette conscience fait de nous des égaux et des frères, mais des frères irrémédiablement seuls pour affronter la seule expérience qui soit incommunicable. Des frères de solitude.
Le problème majeur est donc celui des conditions d’exercice de cette liberté, autrement dit celui de l’acquisition d’un savoir qui nous permette de construire notre réponse adéquate.
Or, si l’école de la République dispense un savoir pour la quasi totalité des objets, la mort telle qu’elle est est le seul qui soit absent des programmes d’enseignement de toutes les écoles et de tous les temps.. De cette lacune vient le verbe croire avec toutes les stratégies de contournement, en particulier l’accumulation de l’objet qui sert pour le sujet de substitut au fantasme d’immortalité.
L’objet de la révolution - celle qui n'a pas encore été tentée - est donc la prise en charge par la communauté de l’acquisition de ce savoir, au moment de l’émergence de la conscience, dès la première école (qu’elle soit appelée « maternelle » n’est pas un hasard) et tout au long de la scolarité par l’apprentissage de la démarche philosophique dont l’évacuation des programmes est le corollaire de celle de la mort. Ce savoir est celui que Spinoza définit dans L’Éthique : « Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels. »
Ce n’est pas une baguette magique, mais la possibilité donnée de réfuter l’équation capitaliste (être = avoir +) qui persuade que « plus j’ai, moins je meurs », et dont on voit les effets dans les formes pathologiques de l’accumulation, en particulier celle des capitaux.