S'il y a un délit qui ne peut pas être investigué en enquête préliminaire, comme c'est le cas dans l'affaire Bettencourt avec la fraude fiscale, c'est bien le blanchiment. Pourquoi ? Pour des raisons tenant à la fois à la complexité des éléments matériels et à la pluralité d'auteurs.
L'enquête préliminaire a cet avantage sur l'instruction qu'elle est plus rapide et permet avec peu d'actes de circonscrire des faits lorsqu'ils sont simples, d'en identifier l'auteur lorsqu'il est seul, et de le faire citer devant une chambre de jugement dans un délai raisonnable.
Elle a par contre ce défaut de faire échec aux droits de la défense qui ne prendra connaissance du dossier qu'au moment de son renvoi. Et là, beaucoup de surprises ! Enquête bâclée, insuffisance de preuves matérielles, confusion dans les responsabilités d'auteurs, qui entraîneront soit la relaxe pour doute, soit le complément d'information à l'audience. Pour s'en convaincre, il suffit de se rapporter aux statistiques Tracfin. Sur 12.000 révélations de faits de blanchiment, le justice pénale n'aurait prononcé en 2009 pas plus de 50 condamnations.
Le délit de blanchiment ne répond donc pas aux exigences de l'enquête préliminaire si le but de celle-ci est de ne pas vouloir encombrer les instructions et de traiter rapidement les faits.
Les enquêtes de blanchiment impliquent généralement plusieurs auteurs. Elles sont au contraire des enquêtes longues et techniques dont la recherche de la preuve de la matérialité nécessite des investigations complexes et ciblées de nature à caractériser les manœuvres utilisée.
Les actes dissimulés à identifier se trouvent à l'intérieur des diverses phases du blanchiment à savoir :
1/ L'introduction de sommes illégales dans le circuit bancaire et financier
2/ L'empilage de ses avoirs afin de les faire tourner pour noyer leur origine
3/ La récupération des fonds introduits
Penser que l'enquête préliminaire, qui ne repose que sur le consentement des parties à vouloir s'y prêter, est le cadre juridique le mieux approprié pour réunir l'ensemble des éléments dans les diverses phases du délit relève de la fantaisie pure et simple. Les opérateurs, pour la plupart des professionnels de la banque ou du droit, n'acceptent de se soumettre, ne serait-ce que pour préserver le secret professionnel auquel ils sont tenus vis-à-vis de leur client, que dans un cadre coercitif tel celui de la commission rogatoire mais en aucun cas sur réquisition du parquet.... Ou alors les temps ont bien changé ce qui m'étonnerait.
De plus, nul n'ignore - et les spécialistes encore moins - que les capitaux n'ont pas de frontière et qu'ils circulent plus librement que les personnes physiques à la vitesse de 2 à 3 fois le mur du son.
Dans toute les affaires de blanchiment, il y a donc - et c'est inévitable - une partie internationale à laquelle ne pourra répondre l'enquête préliminaire. Les opérations de blanchiment à l'extérieur du territoire peuvent concerner toutes les phases du délit: aussi bien l'introduction de sommes d'argent sur des comptes ouverts à l'étrangers (sous forme de dépôts ou de transferts) que des manoeuvres de dissimulation par le recours à des sociétés écrans ou fictives, que la récupération des sommes d'argent le plus souvent sous la forme de réinvestissement.
La méthode élémentaire d'investigation consiste à obtenir les éléments avant d'entendre les protagonistes. En ce sens l'enquête financière ne diffère pas de l'enquête criminelle. Il faut ensuite confondre les auteurs. Par contre la recherche des éléments s'assimilerait un peu à la recherche d'un cadavre et on voit mal la mise en cause d'un auteur de meurtre d'une personne qui serait encore en vie.
La particularité du blanchiment impose donc l'existence d'un "cadavre", c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir poursuite de blanchiment que de faits ayant donné lieu à une infraction caractérisée. A l'origine de ce délit, en 1987, il convient de rappeler qu'il ne s'agissait que de poursuivre le blanchiment de délits ou crimes liés aux trafics de stupéfiants. Le blanchiment d'une fraude fiscale est d'apparition récente et n'est pas reconnu par tous les pays de la communauté européenne contrairement à la corruption ou à la fraude des fonds communautaires.
En France, sauf erreur de ma part, la fraude fiscale pour être poursuivie nécessite une plainte préalable de l'administration fiscale précédée d'une vérification approfondie suivie de la notification d'un redressement. Dans le dossier en cause, il semble que le procureur s'était plaint que la révélation qu'il avait faite à l'Administration n'ait pas été suivie d'effets.
Il semble que depuis les "choses" ont évolué puisqu'elles auraient donné lieu à enquête. Mais pas encore à poursuite. Un classement sans suite s'apparenterait à un blanchiment de tout soupçon.