Alors que les universités traversent leur plus grave crise financière, leur travail quotidien prend une dimension nouvelle : ils ne cherchent plus seulement à enrichir l'offre universitaire, mais à sauver l'essentiel.
Sandra Bouscal, ancienne directrice de la Fondation Dauphine, ne cache rien des difficultés rencontrées. "On a fait des erreurs, on a appris", confie-t-elle. Son parcours illustre celui d'une profession en construction : formée à l'INSEAD, passée par HEC Paris puis par l'IMD à Lausanne, elle a fini par Dauphine avec en poche une méthode forgée par trente ans d'expérience.
Les résultats parlent : doublement de la collecte annuelle, passage de 2 à 4 millions d'euros. Mais Sandra Bouscal relativise : "C'est une goutte d'eau face aux besoins réels d'une université comme Dauphine." Une modestie partagée par ses pairs dans un secteur qui découvre encore ses propres limites.
Nathalie Bousseau, directrice de la Fondation École Centrale Paris et présidente de l'Association Française des Fundraisers, rappelle cette réalité : "Les débuts sont généralement difficiles, y compris pour les écoles les plus prestigieuses. Car les alumni sont souvent loin de leurs écoles, et n'ont gardé que peu de liens avec leur alma mater."
Des disparités qui révèlent l'ampleur du défi
L'étude menée par Sophie Rieunier, professeur à Paris-Est Marne-la-Vallée, dévoile des écarts vertigineux : certaines fondations universitaires ont collecté 14 000 euros depuis leur création, quand d'autres atteignent 30 millions. Cette disparité illustre moins les inégalités de talents que la diversité des contextes et des moyens alloués.
Christel Bériot, directrice générale de la fondation de l'université de Cergy-Pontoise et créatrice du Réseau des fondations des universités, le confirme : "Toutes les universités n'ont pas le budget pour le faire. D'autant plus qu'il faut du temps avant de voir les effets et le retour sur investissement."
Les chiffres de l'étude Sophie Rieunier sont parlants : les fondations universitaires collectent en moyenne 603 000 euros par an, avec un budget moyen de 300 000 euros et 2,8 salariés à temps plein. Des moyens dérisoires au regard des centaines de millions d'euros de budget de fonctionnement des universités.
Une profession qui cherche encore sa voie
"Avant de faire du fundraising, il faut faire du friend raising", résume Nathalie Bousseau. Cette formule illustre l'apprentissage collectif d'un secteur qui découvre que les techniques anglo-saxonnes ne se transposent pas mécaniquement en France.
Les erreurs sont nombreuses, assumées. Sandra Bouscal se souvient de la fondation Dauphine à son arrivée : "Elle avait été créée en mode 'on va rendre service aux profs'. Résultat : 18 salariés pour à peine 2 millions d'euros collectés." La restructuration qu'elle mène, ramenant l'équipe à 10 personnes tout en doublant les revenus, illustre un apprentissage par tâtonnements.
Car ces professionnels inventent au jour le jour leurs méthodes. Contrairement aux États-Unis où le fundraising universitaire s'appuie sur des décennies d'expérience, la France découvre ce métier. "Il n'y a pas de formule magique", insiste Sandra Bouscal. "Chaque institution doit développer sa propre approche en fonction de ses forces et de son identité."
Quand la crise révèle les limites du modèle
L'actualité budgétaire donne une résonance particulière à ces témoignages. Malgré les efforts de professionnalisation, les montants collectés restent marginaux face aux défis. Les 4 millions d'euros de Dauphine, performance remarquable dans le secteur, représentent moins de 3% du budget annuel de l'université.
Cette réalité interroge sur la capacité réelle du mécénat privé à compenser la baisse des financements publics. "Les financements obtenus par les fondations ne bouleversent pas le budget des universités, mais ils permettent de financer des projets qui n'existeraient pas sans eux", reconnaît Sophie Rieunier dans son étude.
Une observation que confirme l'analyse des pratiques : 87% des dons proviennent du mécénat des entreprises, principalement pour des projets fléchés comme des chaires de recherche (62%) ou des bourses étudiantes (33%). Des financements précieux mais qui ne résolvent pas la question du financement de base des universités.
Entre pragmatisme et limites assumées
Ces professionnels du fundraising universitaire ne revendiquent pas de miracle. Ils témoignent plutôt d'un pragmatisme assumé face à un défi qui les dépasse. Sandra Bouscal, aujourd'hui fondatrice de Comète Conseil après avoir quitté Dauphine, continue d'accompagner des institutions : Neoma Business School, le Château de Fontainebleau, des fondations de santé.
"On fait ce qu'on peut avec les moyens du bord", résume-t-elle. Une humilité qui tranche avec les discours parfois triomphalistes sur la "révolution" du fundraising français.
Car au-delà des techniques et des stratégies, ces artisans du financement universitaire butent sur des réalités structurelles. Comment développer une "culture du don" dans un pays où l'enseignement supérieur public reste, dans les représentations, un bien commun financé par l'impôt ? Comment convaincre des particuliers de donner à des universités qu'ils n'ont souvent pas fréquentées ?
Une profession en quête de reconnaissance
L'existence même de l'Association Française des Fundraisers, qui revendique la reconnaissance du métier depuis 1991, témoigne de cette recherche de légitimité. Le titre de "directeur ou directrice de la collecte de fonds et du mécénat" a été inscrit au Registre National des Certifications Professionnelles en 2015, marquant une étape dans la professionnalisation du secteur.
Mais cette reconnaissance institutionnelle ne gomme pas les interrogations sur l'avenir. Dans un contexte de crise budgétaire aiguë, ces professionnels se retrouvent en première ligne d'un défi qui dépasse leur seule expertise technique : maintenir l'excellence de l'enseignement supérieur français sans en transformer fondamentalement le modèle.
L'expérience de Sandra Bouscal à Dauphine, comme celle de ses pairs dans d'autres établissements, illustre cette tension : des professionnels consciencieux qui perfectionnent leurs méthodes face à un océan de besoins que leurs efforts, aussi méritoires soient-ils, ne peuvent combler seuls.
Dans cette équation complexe entre service public et financement privé, ces artisans discrets du fundraising français continuent leur travail quotidien, entre espoirs mesurés et réalisme assumé. Leur modestie face à l'ampleur du défi pourrait bien être leur plus grande force dans les turbulences qui s'annoncent.