Hier, le massacre de l'équipe de Charlie Hebdo a signé une fois de plus la violence potentielle de toute croyance. À priori ces assassinats n'ont rien à voir avec un combat pour plus de justice. Nous verrons plus loin que c'est pourtant bien sur ce terreau que se développe le fanatisme.
Mais l'horreur est d'abord le fruit de la prétention imbécile à détenir la Vérité. Ce que les religieux de tous poils appellent le blasphème, n'est jamais que l'expression d'un doute ou d'une opinion contradictoire. Une caricature ne fait jamais que grossir le trait de ce qui apparait, pour son auteur et pour ses lecteurs, comme des absurdités, des incohérences, des dysfonctionnements ou des contradictions. La dialectique nous a appris que les contradictions font progresser la pensée. Ce processus est rarement souhaité par ceux qui profitent des vérités « révélées » !
Au départ de l'atrocité il y a trois ingrédients : l'injustice, des personnalités charismatiques et une utopie fédératrice. L'utopie, ici l'islam, peut prendre des formes très différentes. Même le Bhoutan, doux pays du Bonheur national brut a perpétré une purification ethnique particulièrement cruelle dans les années 1980, au nom du Bouddha. Les utopies de la révolution française, du marxisme et du nazisme ont elles aussi été des catalyseurs de la barbarie. Point n'est donc besoin d'un Dieu pour transformer un peuple en une monstruosité. Toute utopie partagée peut faire l'affaire, si les deux autres facteurs sont présents.
Venons-en au facteur déterminant, l'injustice. Je ne reviendrai pas sur la condition des populations à la veille de la révolution française, de la révolution bolchevique de 1917, ni avant le référendum qui a plébiscité Hitler le 19 aout 1934. Dans ces trois cas emblématiques il y a un point commun : les inégalités entre classes sociales et donc la faim pour les moins favorisés.
Les révolutions arabes commencées en 2011 partagent le même préalable. Faut-il rappeler qu'il s'agissait au départ de « révoltes de la faim » ? La pénurie de matières premières, notamment agricoles, a été organisée au moment de la crise de 2008 essentiellement par les investisseurs institutionnels. Dès que bulles spéculatives, largement assimilables aux pyramides de la fripouille Ponzy1 ont menacé d'éclater, ces investisseurs ont cyniquement choisi de spéculer sur les produits agricoles, puis de constituer des stocks importants pour booster les marchés et s'assurer des revenus considérables aux dépens des populations les plus fragiles2. Aujourd'hui les agrocarburants qui sont produits au détriment de la nourriture et la croissance exponentielle de la population mondiale, maintiennent des prix insoutenables. Dans un tel contexte il n'est pas nécessaire d'avoir un bien grand charisme pour fanatiser les foules...
Le discours de la plupart des petits imbéciles qui partent combattre en Syrie ou ailleurs fait apparaitre une quête de justice, avant même d'être un combat religieux. L'utopie religieuse sert ici de catalyseur. Elle fédère, elle promet le paradis à ceux qui combattent les mécréants affameurs, elle diabolise les autres et permet de se venger de toutes ses frustrations qui vont du légitime « je n'ai pas à manger » au stupide « je n'ai pas de quoi me payer un Ipod ou un sac Vuiton pour ma Meuf ».
Ne laissons pas le piège mortel se refermer ! La frustration des populations musulmanes est l'atout principal de ceux qui tirent les ficelles des marionnettes tueuses. L'acte qui a été commis n'a de sens que pour attiser d'avantage l'islamophobie. Faisons exactement le contraire de ce qu'ils attendent de nous. Combattons notre peur de la différence. Refusons de confondre Islam et islamisme. Interdisons-nous toute marque d’intolérance ou de mépris. Ne craignons pas le dialogue. Ayons de la compassion pour ceux qui vivent dans la misère parce qu'ils n'ont pas un nom ou une physionomie qui leur permet d'obtenir un travail. Soyons solidaires.
Jean-Pierre Wauters
1Voir « Des pyramides de Ponzi dans l'économie » article de Kaushik BASU, premier vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale. Pour la Science octobre 2014.
2 Lire dans « Bancocratie » de Éric Toussaint notamment pages 201-206. « KBC-Life MI Security Food Prices » nous proposait de tirer profit de la « pénurie d'eau et de terres agricoles exploitables » ayant pour conséquence « une pénurie de produits alimentaires et une hausse du prix des denrées alimentaires ». On fait difficilement mieux en matière de cynisme...