Deuxième partie des éléments de formation sur le nazisme : l’idéologie nazie
Introduction : l’analyse de l’idéologie nazie et la question des « extrêmes »
La rhétorique des « extrêmes » qui se rejoignent et s’alimentent les uns les autres, est bien installée dans le champ politique et idéologique aujourd’hui, mais elle a des racines intellectuelles qui sont lointaines. Une de ces racines est l’historiographie du nazisme dans ses rapports avec le communisme. C’est ainsi qu’un historien comme Ernst Nolte analysait la situation européenne de l’entre-deux-guerres après 1933 comme celle de la confrontation fondamentale entre deux grands Etats idéologiques qui se retrouvaient face à face en Europe et dont la politique était déterminée en dernière analyse par des conceptions qui se voulaient des interprétations de l’histoire mondiale d’hier et de ce qu’elle serait demain, qui entendaient aussi rendre compte du sens de la vie humaine. Cet historien conservateur allemand qualifiait ainsi l’accession au pouvoir de Hitler en 1933 comme « la prise de pouvoir antimarxiste en Allemagne ». Pour lui, 1933 s’expliquerait, avant même par l’enthousiasme de l’Allemagne nationaliste et les conséquences de la crise économique de 1929, par la peur d’une révolution communiste perçue comme imminente, avec une véritable guerre civile à la clef et les déferlements d’une « terreur asiatique ». Dans cette interprétation, les dirigeants nazis, loin d’être seulement des aventuriers politiques cyniques, auraient agi avant tout sous l’empire d’émotions et de passions idéologiques antibolcheviques et antimarxistes, ayant pour origine des sentiments bourgeois, même poussés à l’incandescence par le Novembre allemand de 1918 et la révolution russe de 1917. C’est ainsi que le 10 février 1933, quelques jours après avoir été nommé Chancelier, Hitler prit la parole dans le Sportpalast de Berlin. On pouvait lire en grosses lettres, au-dessus du pupitre de l’orateur : « le marxisme doit mourir ». Et c’est autour de ce mot d’ordre que s’articula tout le discours : « le marxisme, c’est la perpétuation de la division de la Nation […] Pacifiste à l’extérieur, il est terroriste à l’intérieur et c’est seulement ainsi que cette philosophie de la destruction et de la négation éternelle a pu s’imposer […] Ou c’est le marxisme qui vaincra, ou c’est le peuple allemand. Et c’est l’Allemagne qui vaincra ! ». Le 2 mars, nouveau discours enflammé contre l’URSS : « des millions d’hommes sont morts de faim dans un pays qui pourrait être le grenier du monde […] Ils parlent de fraternité. Nous connaissons cette fraternité. Il faut passer par les armes des centaines de milliers, des millions, au nom de cette fraternité ». Et vient la péroraison : « Si une bourgeoisie faible devait capituler devant semblable démence, nous reprendrions, nous, le combat contre cette démence ». Göring de son côté proclama n’avoir d’autre raison mission que d’anéantir et d’éliminer ses adversaires et accusait : « lorsque, voici quatorze ans, nous sommes revenus du front, on nous a arraché nos épaulettes et nos décorations, on nous a traîné dans la boue, on a brûlé nos drapeaux qui avaient victorieusement défié le monde entier. Vous avez à l’époque souillé notre être intime, vous avez foulé aux pieds notre cœur, de même que vous avez foulé aux pieds l’Allemagne ». Et, pour finir : « qu’auriez-vous fait si vous aviez pris le pouvoir à notre place ? Vous nous auriez raccourci d’une tête sans autre forme de procès » [1]. On voit bien ici la complexité des faits historiques. Complexité inextricable même de facteurs liés entre eux mais qu’il faut néanmoins distinguer. Facteurs ô combien complexes et nombreux, dont certains ont déjà été évoqués dans la séance précédente : folie nationaliste et militariste, l’ère du colonialisme et de l’impérialisme qui a saisi comme une furie l’Europe de la fin du XIXe siècle et puis, last but not least, la propagation des schèmes de pensée racistes. D’où l’image que je prendrais volontiers du mikado, qui implique une grande délicatesse dans le soupèsement de chaque facteur et le détricotage d’un nœud si inextricable.
Complexité veut dire en l’occurrence le refus de s’en tenir à un simple fonctionnalisme reposant sur la logique de la lutte des classes ou d’une lutte à mort entre deux idéologies. Il faut passer, on a cherché à le faire précédemment, par une analyse historico-génétique, et donc par le temps long de l’idéologie. Ainsi la thèse de Nolte ne résiste pas à l’objection du facteur central du racisme antisémite chez les nazis ; inversement, ne retenir du nazisme que l’antisémitisme sans dire un mot des luttes sociales, politiques et idéologiques de l’époque, c’est déformer gravement la réalité de l’Allemagne et de l’Europe de l’entre-deux-guerres.
- La mythologie antisémite et le thème de la « conspiration juive »
La question du temps long de l’idéologie se pose en premier lieu pour l’antisémitisme, bien sûr, qui n’est pas une invention hitlérienne. Un historien aussi important que Norman Cohn notait dès 1967 qu’il « est clairement établi que la forme première de l’antisémitisme fut l’antisémitisme démonologique, c’est-à-dire l’idée que le judaïsme est une organisation conspirative, placée au service du mal, cherchant à déjouer le plan divin, complotant sans trêve la ruine du genre humain. Il est également établi que l’antisémitisme démonologique est d’origine chrétienne ». Et il développe dans son livre fondateur sur les Protocoles des Sages de Sion que l’histoire de ce faux antisémite célèbre n’est qu’un post-scriptum à cette histoire ancienne, montrant comment « l’antisémitisme démonologique fut ranimé et modernisé aux XIXe et XXe siècles par une poignée de chrétiens excentriques et réactionnaires, les uns catholiques romains, les autres grecs-orthodoxes, et repris ensuite, sous une forme dûment modifiée, par les racistes, notamment par Hitler et ses partisans ». Il précise que pendant la première moitié du XXe siècle les Protocoles des Sages de Sion étaient probablement, après la Bible, l’ouvrage le mieux diffusé en Occident, et le mythe de la conspiration mondiale juive fut un important facteur du cours pris par l’histoire. Un grand nombre d’hommes, « qui n’étaient ni aliénés, ni illettrés, étaient persuadés que tous les événements politiques, sociaux et économiques, depuis les nominations diplomatiques jusqu’aux crises, révolutions et guerres, étaient décidé par une organisation secrète juive ». C’est ainsi qu’un « vent de folie a naguère balayé la majeure partie de l’Europe, ainsi que de nombreux pays dans le reste du monde ; rien de semblable n’a été vu depuis la chasse aux sorcières qui, au XVIe et au XVIIe siècle, a causé la mort d’un ou deux millions de femmes », bien que tout cette histoire soit presqu’entièrement oubliée aujourd’hui et paraisse complètement saugrenue. Si Cohn ne nie pas le rôle de la Première Guerre mondiale et de la révolution communiste, et celui de la crise économique de 1929, il réfute l’idée que ces crises aient abouties au nazisme sans l’action propre, l’efficacité propre de ces mythes : « il existe un monde souterrain dans lequel les délires pathologiques, déguisés en idées, servent à des escrocs et à des fanatiques semi-lettrés pour exciter les masses ignorantes et superstitieuses. Dans certaines circonstances, ce monde émerge soudainement des profondeurs pour fasciner, capturer et dominer les esprits les plus équilibrés et les plus responsables, qui perdent leur équilibre et leur sens des responsabilités », avec un mythe faisant « appel aux pulsions destructrices et paranoïdes présentes à l’état latent chez les êtres humains ». Le but de son livre est de montrer comment ont été réactivés entre la Révolution française et 1945 d’« immémoriaux délires, et ce qui s’ensuivit » [2].
Il est évidemment hors de question de retracer ici la longue et complexe histoire de l’antisémitisme ici, qui commence très tôt puisque dès les Evangiles la mort de Jésus est imputée aux Juifs, par le biais de la figure-repoussoir de Caïphe, le grand-prêtre du Temple de Jérusalem, puis celle de Judas Iscariote [3], le traître par excellence, payé par les Juifs pour faire périr Jésus. Cependant nous pouvons donner quelques jalons de l’image occidentale traditionnelle du juif comme être mystérieux, doté de pouvoirs troublants et sinistres. Dès le christianisme primitif Jean Chrysostome (344-407) qualifiait, pour pousser les chrétiens judaïsants d’Antioche en Syrie à rompre définitivement avec le judaïsme, la synagogue de « temple de démons… caverne de diables » et traitait les Juifs d’assassins et destructeurs, possédés par l’esprit malin. Pour saint Augustin (354-430), les anciens enfants favoris de Dieu étaient devenus les fils de Satan. Surtout, les Juifs étaient apparentés avec l’Antéchrist, le « fils de la perdition », dont le règne tyrannique, d’après saint Paul et l’Apocalypse selon Jean, doit précéder l’avènement du Christ. Or selon de nombreux Pères de l’Eglise l’Antéchrist sera un Juif et les Juifs ses fidèles les plus dévoués. Imaginaire diabolique mais aussi et surtout apocalyptique, donc. Au milieu du Moyen Age, pendant l’hégémonie de l’Eglise catholique, ces mythes furent réactivés, surtout à partir de la première croisade (1095) où les Juifs furent présentés comme des enfants du diable et comme des agents dont se servait Satan afin de combattre la Chrétienté. Au XIIe siècle, on en vint à les accuser de l’assassinat rituel des enfants chrétiens pendant la Pâque, de la profanation des hosties et de l’empoisonnement des puits. Surtout, on pensait que les Juifs adoraient le Diable qui en retour les rendait maîtres de la magie noire. Dès l’époque circulait des rumeurs au sujet d’un gouvernement juif secret siégeant dans l’Espagne musulmane : composé de rabbins il était censé diriger une guerre secrète contre la Chrétienté et se servir de la sorcellerie comme arme principale. Ces thèmes ont été largement propagés par le bas clergé notamment, avec un effet très puissant sur les fidèles [4].
Sous sa forme moderne, le mythe de la conspiration mondiale juive vient de l’abbé Barruel. Dès 1797, il publie les cinq volumes de son Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme, où il cherche à montrer que la Révolution française est le point culminant de la conspiration séculaire de la plus secrète des sociétés secrètes. Pour lui l’origine de la Révolution vient de l’ordre médiéval des Templiers qui aurait survécu à sa dissolution en 1314 et qui aurait juré, une fois transformé en société secrète, de détruire toutes les monarchies, de renverser la papauté, de prêcher à tous les peuples une liberté sans limites et de créer une république mondiale contrôlée par lui. Au long des siècles, cette société secrète aurait empoisonné de nombreux monarques ; au XVIIIe siècle, elle aurait mis la main sur l’ordre des francs-maçons qui devient son outil. En 1763, elle aurait créé une académie littéraire secrète, composée de Voltaire, Turgot, Condorcet, Diderot et d’Alembert, laquelle se réunissait dans la maison du baron d’Holbach, et cherchait à saper par ses publications la vraie religion et la moralité des Français. A partir de 1776, Condorcet et l’abbé Sieyès auraient mis sur pied une vaste organisation révolutionnaire, comptant un demi-million de Français, qui devinrent les Jacobins de la Révolution. Mais les dirigeants secrets de celle-ci et les véritables chefs du complot, étaient d’après Barruel les Illuminés de Bavière d’Adam Weishaupt, « les ennemis de la race humaine et les fils de Satan »[5]. C’est à cette poignée d’Allemands qu’obéissaient aveuglément tous les francs-maçons et les Jacobins de France, et c’est à eux qu’il fallait livrer combat pour les empêcher d’étendre rapidement leur empire au monde entier. Si dans un premier temps Barruel ne mentionne pas les Juifs sur la fin de sa vie (1740-1820) le jésuite voit les Juifs alliés aux Templiers depuis les Moyen Age ; le complot mondial était coiffé par un Conseil suprême, qui nommait un Conseil intérieur, lequel élisait un Grand Maître, despote oriental à la manière du Vieux de la Montagne de la secte musulmane des Assassins, ordonnant l’assassinat pour la moindre désobéissance [6].
Il faut aussi noter la prégnance puissante des Protocoles et du complot juif dans la tradition catholique ultérieure : ainsi le livre d’un pieux aristocrate catholique français de convictions ultramontaines et légitimistes, le français Gougenot des Mousseaux (1805-1876), intitulé Le Juif, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens (1869). L’auteur s’y déclare convaincu que le monde est en train de tomber entre les mains d’un groupe d’adorateurs de Satan, qu’il appelle les « Juifs cabbalistes ». La Cabbale [7] étant pour lui une religion démoniaque secrète instituée par le Diable au commencement même du monde : les premiers sectateurs sont les fils de Caïn, puis les Juifs. Culte d’adoration de Satan, avec comme symboles le serpent, le phallus, et un rituel d’orgies érotiques innommables, acquisition de pouvoirs magiques en assassinant les enfants chrétiens, etc. La fin de son livre sera reprise par les Protocoles : il y prophétise qu’au milieu du chaos politique les « multitudes fanatisées » tourneront vers un homme que les Juifs acclameront comme leur Messie qui renversera le christianisme et unira l’humanité dans une grande république, avant de se révéler l’instrument de Satan et de perdre l’humanité. Or, des Mousseaux s’inspire directement des prophéties chrétiennes sur l’Antéchrist, ainsi dans la Seconde Epître aux Thessaloniciens, où saint Paul [8] explique que la seconde venue du Christ et le Jugement dernier seront immédiatement précédés de l’apparition de l’Antéchrist, « l’homme du péché, le fils de la perdition ». Il établira ainsi selon ce livre son règne sur le monde entier, jusqu’à ce que le Christ, de retour sur terre, le détruise par le souffle de sa bouche. A ces mythes archaïques, des Mousseaux allie pourtant des éléments propres à l’antisémitisme moderne : l’antirépublicanisme, la hantise d’un forme étatique supranationale et du cosmopolitisme, les développements sur le règne de l’« Or » et de la « Presse », etc., que l’on retrouvera dans les Protocoles aussi bien que dans la rhétorique nazie. Cette tradition ultra-réactionnaire et complotiste antisémite, aussi bien qu’antimaçonnique se poursuivra dans le monde catholique avec un prélat français comme Ernest Jouin (1844-1932), éditeur et infatigable promoteur des Protocoles, fondateur en 1912 de la Revue internationale des sociétés secrètes… et protégé par les papes Benoît XV (pape de 1914 à 1922) et Pie XI (1922-1939), adeptes de la lutte contre le péril judéo-maçonnique [9].
2. La formation de la Weltanschauung hitlérienne
Houston Stewart Chamberlain (1855-1927), beau-fils de Richard Wagner : saisit par « ses démons intérieurs », devint en 1900 le prophète de la race aryenne. Fils d’un amiral anglais, élevé en France mais Allemand de cœur et d’adoption, était un grand malade que seule la défense du germanisme soulageait de ses maux. La Genèse du XIXe siècle (1899), une somme de 1500 pages très érudite d’apparence bien que franchement éclectique où il théorise la notion de science germanique-aryenne, s’opposant à la stérilité culturelle et religieuse juive, qui n’a jamais découvert quoique ce soit, comme de la sous-humanité des Noirs : il pose donc les bases d’une philosophie raciale des sciences. Volontiers scientiste, il cite Darwin pour l’importance décisive de la race. L’histoire universelle y est présentée comme une lutte à mort entre l’idéalisme, incarné par la « race » allemande, et le matérialisme, incarné par la race juive. Pour lui, seules ces deux races étaient restées pures, les autres peuples étant un « chaos de peuples ». Au long des siècles, la race juive avait tenté par tous les moyens d’assoir sa domination sur toutes les autres nations du monde. Seule la défaite de cette race permettrait à la race allemande de réaliser la mission à laquelle elle était divinement appelée, et de créer un monde nouveau et radieux, empreint d’une noble spiritualité, combinant mystérieusement la science et la technologie moderne avec la culture agraire et hiérarchisée du lointain passé [10].
Ses deux obsessions sont l’Eglise catholique et les Juifs, tous deux ennemis mortels de la race germanique. Sous le titre de Conscience de la coulpe raciale, il traite de la « genèse physique » des Juifs. D’après lui, la race juive est issue d’un mélange antinaturel entre Bédouins du désert sémites, Hittites et Syriens ; mais elle aurait pris conscience de sa tare originelle, de ce que son « existence est péché, son existence est un crime contre les saintes lois de la vie ». Ainsi ce « n’est pas l’individu mais le peuple entier, qui devait être lavé d’une faute commise non pas consciemment, mais inconsciemment ». C’est pourquoi les Juifs auraient conçu le dessein héroïque de cultiver une race pure artificielle ; dans son chapitre « Les Juifs dans l’histoire occidentale », Chamberlain exposait comment la force de caractère des Juifs leur avait permis de dominer, malgré l’infériorité flagrante de l’intelligence et du nombre, les « Celto-Slavo-Teutons ». Leur entreprise aurait débuté aux tems de la reconstruction du Temple, sous l’empereur perse Cyrus : « il advint que peu avant la mort d’Ezéchiel, le noble roi des Perses, Cyrus, conquit les territoires babyloniens ; avec la naïveté de l’Indo-Européen, qui n’est pas malin de sa nature, il autorisa le retour des Juifs, et leur accorda son appui pour la reconstruction du Temple ; sous la protection de la tolérance aryenne s’érigea le foyer d’où l’intolérance sémitique allait, pendant des millénaires, se répandre comme un poison sur la terre, pour le malheur de tout ce qui se produirait de plus noble, et à la honte éternelle du christianisme ». En dépit de toutes les persécutions et de tous les bûchers, les Juifs surent imposer en Europe leur terrible volonté : « L’Olympe et le Walhalla se dépeuplèrent parce que les Juifs le voulurent ainsi ; Iaveh devint le Dieu des Indo-Européens ». De ce fait, au XIXe siècle l’emprise juive s’exerçait dans tous les domaines : « la possession de l’argent n’est en soi que peu de choses : ce sont nos gouvernements, notre justice, notre science, notre commerce, notre littérature, notre art, à peu près toutes les formes de notre activité qui sont devenues esclaves plus ou moins volontaires des Juifs ». Pour Chamberlain, le salut réside dans la déjudaïsation du christianisme, cherchant à démontrer la non-judéité de l’homme divin. Dès sa publication, l’ouvrage devint la nouvelle Bible raciste de centaines de milliers d’Allemands, dont l’empereur Guillaume II qui lui écrit une lettre enflammée en 1901 : « Je sentais d’instinct que nous, les jeunes [il avait 42 ans à cette date !] avions besoin d’une autre formation, pour servir le nouveau Reich. Notre jeunesse opprimée manquait d’un libérateur tel que vous ! Celui qui nous a révélé la source indo-aryenne […] Ainsi donc, l’aryanisme germanique originel (das Urarische-Germanische) qui sommeillait dans les profondeurs de mon âme devait s’affirmer au prix d’un dur combat. Il se manifestait par une hostilité ouverte contre la « tradition ». En 1924 encore, il déclarait que le christianisme était issu du paganisme et non du judaïsme, des Perses et non des Hébreux – en même temps qu’il déclarait avoir été victime d’un complot juif mené par les Sages de Sion qui a amené son abdication [11] avec la Révolution allemande de Novembre 1918. On peut aussi noter que la Genèse du XIXe siècle eut un accueil franchement favorable dans le monde anglo-saxon lors de sa traduction en anglais en 1911, ainsi dans le Times de Londres qui qualifiait l’ouvrage de chef d’œuvre marquant toute la période intellectuelle. Aux Etats-Unis le président Théodore Roosevelt notait avec satisfaction la dénonciation chez Chamberlain des doctrines égalitaires aussi fausses que pernicieuses[12].
Dietrich Eckart (1868-1923) peut être considéré comme le mentor d’Hitler, le seul homme dont il reconnaît l’influence directe et comme son maître en politique. Il s’engage politiquement au moment de la République des Conseils, à Munich en 1919 en expliquant que c’était l’internationale de l’or qui avait été à l’origine de la guerre mondiale, que les vrais coupables n’étaient ni les propriétaires fonciers, ni les industriels, mais les Rothschild, les Mendelssohn, etc., c’est-à-dire les Juifs, et qu’il fallait faire la seule vraie révolution, la révolution contre la finance. Sa revue Auf gut deutsch (1919) a été ensuite proclamée la première revue nationale-socialiste : il réclamait l’instauration d’un vrai socialisme et dénonçait comme « clichés » vides de sens les termes de bourgeoisie et de prolétariat en ajoutant : « Ne nous laissons plus inciter à nous haïr les uns les autres ! Que seul celui qui est de pur sang allemand puisse avoir de l’influence ! ». L’antisémitisme de la revue est très violent : « Aucun peuple au monde, pas même la race d’assassins d’Attila, ne le laisserait [le juif] en vie s’il pouvait brusquement percer à jour ce qu’il est et ce qu’il veut ; alors, criant d’horreur, il l’ étranglerait dans la minute qui suit ». Les jugements de la revue sur les événements de la politique mondiale sont exprimés sur un ton et un style eschatologique : la révolution bolchevique est une « dictature d’égorgeurs de chrétiens exercée par le messie juif Lénine et son Elie, Trotsky-Bronstein ». Comme Hitler lui a dédié son Mein Kampf, et parlait toujours de lui avec une véritable vénération (son « maître », son « étoile polaire », etc.) il faut examiner la pensée d’un tel homme. Le livre-clé est un écrit inachevé, publié en 1924 à Munich et intitulé Le bolchevisme de Moïse à Lénine. Dialogue entre Adolf Hitler et moi. Il s’agit d’une « conception de l’histoire » totale et d’un simplisme extrême : l’histoire est pensée sur le mode de la nature imperturbable et immuable. S’il y a des perturbations de nature chaotique, c’est qu’il y a dans l’histoire une force cachée et destructrice ; cette force c’est « le juif ». Eckart reprend donc le discours des contre-révolutionnaires français du 19e siècle qui se réclamaient d’une société conçue comme « ordre naturel » intangible, ainsi Louis de Bonald (1754-1840). On voit bien comment cette négation de l’ histoire en tant que processus historique appelle, devant la réalité des évolutions et plus encore, des révolutions, une explication de type démonologique, un facteur « antinaturel » venant perturber l’ordre (les Francs-Maçons et les philosophes chez l’abbé Barruel). Mais il y avait deux tendances contre-révolutionnaires au 19e siècle : la spiritualiste-traditionnaliste chrétienne autour de Bonald et de Maistre, et la matérialiste- raciste autour de Gobineau. Eckart et Hitler vont combiner les deux et surtout ils vont combiner ce pessimisme historique radical (surtout chez Gobineau) avec un ultra-volontarisme, au fond désespéré. Surtout, en désignant une race précise comme facteur de désagrégation, l’on aboutit à un catalyseur politique d’une puissance extrême.
La vision de l’histoire développée, peu connue, mérite que l’on s’y arrête : il réinterprète l’Exode comme un complot criminel des Juifs contre la classe dirigeante égyptienne : « exactement comme chez nous », dit Hitler, les Juifs avaient su gagner à leur cause la classe inférieure (la « populace ») en la berçant de discours égalitaires et en lui prêchant le mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous »). La révolution juive (signalée par le meurtre des premiers-nés égyptiens) a été déjouée de justesse par la fraction « restée nationale » des Egyptiens, et avait été « définitivement déjouée grâce à l’expulsion des Juifs » et de la « populace ». Moïse avait donc été le premier chef du bolchevisme. Il est clair que dans le contexte de l’Allemagne du début des années 1920, l’identification du bolchevisme et des Juifs avait une puissance explosive. Dans la population allemande, l’identification du capitalisme au judaïsme était déjà un idée reçue ancienne et éprouvée. Mais la bourgeoisie allemande a reçu comme un tel choc la vague révolutionnaire de l’après-guerre que le thème du « bolchevisme juif » s’est imposé et a trouvé des convaincus jusqu’aux libéraux. Ce n’était pas Hitler qui a inventé ce thème : on trouve de longs développements chez un auteur comme Henri Ford à ce sujet. Le bolchevisme est pour Hitler n’est que la forme récente d’un complot juif millénaire, dont le christianisme fait partie : c’est le thème du christianisme-bolchevisme, fomenté par le juif saint Paul qui a ébranlé l’Empire romain avec sa religion universaliste, qui est une religion d’esclaves, et qui plus est cosmopolite : « Tous les hommes sont égaux ! Fraternité ! Pacifisme ! Plus de dignité ! Et le juif triompha ». Mais le bolchevisme est tout autre chose : s’il a fait trente millions de morts il annonce surtout le grand combat final qui prépare les millénaires à venir. Or seule une victoire sans précédent pourra permettre de préserver l’existence des peuples, qui procède de la nature, de l’agression d’un monstre hybride et pernicieux dont le corps est fait de masses humaines inférieures (au sens racial et social du terme) et dont la tête est l’esprit juif. Après cette victoire, les « peuples d’élite du monde » pourront s’épargner les uns les autres et comme le juif aura été éliminé aura ainsi été éliminé le responsable de « toutes les graves injustices sociales sans exceptions » et aussi de toute « révolution ». Il est donc clair dès le départ que la « thérapeutique » ne peut être que radicale : lorsque Eckart rappelle que Luther voulait qu’on incendiât les synagogues et les écoles juives, Hitler fait un signe de dénégation désespérée et dit : « Ça ne nous avancerait sacrément peu de les incendier. Voilà le hic ! Même s’il n’y avait jamais eu ni une seule synagogue, ni une seule école juive, ni l’Ancien Testament, l’esprit juif serait quand même là et il exercerait son influence. Il est là depuis le commencement ; et il n’est pas un juif qui ne l’incarne, pas un seul ». Si l’esprit est un caractère racial (comme chez son maître Houston Steward Chamberlain) et s’il existe un esprit qui se révèle nocif à toutes les époques de l’histoire, celui-ci ne peut être éliminé que par l’anéantissement de sa « substance de chair et de sang », que Hitler considère comme une réalité première. Il ne suffit donc pas d’incendier les synagogues, il faut faire brûler les Juifs, tel doit être le sens de la phrase citée [13]. Cette négation de l’histoire en même temps que ce racisme antisémite fanatique qui expliquait tous les maux de l’histoire mondiale par l’action d’une force démoniaque, le Juif, s’est retrouvée dans toute l’histoire du nazisme, et a été son moteur de plus nucléaire, le plus essentiel. Ainsi le Reichsführer Heinrich Himmler, dans un exposé sur « La SS, organisation de combat antibolchevique », voyait « au cours des âges étinceler sans relâche le glaive du bourreau de Cannstatt et de Verden »[14], s’embraser les bûchers des procès en sorcellerie, l’Inquisition dépeupler l’Espagne et la Terreur révolutionnaire massacrer les meilleurs fils du peuple français. Pour Himmler dans tous ces événements se dissimulait la main de « l’ennemi éternel, le Juif, quel que fût le manteau sous lequel il se dissimulait, quelle que fût l’organisation dont il se servait ». Et Himmler de conclure que les luttes raciales de la sorte ne pouvaient se conclure par une paix, car la défaite pour un peuple-race, signifiait la mort [15].
3. Une idéologie inégalitaire de combat. Populisme et élitisme dans l’idéologie nazie
A première vue le nazisme peut à juste titre être interprété comme un mouvement populaire de masse dont Hitler était le chef plébiscité, avec un vif ressentiment contre les injustices sociales, et des dirigeants qui aspirent à prendre le pouvoir sans appartenir aux milieux dirigeants traditionnels, avec toute une rhétorique de rupture avec le « système ». Le nazisme paraissait avoir pour mots d’ordres principaux ceux de fraternité, d’unité, de « communauté nationale » (Volksgemeinschaft, ou « communauté populaire »), et des millions d’Allemands y ont cru. Hitler donnait dans le style plébéien quand il éructait contre les conservateurs du gouvernement von Papen « ces très nobles Messieurs qui, déjà par leur naissance, font partie d’une tout autre humanité »[16]. Toute une propagande a insisté sur le fait que le nazisme signifiait l’unité nationale, que des millions de gens avaient reconnu qu’ils étaient frères et sœurs, qu’on s’employait à une Volkswerdung (le fait de « devenir peuple ») fusionnelle, celle du Peuple-Un en lutte « existentielle » contre ses ennemis. Hitler insistait de manière centrale sur le fait qu’il rejetait la notion marxiste de classe sociale, facteur de division mortelle de la nation, parce que tous les Allemands avaient le même sang et étaient nés du même sol (c’est le fameux thème du Blut und Boden, « sang et sol » comme facteurs d’unité nationale-raciale), ce qui était plus fort que les séparations socio-économiques[17]. Hitler n’hésitait pas à déclamer que « le combat qui, seul, pourra libérer l’Allemagne, sera livré avec des forces qui surgiront de la grande masse. Sans l’ouvrier allemand, jamais, au grand jamais, elles n’auront un Reich allemand ! Ce n’est pas dans nos salons politiques que se trouve la force de la nation, c’est dans le poing, c’est dans le front, c’est dans la volonté des grandes masses. Aujourd’hui comme toujours, la libération ne peut pas venir d’en haut, mais elle jaillira d’en bas »[18]. C’est sur des déclarations de ce genre que les critiques conservateurs, voire libéraux, de l’hitlérisme se sont souvent appuyés pour plus tard pour affirmer que Hitler avait été un chef de masse plébéien, qu’il n’avait fait que poursuivre l’œuvre de fusion nationale antiaristocratique de la Révolution française, et qu’il fallait par conséquent le placer parmi les successeurs de Rousseau [19].
Cependant, cette interprétation se heurte au fait que dans Mein Kampf Hitler s’en prend violemment à la « bouillie raciale du peuple unitaire », et où il manifeste en de nombreux passages un mépris souverain des masses, qu’il juge indolentes et femelles. Surtout Ernst Nolte, sur qui nous nous appuyons ici, insiste sur les doctrines hitlériennes des noyaux raciaux créateurs de l’Etat, qu’il juge tout droit tirées de Gobineau. Pour Hitler en effet ce sont les noyaux raciaux aryens qui apportent la lumière au monde, et sont les seuls détenteurs de la « force primordiale génératrice de culture ». C’est cette élite raciale qui a pénétré depuis des temps immémoriaux dans les masses racialement inférieures. Ainsi elles ont pu développer leurs facultés créatrices de culture, au moyen – tout à fait légitime- de l’asservissement et de l’exploitation des masses. De sorte que l’élite aryenne va à sa perte si elle succombe au « péché originel » hitlérien, c’est-à-dire si elle mélange son sang à celui de ses esclaves (c’est le thème du « péché contre le sang »)[20]. Ici Hitler s’inscrit dans les pas des conceptions aristocratiques prérévolutionnaires, celles de Boulainvilliers au début du XVIIIe siècle, conceptions reprises par l’agitateur antisémite Edouard Drumont pour attaquer les « juifs parasitaires ».
Pour Nolte, le point décisif est ici qu’une telle doctrine de l’infériorité raciale des classes populaires permet à Hitler de contrer à coup sûr la doctrine communiste. En effet, à ses yeux le communisme n’est pas autre chose qu’une tentative de révolte de couches populaires (y compris allemandes de nationalité) qui étaient jadis dominées, qui sont apparentées les unes aux autres dans toute l’Europe, et sont donc accessibles à des mots d’ordre internationaux – voire internationalistes et pacifistes[21]. C’est donc que la race pour Hitler-contrairement à son discours officiel destiné aux masses- diffère très nettement de la nation. En réalité, derrière le double discours érigé en système politique chez Hitler, il voit la nation comme un système de domination dans lequel sont organisées de races de valeurs diverses. Il s’agit donc d’une doctrine fondamentalement inégalitaire de la nation, sans équivalent strict par exemple dans le fascisme italien. Hitler formulait cette doctrine en petit comité, mais aussi le plus clairement du monde dans son célèbre discours aux industriels de la Ruhr de janvier 1932 qu’il fit publier à des dizaines de milliers d’exemplaires, ce en quoi il manifestait un souverain mépris pour les capacités intellectuelles de ses compatriotes. Il y vise avec beaucoup d’énergie le danger communiste : « mais si cette idéologie se répand chez nous, eh bien, nous ne devons pas oublier que notre peuple est racialement composé lui aussi des éléments les plus divers, et que nous devons voir dans le mot d’ordre « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » beaucoup plus qu’un simple slogan politique de combat. En réalité, il s’y manifeste la volonté de gens qui, de par leur nature, ont effectivement une certaine parenté avec des peuples d’un bas niveau culturel qui leur ressemblent. Mais notre nation et notre Etat eux aussi n’ont été édifiés jadis que grâce à l’exercice du droit absolu de domination et de l’esprit de domination des hommes nordiques, c’est-à-dire des éléments raciaux aryens que nous possédons encore aujourd’hui dans notre peuple ». Si l’on considère que pour Hitler ce sont les intellectuels juif qui donnent à la couche racialement inférieure de la nation les mots d’ordre dont résulte la mort des peuples – c’est-à-dire qu’ils brisent le système de la domination parce qu’ils rompent les frontières raciales-, si l’on considère aussi que les « peuples de l’Est » (les Slaves) représentent pour lui la concentration par excellence d’ « hommes inférieurs » (Untermenschen) qui soit, on voit bien la centralité de l’anticommunisme dans l’idéologie et la mythologie nazie. Ce Volksführer, ce chef du peuple incarnerait donc en réalité, sous une forme extrême, l’idéologie défensive et hostile au classes populaires du conservatisme. On aurait donc là, à coup sûr, une des caractéristiques idéologiques fondamentales du fascisme radical nazi.Un indice allant dans ce sens concerne le fameux discours de 1932 sur la question des rapports entre hitlérisme, anticommunisme et impérialisme : Hitler laissa très clairement paraître combien son idéologie était centrée par son hostilité envers le communisme et l’URSS – mais aussi combien cette hostilité se basait sur l’impérialisme raciste européen. Ainsi il était parti du principe que la race blanche dominait le monde, et justifiait cette domination par une supériorité biologique et raciale – mais une supériorité menacée par le bolchevisme. Selon lui, un Etat s’est dressé avec une Weltanschauung opposée à la domination blanche, et qui va mener le monde entier à sa ruine si on ne l’anéanti pas à temps : « Dans trois cent ans si ce mouvement continue à se développer, on verra en Lénine non seulement le révolutionnaire de l’année 1917 mais encore le fondateur d’une doctrine mondiale nouvelle qu’on adorera peut-être à l’égal de Bouddha » [22].
Sous sa forme la plus radicale, la formation idéologique nazie engendre l’idéal de l’Etat raciste en plein XXe siècle : au-dessus de la masse des Allemands moyens, racialement inférieurs et privés de droits politiques, dont les anciens leaders ont été mis à mort, expulsés du pays ou emprisonnés, au-dessus de cette masse fermement maintenue dans la discipline et la bonne humeur (Kraft durch Freude, « la force par la joie », vaste organisation de loisirs de masse contrôlée par les nazis), s’élève une hiérarchie à son tour dominée par le Führer dont « la volonté est la Constitution »[23]. Il y a cependant une manière supplémentaire de comprendre le nazisme comme un élitisme. Hitler conclut comme « logique ultime » de la doctrine des races le refus de l’idée révolutionnaire et démocratique de l’égalité de valeur entre individus. La première forme de cette affirmation est l’idée que lui-même la plus haute individualité de l’Allemagne, et était prêt à exercer la souveraineté absolue. Pour lui, la première et la plus éminente de ses qualités de chef est qu’il est capable d’attirer comme un aimant les éléments du peuple racialement valables pour les rassembler autour de lui. Le NSDAP – et ensuite surtout la SS- est donc une sorte de réincarnation du noyau aryen du peuple allemand, un élément racial que la nature a prédestiné à la domination. En 1938, Hitler disait déjà aux cent cinquante mille cadres du parti rassemblés à Nuremberg qu’ils étaient le peuple allemand. De la sorte, Hitler arrachait à l’aristocratie son propre principe élitiste et le dirigeait même contre elle, permettant à un Allemand roturier de se considérer comme partie prenante de l’élite raciale du peuple allemand, et de se juger supérieur aux nobles « dégénérés » et « enjuivés »[24].
Mais Nolte pointe finalement – et cela nous semble aussi décisif que généralement inaperçu- que cet élitisme racial nazi n’est pas sans rappeler un certain élitisme bourgeois. Hitler mettait en effet l’accent sur le « principe aristocratique de la nature » (dans Mein Kampf), ce que les aristocrates et les classes possédantes trouvaient tout à fait sympathique. De plus, il défendait le principe des individualités dirigeantes, ce qui plaisait aux industriels, qui avaient beaucoup de compréhension pour l’idée selon laquelle il y a une corrélation nécessaire entre direction politique et direction économique. Finalement, par sa doctrine « sociale-darwinienne » de la victoire inéluctable des plus forts sur les plus faibles il donnait ainsi un chèque en blanc aux éléments les plus violents et ambitieux du peuple, ceux avides de mobilité sociale [25]. Bref, il semble bien qu’Hitler ait fait toute sa place à la doctrine toute bourgeoise de la « survie des meilleurs », « nouvelle édition de la théorie de la « force fait droit » selon Hannah Arendt – bien que vidée de son optimisme libéral [26].
[1] Cité par Ernst Nolte, La guerre civile européenne, 1917-1945, National-socialisme et bolchevisme, Editions des Syrtes, Paris, 2000, p. 57-58
[2] Norman Cohn, Voir Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La « conspiration » juive et les protocoles des sages de Sion, Editions Gallimard, Paris, 1967, p. 19-21.
[3] « Alors les grands prêtres et les anciens du peuple se rassemblèrent dans le palais du grand prêtre appelé Caïphe et ils se concertèrent pour arrêter Jésus et le tuer […] Alors un des Douze, appelé Judas Iscariote, étant allé trouver les grands prêtres, dit : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? » Ils lui comptèrent trente pièces d’argent, et dès lors il cherchait une occasion opportune pour le livrer […] voici que vint Judas, un des Douze, et avec lui une foule nombreuse avec des glaives et des bâtons, envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple […] Les grands prêtres et tout le Sanhédrin cherchaient un faux témoignage contre Jésus afin de le mettre à mort […] Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, en disant : « Il a blasphémé ! » […] Ils dirent : « il est passible de mort ». Alors ils lui crachèrent à la face et le souffletèrent. D’autres lui donnèrent des coups » […] Le matin venu, tous les grands prêtres et anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le mettre à mort. Et, après l’avoir lié, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate, le gouverneur ». Puis vient la scène accusatrice la plus terrible, celle de Jésus devant Pilate : « les grands prêtres et les anciens persuadèrent aux foules de réclamer Barabbas et de faire périr Jésus […] Pilate leur dit : « Que ferais-je donc de Jésus ? […] ils disent tous : « Qu’il soit crucifié ! ». Celui-ci déclara : « Quel mal a-t-il donc fait ? ». Et eux criaient plus fort : Qu’il soit crucifié ! ». Puis, Pilate se lavant les mains en signe d’innocence de ce crime cosmique, le peuple juif dit « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! ». Matthieu, 26, 1 – 27,25.
[4] Norman Cohn, Voir Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La « conspiration » juive et les protocoles des sages de Sion, Editions Gallimard, Paris, 1967, p. 25-26.
[5] Les Illuminés de Bavière ont été une réalité historique tangible : fondés par Weishaupt en 1776, ils avaient pour mission d’instituer le règne de la Raison, l’égalité, la liberté, la destruction de toute religion, des monarchies et des aristocraties, l’unification fraternelle des peuples du monde, mais aussi l’abolition de la propriété privée, selon Léon Poliakov, qui voyait en Weishaupt le précurseur de Marx ou de Bakounine. Léon Poliakov, La causalité diabolique. Essai sur l’origine des persécutions, tome I, Calmann-Lévy, Paris, 1980, p. 150.
[6] Norman Cohn, Histoire d’un mythe, p. 29-36. Il faut noter que l’explication raciale de la Révolution française semble avoir été répandue dès le XIXe siècle : elle était avancée par Catherine II de Russie, et après sa victoire sur la France de 1870, Bismarck déclarait : « La Révolution de 1789 était le renversement de l’élément germanique par l’élément celte, et que voyons-nous depuis ? ». Cité par Léon Poliakov, Le mythe aryen, Calmann-Lévy, Paris, 1971, p. 44.
[7] La Cabbale est un corps de doctrines mystiques juives élaborées pour l’essentiel à la fin du Moyen Age, exposée dans des œuvres telles que le Zohar.
[8] Saint Paul…ou les chrétiens du Ier siècle qui ont écrit cette épître en usurpant le nom prestigieux de l’apôtre de Tarse, dans une atmosphère eschatologique enflammée, où la plupart des croyants semblaient persuadés qu’ils verraient la fin du monde avant leur mort.
[9] Norman Cohn, Histoire d’un mythe, p. 45-52. Cohn signale notamment le rôle de la Civiltà cattolica, revue jésuite romaine et organe semi-officiel du Vatican, dans les années 1880 : « l’Italie, telle que la décrivait la Civiltà cattolica, était en proie, par la faute des Juifs, à la violence, à l’immoralité et au chaos général ; tout comme Hitler allait le faire plus tard, les pères dépeignaient le judaïsme sous l’aspect d’une pieuvre géante étreignant le monde ; la revue renouvelait même l’accusation de meurtre rituel, l’un des thèmes favoris du futur Stürmer. Rien d’étonnant si, ayant cet illustre exemple sous les yeux, des journaux catholiques de province réclamaient l’abrogation de l’émancipation juive, et la confiscation de tous les biens juifs ». Sur l’attitude complice de Pie XI face au fascisme mussolinien, voir Serge Berstein et Pierre Milza, Le fascisme italien (1919-1945), Editions du Seuil, Paris, 1980, notamment les p. 261-263 : « Comme tous les pontifes qui l’ont précédé, Pie XI est d’abord résolument hostile à l’Etat libéral. Pour lui, le libéralisme, c’est la lutte larvée contre l’Eglise, l’anticléricalisme dissimulé sous un manteau de neutralité ». Nonce à Varsovie après 1917, il « est revenu avec l’idée que le principal danger à combattre était celui du bolchevisme […] On pourrait multiplier les textes par lesquels le pape ou les hauts responsables de l’Eglise traitent Mussolini en homme providentiel, de l’existence duquel dépend le sort de l’Italie ». Après l’attentat manqué de Zamboni contre Mussolini (1926) il se réjouit que ce dernier ait échappé au péril qui risquait de « le faire périr et le pays avec lui ».
[10] Voir Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La « conspiration » juive et les protocoles des sages de Sion, Editions Gallimard, Paris, 1967, p. 170.
[11] Voir Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La « conspiration » juive et les protocoles des sages de Sion, Editions Gallimard, Paris, 1967, p. 139.
[12] Léon Poliakov, Le mythe aryen, Calmann-Lévy, Paris, 1971, p. 332-339.
[13] Ernst Nolte, Le fascisme dans son époque, in Fascisme et totalitarisme, Editions Robert Laffont, Paris, 2008, p. 524-530.
[14] Deux batailles au cours desquelles Charlemagne a battu les Saxons de l’Allemagne du haut Moyen-Age, imposant dans la foulée la conversion forcée à la religion catholique à ce peuple resté polythéiste.
[15] Cité par Ernst Nolte, La guerre civile européenne, 1917-1945, National-socialisme et bolchevisme, Editions des Syrtes, Paris, 2000, p. 272.
[16] L’historien Arno Mayer a insisté sur le fait de la domination nobiliaire dans l’Europe centrale de l’entre-deux-guerres, et on a pu voir à juste titre les fascismes comme des mouvements de classes moyennes qui renouvelaient le personnel politique traditionnel.
[17] Adolf Hitler insiste dans Mein Kampf (publié en 1925) sur l’idée que « notre programme remplace la notion libérale d’individu et le concept marxiste d’humanité par le peuple, un peuple déterminé par son sang et enraciné dans son sol. Voilà une phrase bien simple et lapidaire, mais qui a des conséquences titanesques. ». La nation n’est pour Hitler pas composée de citoyens libres et égaux réunis par un projet politique commun, un contrat social à la manière de Rousseau. Elle devient un corps biologique, unissant les hommes liés par des liens de sang, et même un héritage biologique commun et exclusif.
[18] Ernst Nolte, Le fascisme dans son époque, in Fascisme et totalitarisme, Editions Robert Laffont, Paris, 2008, p. 645-646.
[19] Ainsi un historien aussi important que Léon Poliakov n’hésitait pas à voir chez Rousseau « une mystique bio-nationaliste », après laquelle les « théoriciens du IIIe Reich n’avaient pas beaucoup à inventer », une position aussi indéfendable que gravement confusionniste. Léon Poliakov, La causalité diabolique. Essai sur l’origine des persécutions, tome I, Calmann-Lévy, Paris, 1980, p. 145.
[20] Il serait intéressant de faire l’étude comparative avec ce que le sociologue Loïc Wacquant appelle la domination raciale et le « terrorisme de caste » pour le système ségrégationniste de la suprématie blanche aux Etats-Unis entre la guerre de Sécession et les années 1960.
[21] Sur la raciologie de Vacher de Lapouge, qui distingue et hiérarchise plusieurs « races » à l’intérieur même de la population européenne, voir Pierre-André Taguieff, La couleur et le sang. Doctrines racistes à la française, Editions Fayard, Paris, 2002.
[22] Cité par Ernst Nolte, La guerre civile européenne, 1917-1945, National-socialisme et bolchevisme, Editions des Syrtes, Paris, 2000, p. 247-248.
[23] Voir la critique nazie de la démocratie grecque comme « vice démocratique », qui s’explique par une lecture raciologique. « Issu des penseurs français du racisme, Gobineau et Vacher de Lapouge, ce point de vue sur la démocratie est repris et vulgarisé par Rosenberg ». Ce dernier défend que « le symptôme sûr de la décadence raciale grecque est la victoire de la démocratie sur les formes de régime monarchique et aristocratique qui avaient dominé en Grèce archaïque. L’avènement de la démocratie, c’est le triomphe de la masse des esclaves et des ratés sur l’élite raciale des chefs : « Cette démocratie n’était pas le gouvernement du peuple mais la domination de l’Asie mineure sur ces peuples grecs ». L’identification de la démocratie au pouvoir des classes populaires formés esclaves asiatiques chez les nazis semble révélatrice au plus haut point : il s’agit bien d’infériorité raciale des classes populaires. Johann Chapoutot, Le nazisme et l’Antiquité, Presses Universitaires de France, Paris, 2012, p. 514.
[24] Voir l’analyse de l’œuvre de Gobineau chez H. Arendt : « ce que Gobineau cherchait en réalité dans la politique, c’était la définition et la création d’une « élite » qui remplacerait l’aristocratie. Au lieu de princes, il proposait une « race de princes », les Aryens, qui, du fait de la démocratie, disait-il, risquaient de se voir submergés par les classes inférieures non aryennes. Le concept de race permettait d’introduire les « personnalités innées » du romantisme allemand et de les définir comme les membres d’une aristocratie naturelle, destinée à régner sur tous les autres hommes ». Hannah Arendt, L’impérialisme. Les origines du totalitarisme, Gallimard, Paris, 2002, p. 99.
[25] Ernst Nolte, Le fascisme dans son époque, p. 646-649.
[26] Hannah Arendt, L’impérialisme. Les origines du totalitarisme, p. 98.