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Billet de blog 11 janvier 2013

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D'une creuse controverse (l'économie doit-elle être mathématique): faux problèmes et vraies impasses de l'économie par le marché

Jean TRAMUSET

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avant propos

Vous savez quoi, chères et chers Abonné-e-s ? Eh bien que, sur Mdpt, on ne fait pas que passer son temps à enfoncer des portes depuis longtemps largement ouvertes ; dit autrement, on ne fait pas que passer son temps à prouver qu’un système en état de décomposition avancée ne peut qu’être administré par des gens dont la moralité est à l’avenant.

A preuve ? Eh bien figurez-vous que sur Mdpt, ne fût-ce qu’implicitement, il en est aussi qui, sérieusement, préparent l’après capitalisme.

A preuve ? Eh bien, soit cette controverse dans laquelle je me suis récemment trouvé pris, portant sur le statut de l’économie ; concrètement, sur la question de savoir si l’économie est ou non une science.

D’abord, en quoi une telle discussion prépare-t-elle ‘’sérieusement’’ l’après capitalisme (et n’est-elle pas, donc, que : ‘’totalement byzantine : ah, ah, ah… , se gausseront bien entendu d’aucun-e-s, et pourquoi pas discuter de ce qui est le plus répréhensible : être ministre du budget et avoir un compte en Suisse, ou avoir un compte en Suisse et être ministre du budget ?’’) ?

Eh bien, vu l’état du monde que nous a concocté le capitalisme, vu donc la nécessité de le reconstruire (je parle du monde), ne faut-il pas être marxiste ? Et en bon marxiste, ce qu’il faut penser n’est-il pas que ce qui est ‘’premier’’, c’est l’Economique ? D’où vient que, s’agissant de construire la société post-capitaliste, ce qu’il faudra surtout ne pas manquer, c’est la construction des BASES sur lesquelles et du CADRE dans lequel, cette société, nous la ferons fonctionner ? D’où, finalement, cette question effectivement non sans importance : ‘’cela, comment ne pas le manquer ?’’

La réponse est simple : en procédant scientifiquement.

Nous y serons ! Ne sera-ce pas là, en effet, que ce que l’on me dira sera ceci : ‘’mais la ‘science’ économique n’étant pas… une science, comment voulez-vous que la société post-capitaliste puisse, ‘’économiquement’’, être fondée ‘’scientifiquement’’ ?

Or si ce que moi je dis, c’est que, foin du parfait contre-exemple que, tous les jours, l’économie par le marché donne à cet égard (c’est que, nous en sommes bien d’accord, cette économie-là n’est qu’une pure et simple idéologie), oui, l’économie peut-être une science ?

Ce qu’il faut pour cela ? Eh bien, c’est le ‘’b’’ ‘’a’’, ‘’ba’’ : il faut qu’elle soit construite comme une science est construite.

Cela est impossible ?

Eh bien voyez le texte qui suit. Et, quand vous l’aurez lu, dites-moi si ce que vous pensez toujours est que ce qui est ‘’impossible’’ est que l’économie (attention hein ! celle dont, dans ce texte, je dis qu’elle est la seule ‘’vraie’’ !) puisse être une science.

Un dernier mot pour la route : les lignes qui suivent sont extraites de la conclusion de mon essai ‘’Le marché imaginaire (Théorie générale de la crise)’’. Elles datent donc d’il y a quelques années. Il n’empêche : vu leur sujet, ce que je prétends est qu’elles n’ont pas fini d’être d’une brûlante actualité.

Quelle doit être la place des mathématiques en économie se demande-t-on régulièrement ? Ecoutons donc les arguments des uns et des autres…

Sans les mathématiques, nous assène-t-on du haut de chaires totalement vouées à la défense et l’illustration de l’économie… par les mathématiques (!), l’économie ne serait que le lieu des à-peu-près, le domaine où rien ne peut ni être ‘’prouvé’’, ni être ‘’démontré’’ ; elle serait de la ‘’socio-pipeau’’ ; bref, comment ne pas comprendre qu’elle serait le refuge des simples d’esprit ? Mais voilà, où voit-on que la mathématisation de l’économie ait conduit à la véritable intelligence des faits économiques, c'est-à-dire à celle qui, depuis longtemps, aurait conduit à la maîtrise du chômage (‘’aujourd’hui’’ –début 2004- alors même qu’il évalue la population active mondiale à 3 milliards d’individus, le BIT comptabilise 180 millions de chômeurs ; s’agissant des actifs, il en compte… 550 millions dont le salaire est inférieur à… 1 $), à l’éradication des inégalités (aujourd’hui 14 % de la population mondiale contrôle… 80 % du produit global), à celle des crises financières récentes (et soyons en sûrs) à venir… ? Où voit-on que la mathématisation de l’économie ait produit autre chose que des débats totalement vains (voyez… les statistiques du BIT) autour de… la (supposée) pertinence de la mathématisation de l’économie ?

Pour les contempteurs (non moins sûrs de soi et arrogants) de l’inféodation de l’économie aux mathématiques, celle-ci n’a pas d’autre fonction que de la soustraire au débat politique. ‘’En réalité, disent-ils, l’économie est évidemment politique et seule la compréhension de ce fait peut conduire à la vraie connaissance, c'est-à-dire à la vraie maîtrise des faits économiques’’. Certes ! (encore qu’en vérité, nous continuions ici d’être très -très !- loin du compte), mais loyalement, où voit-on que des démonstrations non mathématiques aient imposé sans contredit leurs conclusions pour convaincre la ‘’société’’ (citoyens, élus, responsables et élites) de se détourner de l’approche de l’économie par les mathématiques et reconnaître la supériorité de l’économie… sans (voire contre) les mathématique ?

Les mathématiques, ce qu’elles peuvent et… ce qu’elles ne peuvent pas

S’il est un ‘’problème’’ à propos des mathématiques, celui-ci n’a certes pas grand-chose à voir avec l’OPA lancée par d’habiles ingénieurs et mathématiciens sur les positions de pouvoir qu’aujourd’hui, littéralement bluffé par les prouesses de la technique, notre monde ‘’en quête de repères et de sens’’ donne, hors de toute mesure, aux ‘’scientifiques’’ ; pensé comme tel depuis que l’homme pense, c'est-à-dire qu’il est un être de culture, le ‘’problème’’ des mathématiques est évidemment celui de leur capacité à ‘’expliquer’’ le réel.

A cet égard,  ce qui est absolument certain est que cette capacité est purement fantasmatique. De fait, elle ne leur est que prêtée (par nous bien évidemment) ; elle l’est en raison de la ‘’rigueur’’ des mathématiques, parce qu’elles sont ‘’logiques’’, surtout… parce que cela nous arrange bien. Quel réconfort en effet de penser que (grâce aux mathématiques) l’esprit puisse ‘’avoir réponse à tout’’.

Mais écoutons ce que dit le grand Stephen Hawking (un mathématicien sans nul doute orfèvre dans son art) : ‘’l’homme, admet-il en substance, n’est pas à la veille de trouver l’esquisse d’un début de réponse à la seule vrai question que pose le réel, savoir celle de sa création (et non pas celle de son fonctionnement)’’. C’est que, bien entendu, ainsi qu’il est facile de le comprendre, la réponse à une telle question est définitivement hors de la capacité de n’importe quel esprit humain, fût-il celui d’un immense mathématicien (ou d’un authentique économiste).

S’agissant de la vertu (supposée) des mathématiques d’être, comme par définition, l’instrument d’une connaissance totale (quel que soit le domaine exploré), le doute est donc certain. Mais, objecteront les économistes mathématiciens ‘’en quoi la connaissance des faits économiques par les mathématiques a-t-elle à voir avec… l’impossibilité de comprendre la Création du monde ? Soyons sérieux !... Mais enfin, poursuivront-ils, qu’est-il légitime de reprocher à la mathématisation de l’économie’’ ?

Précisément, et si, par-delà les faux débats et les polémiques en trompe l’œil (dont il faut comprendre qu’elles ont l’insigne avantage de cacher les vrais problèmes), on essayait en économie d’être rigoureux…

Pour l’être, il faut commencer par le commencement…

Les mathématiques en économie : des faux problèmes

à la vraie question de la ‘’quantification’’ du réel par le marché

Quel est le préalable nécessaire à l’analyse des réalités économiques ? La chose est claire, c’est la ‘’transcription’’ de ces réalités sous une forme qui rende cette analyse possible. A cet égard, ce que l’on peut dire est qu’adaptée à l’objectif poursuivi (encore une fois, l’analyse économique de la réalité), cette forme est la ‘’forme prix’’ : n’est-ce pas sous cette seule forme que le réel peut s’additionner, se corréler… pour tout dire, se modéliser ? Pour autant, est-il sûr qu’ipso facto (la réalité se trouvant en effet ‘’dénaturée’’), comme par principe, la faillite de la mathématisation de l’économie soit définitivement établie ?

Disons le sans détours : quand il est instruit sur une telle base, avec ses ‘’pour’’, ses ‘’contre’’, ses empoignades confuses tournant immanquablement à l’avantage des mathématiciens et des ingénieurs autoproclamés économistes (quant à savoir ce que de tels ‘’succès’’ apportent à la connaissance positive des faits, cela encore une fois, est une tout autre question), le procès de la mathématisation de l’économie est vide de sens, il est ‘’en toc’’ ; comment nier que la ‘’modélisation’’ des faits économiques puisse contribuer à leur compréhension ? Comment nier que… même lorsqu’il n’explique rien, un modèle économique peut produire une vraie connaissance (par exemple en avertissant l’économiste que telles de ses –fumeuses- représentations doivent être… révisées) ? C’est donc incontestable, même si elle requiert la ‘’transposition’’ de la réalité (d’où encore une fois, sa simplification, donc sa ‘’dégradation’’) l’utilisation des mathématiques en économie ne peut à elle seule, valablement, justifier le rejet de la mathématisation de l’économie.

Sérieusement, quel est donc le vice (nous voulons dire le vice incontestable, non simplement ‘’métaphysique’’) de la mathématisation de l’économie ?

Logiquement, la réponse à cette question est à chercher en amont de la simple utilisation des mathématiques en économie. Le problème alors est le suivant : qu’en est-il de la transcription du réel sous forme de prix ? Qu’en est-il lorsque, précisément, on la confie au marché ?

De la quantification du réel par le marché : mythe, esbroufe, et… réalité

Comment la quantification du réel par le marché est-elle prétendument acquise (ceci pour fonder son analyse économique) ? C’est très ‘’simple’’, nous disent les ‘’professeurs de marché’’ : tout bien est sur le marché l’objet d’une offre et d’une demande. D’où le prix de ce bien, c'est-à-dire sa monétisation, et donc… la quantification économique du réel !

Sauf que le tour de passe est patent (littéralement, on peut parler d’escroquerie intellectuelle) : d’où vient la première enchère qui conditionne le jeu de l’offre et de la demande sur le marché ? Or, nécessairement, cette enchère ne peut venir que d’en dehors du marché. La conclusion alors est certaine : le marché n’est pas le lieu de la monétisation du réel ; c’est dès avant lui que celle-ci se trouve acquise ; ainsi que l’aurait dit Shakespeare, c’est dès avant lui que le réel se trouve ‘’priced at’’.

‘’Quoi, objectera-t-on ici, qu’en effet, lorsqu’ils arrivent sur le marché, tous les biens ont déjà un prix, mais où est la difficulté ? Le prix de tout bien n’est-il pas, avant marché –avant marché !- la somme des prix de marché de ses ‘’composants’’, savoir les matières premières (le cas échéant), les produits déjà ouvrés et la main d’œuvre que requiert sa production ? Et alors, la conclusion n’est-elle pas que, même dits avant marché, les prix n’en sont pas moins toujours… donnés par le marché !’’

Las ! : un prix, n’est-ce pas toujours un prix compte tenu d’un profit espéré avant marché. Et ce que l’on peut dire à ce sujet n’est-il pas ceci : que jamais (sauf hasard miraculeux) un profit connu après marché (un profit réalisé) ne peut être égal à un profit espéré avant marché (c’est la ‘’beauté’’ même du marché !). Et cela ne veut-il pas dire qu’en effet, s’agissant du prix auquel un bien est mis sur le marché (ce prix disant le profit que l’on attend que ce prix-là permette de réaliser), eh bien nécessairement, ceci dans la mesure du profit espéré indiquée par ce prix, ce prix ne peut venir que d’en dehors du marché !

A cet endroit, c’est fort pertinemment que l’on peut revenir à la fameuse ‘’inféodation de l’économie’’ aux mathématiques.

Sérieusement, pourquoi cette inféodation n’est-elle pas simplement que la représentation ‘’délirante’’ voire ‘’paranoïaque’’ d’une poignée d’étudiants confrontés à quelque problème de maximisation sous contraintes ? La réponse n’est certes pas que les mathématiques ‘’ont coulé le Titanic’’ (ainsi qu'un jour, un obscur professeur de marché avait cru des plus spirituel de le contre-argumenter), la réponse est que :

1° les mathématique ne s’interrogeant par sur la (fautive) quantification de la réalité par le marché (et pour cause, les mathématiques ne sont qu’un outil qui permet de travailler sur le résultat de cette quantification) ; dit autrement (par l’épistémologie) ‘’les mathématiques ne faisant jamais que laisser les faits dans l’état où elles les trouvent’’,

2° les mathématiques ne peuvent qu’accréditer l’idée que, tous les ‘’agents’’ étant ‘’égaux devant le marché’’, tous les agents recevant donc de lui exactement ce qui leur est dû, ni plus ni moins, notre monde, sans discussion possible, est le meilleur des mondes.

Or, précisément de ce ‘’meilleur’’ des mondes, soit le système ‘’salaires contre stock-options’’ (en réalité ‘’fabuleux salaires et –en outre !- fabuleuses plus-values’’) : comment ne pas constater que, tous les agents étant réputés ‘’égaux’’ devant le marché, certes, il en est qui le sont… un peu plus que d’autres ?

Ni inféodée aux mathématiques, ni inféodée au ‘’social’’,

l’économie doit être… moderne

On vient de le voir, l’économie est ‘’politique’’. Pour autant les tenants de l’économie ’’sociale’’ ne peuvent pas en être plus avancés : certes, le marché est (au sens précis où  nous l’avons indiqué) ‘’illégitime’’ ; mais où est la légitimité de l’économie ‘’sociale’’ ?

Franchement, soit l’économie telle qu’encadrée (régulée, dirigée…) ceci pour ‘’assurer le bonheur de l’humanité’’. Mais n’est-ce pas précisément à cette fin qu’encadrée (régulée, dirigée…) elle le fut en URSS à compter de 1917 ? Et 70 ans ‘’après’’, après que l’URSS est redevenue la Russie (‘’sainte et éternelle’’ !), en Russie justement, s’agissant d’assurer la bonne marche de l’économie, n’est-ce pas… au marché qu’à nouveau on s’en remet ?

La mesure de l’abusive mathématisation de l’économie étant définitivement prise, on comprend ici qu’il reste à rompre avec les lyriques illusions de l’économie… par la ‘’politique’’ : sans le moindre doute, c’est l’enjeu de notre modernité.

Economie et modernité

Commençons par dire ceci : la modernité, c’est le respect des faits. Ce que l’on peut alors affirmer aujourd’hui est que, uniquement investie dans la résolution de ‘’modèles’’ dès l’abord coupés du réel (encore une fois, si on dit qu’il est économiquement impossible que les marchés ‘’disent’’ les prix –ils ne font que les faire varier ce qui, on en conviendra, est tout à fait autre chose !- quel peut bien être le ‘’réalisme’’ de la modélisation par les mathématiques des faits si le présupposé de cette modélisation est justement cette ‘’évidence’’ qu’en économie… ‘’ce sont les marchés qui disent les prix’’ !), l’économie est hors du temps et de l’espace : elle est vide.

Mais l’économie ‘’sociale’’ ne l’est pas moins. Encore une fois dire que l’économie est ‘’politique’’ (ce que l’on sait depuis Marx, c'est-à-dire depuis 1850 !) c’est ne rien dire d’opérationnel à propos du fonctionnement du capitalisme et la façon dont (ainsi que le pressentait Keynes), aujourd’hui, il doit être ‘’socialisé’’ (savoir –attention aux faux-amis !- administré au profit de la société tout entière –et non pas au profit de quelque clan, groupe ou classe que ce soit !).

Sur ce sujet de la plus brûlante actualité, ce qu’il faut commencer par dire est que, bien que l’économie soit ‘’politique’’, le marché, en économie, reste… le moyen indépassable de la satisfaction des besoins sociaux (de grâce, ici, pas de faux procès ! : ici, nous ne parlons plus de la quantification du réel).

Fondamentalement, cela signifie que,

1° l’’’économique’’ se noue en-deçà (en-deçà !) des marchés,

2° l’’’économique relève de lois qui sont parfaitement étrangères aux ‘’lois’’ du marché.

S’agissant alors de la nécessaire refondation de l’économie qui s’impose aujourd’hui (voyez l’état du monde !), on a aussitôt le principe de la répartition des tâches qui, respectivement, reviennent aux ‘’économistes’’ mathématiciens et aux économistes tout court :

-       Aux premier, la recherche (grâce aux outils qu’ils jugeront opportuns –le modèle de Black et Scholes, les ‘’fractales’’, etc, etc…) des ‘’lois’’ qui gouvernent l’évolution des marchés (ceci sachant que, les marchés n’étant qu’un infime sous-ensemble du monde, et le monde étant décidément ‘’incompréhensible’’, la connaissance de telles ‘’lois’’, évidemment, est… définitivement hors de portée de n’importe quel esprit humain),

-       Au seconds, ceci grâce à la claire intellection de ces ‘’objets’’ que sont les prix, la monnaie, les revenus (les salaires et les profits), le capital… (‘’objets’’ cette fois totalement inventés par l’Homme), l’humble charge de comprendre la réalité telle qu’à chaque instant, l’Homme lui-même (pas le marché !) la crée. C’est seulement de cette façon que les économies de production (toutes les économies nationales) pourront être guéries de l’inflation et du chômage de masse ; c’est seulement de cette façon qu’en économie internationale, l’égalité économique des échanges entre les pays qui commercent pourra être instaurée et qu’en conséquence, le ‘’sous-développement’’ pourra être vaincu (et ‘’la guerre des civilisations’’ empêchée).

Jean Tramuset

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