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Billet de blog 8 décembre 2020

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La graine du racisme décomplexé

A la question y a t’il un racisme systémique en France, la réponse est oui ! A la question de savoir comment en finir avec les discours de haine, il est toujours utile de rappeler que la politique française est minée par les énoncés nationalistes depuis plus de 40 ans

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Les lois dites de « sécurité globale » votées récemment ont à nouveau enflammé les rues de la capitale et la tension est telle que la coexistence des crises sanitaires et sécuritaires s’avère être un mélange explosif que fuient les promoteurs même de ces lois. A commencer par Emmanuel Macron, dont on peut douter qu’il ne joue pas en effet à «ni oui ni non », comme il le prétend dans son interview avec « brut », reconnaissant qu’il y a des violences policières en France.

On s’est hélas habitué à ce que l’exécutif souffle le chaud et le froid au sujet de lois dont on rappelle la philosophie générale extrait du livre blanc de la sécurité intérieure : « l’action politique souhaite une culture du risque pour accompagner la résilience de la population ». Ici le « et en même temps » bien connu des énoncés Macroniens est caractéristique d’une politique qui fuie son devoir de santé publique et de protection des populations et utilise l’état d’urgence pour effrayer les populations et les opposer, au lieu d’en prendre soin. Cette brutalité des énoncés se trouve à d’autres niveaux de la Macronie, et j’aimerai m’arrêter un instant sur l’interview récente de Florence Portelli, maire LR de Taverny et conseillère régionale d'Île-de-France.
Le débat est animé et le sujet est grave. Il s’agit de savoir s’il y a un racisme systémique au sein de la police. Ici la brutalité des propos tient aussi au fait que le journaliste de France Info est noir, et qu’il pose sa question en citant le « stop au racisme » de Kylian Mbappé, et poursuivant par « ça m’intéresse au premier chef, je le dis, je l’assume ».
La réponse de l’élue LR est assez symptomatique d’une brutalité décomplexée par la lepénisation des esprits qui nourrissent les dérives sécuritaires actuelles. Il s’agit en réalité de dévier le racisme systémique de la police par une logique victimaire qui dénie les violences policières faites à l’encontre des jeunes issus de l’immigration, et que Mme Portelli rapporte à elle même en se disant victime d’insultes en tous genres au moment de son élection. Ce qui ne manquera pas de provoquer une très vive réaction de son opposée Marion Aubry, de la France insoumise, choquée à juste titre par ce discours d'une droite décomplexée sur bien des sujets.

Alors à la question y a t’il un racisme systémique en France, la réponse est oui.
A la question de savoir comment en finir avec les discours de haine, il est toujours utile de rappeler que la politique française est minée par les énoncés nationalistes depuis plus de 40 ans, bien avant que le roman national ne rapporte des voix à Nicolas Sarkozy en 2007, lorsqu’il présenta son projet de ministère de l’identité nationale. Nous sommes nombreux à nous être indignés depuis, la question de l’identité est un sujet chargé d’énergies négatives, réactionnaires et brutales. Une pulsion de conservation mortifère et sans intelligence, une dynamique morbide de reproduction du même greffé au rejet de l’autre.
C’est en substance ce qu’est la graine semée par la famille Le Pen, et force est de constater qu’elle a prise. Alors comment trouver les moyens de déconstruire le roman national, qui poursuit sa route avec les lois dites de « sécurité globale », votées en plein confinement, dans une convergence des états d’urgences sanitaires et sécuritaires ?
Nous assistons à une montée en pression très inquiétante à l’approche des prochaines élections régionales. Voila plus de 40 ans que la graine a été semée et qu’elle pousse décomplexée au coeur des institutions françaises, dans les ministères et à l’assemblée nationale, qui l’arrose régulièrement, trouvant par là des stratégies électorales à court terme. Seulement voilà, le RN, qui a rassemblé près de 34 % à la dernière élection présidentielle, est aujourd’hui bien implanté dans un certain nombre de grandes villes du Sud, et bientôt peut-être d’une région entière. Et je résiste difficilement à cette idée qui consiste à voir l’avenir du RN suspendu à celui de LR, et de ce qu’il reste de ce parti siphonné en partie par la République en marche. Car, blague à part, que reste t’il de LR après la chute de François Fillon ? Et est-ce que vous imaginez le général de Gaulle offrir une région au RN au moment où les leaders déchus de la droite sont convoqués devant la justice pour détournement de fonds publics ou association de malfaiteurs ?
A mon sens nous ne dé-planterons cette graine que par la mise en oeuvre d’une nouvelle constitution. Et nous commencerons par un déboulonnage systématique de toutes les statues de chefs. A commencer par celle d’Emmanuel Macron qui s’est enfermé dans son conseil de défense, d’où il rédige ses ordonnances. Puis celle de son premier ministre, qui a visiblement zappé le parlement, et avec lui ses électeurs. Enfin concernant la cheffe dont il est principalement question ici, l’histoire ne conservera j’espère qu’une esquisse de la cheffe en cavalière capée ou commandante de navire.


Alors à la question de savoir comment en finir avec les discours de haine, il nous faut reconquérir le coeur des citoyens, leurs rêves aussi. Nos institutions culturelles ont certainement un rôle important dans la diffusion de ce rêve. Ou ce que le philosophe Bernard Stiegler nomme l’exosomatisation. Mais à la condition que l’institution joue pleinement son rôle de passeur, celui de nous faire passer collectivement. A commencer par ce passage rempli de promesses qu'est la transition écologique.
Mais hélas, à cet endroit des institutions culturelles qu’y a t’il ? Des projets de statues. Entre 300 et 500 noms ont été sélectionné par un comité d’historienNEs, dans le but de mieux dépeindre le panel de l’histoire de France. Une statue de Joséphine Baker ici, et là Louis de Funès. Personnellement j’aime assez l’idée d’une commémoration par la statue. Mais s’il vous plait, proposez aux citoyens de choisir leurs statues. Madame Bachelot, organisez un Valois de la statue !
Le problème de l’exosomatisation est qu’elle est un canal bien connu de l’industrie culturelle, et que ce canal s’est jusqu’à présent contenté de vendre des marchandises, ce qui consiste aujourd’hui à faire la promotion des technologies numériques et du système des plateformes, qui génèrent une culture de masse dés-inhibée et renforce l’esprit anti-système propre à notre époque (ou selon Stiegler notre défaut d’époque). Ce concept d’exo-somatisation reste néanmoins valable pour faire société. Les statues sont là pour nous le rappeler. Le grand rêve des 30 glorieuses, s’il a échoué avec l’arrivée des crises pétrolières, s’est somme toute cristallisé en un rêve teinté de vert, et dont nos institutions devraient se saisir à l’échelle européenne, s’il le faut en effet sous la forme de nouvelles statues. Ou la création d’un nouveau Bauhaus européen, comme l’a récemment proposé la présidente de l’UE, Ursula Von der Leyen. Quel que soit le nom de cette institution, elle est nécessairement une organisation des passages entre l’écologie, l’industrie, les sciences et les arts, pour redéfinir le système productif et ainsi associer experts, ingénieurs, artistes et citoyens aux questions de la transition écologique, notamment les sujets de l’autonomie alimentaire et énergétique.
Hélas les partis politiques néo-conservateurs ne comprennent l’exosomatisation nécessaire qu’à partir des possibilités de la calculer pour en tirer profit. Au risque de déplacer le rêve ailleurs, sur les plateformes G.A.F.A qui ne participent que faiblement à l’économie, ou dans les usines chinoises.


Les partis politiques ont oublié que le rêve doit pouvoir agir sur le plan local, de manière à renforcer le corps social, le collectif, les possibilités de dire Nous plutôt que je. Comme le dit l’essayiste Marielle Macé dans une conférence intitulée « retour à nous », ce « nous » là ne dérive pas de « je » (à voir sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=gpv1hSS3UoE). A ce « nous » correspond une certaine organisation de la parole et de la prise de décision collective, comme l’est par exemple la socio-cratie, où la parole circule et nourrit le centre.
Voilà ce qui peut nous sauver d’une dynamique de rejet de l’autre. Et voilà aussi peut-être ce qui permettrait de réconcilier les citoyens et la politique. Nos leaders politiques devraient s’inspirer de cette exigence de la parole et de l’écoute nécessaire à la construction d’un « nous » qui s’émancipe de la question mortifère de l’identité. Sauront-ils organiser des Grenelle, des Beauvau, des Valois, des Bercy ? Sauront-ils nous hisser vers un VI e constitution qui dé-plante les graines identitaires ? Une partie de la réponse tient sans doute dans la manière dont les prétendants s’y préparent, autrement j’espère qu’au moment de se raser (s’il n’y a que des hommes).
Pour conclure je pose cette question : l’opposition au couple Macron-Le Pen pourra t’elle s’organiser en collectif pour dépasser ce qui les font camper sur des postures idéologiques inappropriées à notre époque ? Ce serait donner au peuple le temps de se former en constituante et d’accoucher d’une gouvernance dans laquelle nous tous pourrions rêver quelque chose d’utile pour le bien commun.

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