Ma vieille maman a des rapports tendus avec l'électricité. Je ne sais pas bien pourquoi.
Alors qu'elle fait confiance à n'importe quelle blouse blanche pour se faire hospitaliser sept fois de suite (c'est moi qui ai fait l'ambulancier), simplement pour s'entendre dire que sa maladie avait changé deux fois de nom.
Je suppose que cela vient du fait que l'arrivée de la pénicilline, peu après guerre, a sauvé un(e) de ses frères ou soeurs.
Les médecins sont donc de Puissants Sorciers.
Pour ce qui est de l'électricité, le rapport est différent, mais tout aussi en rapport avec la pensée Magique.
Je rappelle que l'accès au réseau électrique n'a été achevé en France qu'en 1953. L'année où ma mère commençait la fac.
Elle s'est mariée trois ans plus tard.
Toutefois, j'ai quelques repères : je me souviens très bien des années 60 où l'on bascula du 110 au 220 Volts (230, en fait), et où chacun s'activait à trouver des transformateurs pour les appareils électroménagers, et dans quel sens les brancher.
Non sans quelques épisodes semi-dramatiques dus aux gainages tissus des conducteurs de l'époque.
Depuis, j'ai fait des études, j'ai été bien formé, notamment par un oncle issu de Sup'Elec et qui a formé deux générations d'ingénieurs en électronucléaire. J'ai été aussi chercheur-associé au Laboratoire de Physique des Plasmas au CNRS Toulouse.
Ma mère continue à me demander :"Tu crois que c'est prudent ? Faudrait pas éteindre ?"
Ma chambre, où j'écris souvent la nuit, est éclairée par on plafonnier-spot en LED qui consomme 4W, quand je ne le gradue pas au minimum.
Mais ma mère en est restée au réflexe "Faut ETEINDRE LA LUMIERE". Bon réflexe, cela dit. Mais elle ne se rappelle plus pourquoi.
Quand j'essaie de lui expliquer que ma lampe consomme entre 1 et 4 Watts, c'est à dire moins que la télé qu'elle laisse allumée presque jour et nuit, le mot "Watt" ferme l'accès à sa comprenette.
Ultracrepidarianisme ? Mais quand même, elle s'est fait vacciner. La discipline.
Ce matin, séance explicative. Elle me demande pour la deuxième fois de lui montrer comment lire le contenu d'une clé USB.
Je lui montre, sur son portable, configuré uniquement par icônes-raccourcis, comme il convient au quatrième âge. Pas parler à la machine.
La démo achevée , elle dit : "Lance la vidéo et mets la en pause, je la regarderai là-haut."
Puis elle me pose une question sur un autre sujet.
"-Maman, ça fait quatre fois que tu me poses cette question depuis ce matin.
-Oui, mais j'ai pas écouté les réponses.
-Ah. C'est bien de le reconnaître."
La fracture n'est pas seulement numérique, savez-vous ?