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Billet de blog 27 août 2021

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Ca commence toujours comme ça

Souvenirs d'un prof de Cinéma-Audiovisuel, dans son ancien lycée. Jeune retraité désabusé, philosophe mais pas résigné.

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Ca commence toujours comme ça.

On cherche un thème qui va motiver les élèves, qui ait un rapport avec leur monde, leurs préoccupations. Pour autant que quelque chose les préoccupe.
On cherche des films jalonnant l'histoire du cinéma, donnant une perspective, une histoire condensée mais dynamique, pour les rares qui ne considèrent pas que l'histoire a commencé en l'an 2000 ou avec leur naissance.
On leur demande d'imaginer une ébauche de scénario, un synopsis... Ils se disent in petto « il veut un pitch, en somme ». Ils cherchent, les uns comptant sur les autres pour faire plaisir au prof, qui est aimable et courtois, mais exigeant.
A ce moment-là, les poussant un peu dans leurs retranchements, c'est comme si on leur disait à la fin d'un sujet d'examen la phrase rituelle « Vous illustrerez votre propos d'exemples tirés de votre expérience personnelle. »
Mais, justement, ils n'ont PAS d'expérience personnelle, ou si peu, comme le fait dire Daniel Pennac à ses élèves dans « Chagrin d'Ecole ».
Alors ils bricolent avec leur maigre culture, paraphrasant pour ne pas rendre copie blanche. Mais, comme le disait Georges Perec en parlant de la complaisance à la violence de Kubrick dans Orange Mécanique : « Ce qu'il veut démontrer (démonter?), n'est-ce pas ce dont il d'est d'abord nourri ? »

Il faut bien admettre que la pression est énorme sur ces pauvres hères qui aujourd’hui veulent faire carrière dans l’audiovisuel. Bien que les moyens techniques soient de plus en plus à la portée (tant financière qu’en termes d’accès) de nos « apprentis », la compétition est rude et le désir de rivaliser est grand. Mais est-ce ce vers quoi il faut tendre ? A notre époque héroïque, quelles étaient nos références lorsqu’on imaginait un cinéma à la portée de nos caméras super 8 ? Il y avait le « cinéma-vérité » de Jean Aurenche, Chris Marker, Jean Rouch, encore que nous n’en saisissions sûrement pas l’importance alors. Et pourtant, c’est aujourd’hui vers cela qu’il faut (re)tendre. Il faut faire ses armes à la caméra ou au scénario en réhabilitant « Dziga Vertov » et c’est somme toute ce qu’ont fait Ridley Scott (Boy and bicycle), Jane Campion (Peau), Polanski (le gros et le maigre, dispo sur Youtube), Scorsese (The big shave… à voir sur Youtube).


Et, faiblement nourris, ils régurgitent ce qu'ils ont souvent imparfaitement digéré. Et à quelques exceptions près, ça se voit. Devant l'insatisfaction des enseignants, ils essaient d'orner ces squelettes branlants de détails de plus en plus improbables : du gras, souvent, plus que des muscles et des ligaments.

Et le temps avance. Le temps scolaire. Avec ses dates-butoirs.
Et, en se se perdant dans des discussions de groupe sur le Prétexte à leur film, ils négligent de s'occuper du Texte : Raconter une histoire avec des images, des séquences narratives, à relier avec des dialogues et des sons. Et quand vient le moment de rendre un « Découpage technique », on les voit désarmés, incertains ; à quoi peut leur servir de se lever matin ?


Parce que le fait est qu'ils leur manque les bases essentielles : visualiser, imaginer, veut dire connaître les rudiments de la navigation entre 2D et 3D.
Ils ont une peine infinie à distinguer un Cadre (qui est une surface-section) d'un Champ (qui est un volume, image de la pyramide optique du peintre ou du spectateur de théâtre) Et on leur suggère de faire des mini-story-boards, même avec des bonhommes-allumettes. Misère.
Jadis, on enseignait les rudiments de la perspective en cours d'arts plastiques.
Ces cours ont disparu, je crois.
Je rêve de l'époque où Clouzot signait ses découpages techniques au générique.

Le découpage technique est l'ossature d'un film.
Il y a deux façons de l'envisager, pour arriver au même but : la voie de l'écrivain (dramaturge ou dialoguiste, peu importe), et la voie de l'image séquencée, celle du peintre.
Pour nos jeunes recrues, ce qui se rapproche le plus d'un découpage technique est une bande dessinée. Narrative, pas un comic-strip comme Peanuts ou Mafalda.
Mais toute fiction narrative par l'image demande un travail de visualisation.
Même Spielberg s'est lamentablement vautré en essayant d'adapter Tintin au cinéma : au lieu de compter sur le Lector in fabula pour relier les vignettes, il a voulu lier sa sauce dans une fausse continuité en faisant bouger avec des ordinateurs de vagues baudruches luminescentes. Or le génie de Tintin, c'est précisément la discontinuité qui va être complétée par le lecteur.


En imaginant une scène, on ne peut faire l'économie de visualiser son placement dans l'espace, ni le placement du regard, autrement dit de la caméra.
Dans « La petite marchande prose », Daniel Pennac fait dire à deux de ses personnages, à la recherche du « Film Unique » :
« Quel est pour vous le comble de la vulgarité au cinéma ?
-Un travelling latéral. »


Pourtant, si on regarde le début de « Meurtre dans un jardin Anglais », toute l'exposition est faite par un travelling latéral sur un repas d'aristocrates. Greenaway construit en peintre, en utilisant les codes de l'époque qu'il décrit. Comme un accrochage de salon de peinture du XVIIIe siècle. Il utilisera le même procédé dans « Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant », en y rajoutant un code-couleur


Maintenant, prenons un autre exemple de scène de repas collectif : Le début du « Père Goriot ».
On dit que Stanislavski faisait commencer tous ses nouveaux élèves par cet exercice de représentation, après lecture du texte :

« -Comment sont-ils placés, et qui voit qui ?
-Où est la fenêtre, d'où vient la lumière ?
-Quelle heure est-il, où est le Nord ?
Une fois qu'on a répondu à ces questions, il ne reste plus qu'à décider de la place ou des mouvements de la caméra. Même sans savoir dessiner, un simple schéma permet de promener avec justesse la pyramide optique. Comme le « miroir qui se promène le long du chemin » cher à Stendhal.
Hitchcock allait encore plus loin : on dit qu'il passait plus de temps sur la période Découpage technique-Storyboard que sur la période de tournage. Quand les acteurs arrivaient, son film était achevé, comme une symphonie dans la tête de Beethoven. Il n'avait plus à s'occuper que de direction d'acteurs, et « transformer en décision les hasards de la répétition » (Jean-Marie Serreau)
Certains réalisateurs font de la « continuité dialoguée » l'ossature de leur découpage.
C'est une méthode. Mais l'image et le point de vue se doivent de rythmer le dialogue, comme dans La Religieuse de Rivette. Et le risque est encore grand d'arriver à des films bavards, verbeux, déclamatoires.


Il y a quelques années, je travaillais sur le décor et les lumières d'une adaptation de « L'Homme qui rit ».
Il y a cette célèbre scène où Lady Josiane dit à Gwynplain : « Entre ! Je suis nue »
Puis, s'apercevant que Gwynplain n'est autre que Lord Clancharlie, qu'elle est vouée à épouser, elle conclut « Sortez de ma chambre. Ce n'est pas ici la place de mon mari, c'est celle de mon amant. »
Le metteur en scène avait décidé de faire jouer la scène avec l'actrice effectivement nue. Elle était très belle, ce qui captait à coup sûr l'attention des spectateurs.
Plus tard, devant un groupe d'élèves comédiens, en présence de ladite actrice, il justifiait ainsi son choix : « Pourquoi elle est nue ? Mais parce que c'est dans le texte ! »
J'objectai alors que c'est justement parce que c'est dans le texte qu'on n'est pas obligé de le jouer ou de le montrer. L'argument suscita un long silence rêveur.
Daniel Mesguish en fit une théorie pour les élèves du Conservatoire : «  Ca ne sert à rien de jouer ce que vous dites. Jouez autre chose. Sinon, autant réciter. »

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