Cher Edwy Plenel,
J’aimerais réagir à votre article du 20 Novembre, dont je cite ci-dessous le chapeau
La démocratie n’est pas la guerre
Le débat sur l’état d’urgence est une question d’efficacité : quelle est la bonne riposte au défi totalitaire de l’État islamique ? La surenchère sécuritaire est une réponse de court terme, inspirée par l’immédiateté politicienne plutôt que par le souci de solutions durables. Concédant à l’adversaire une victoire symbolique, elle désarme notre société autant qu’elle la protège, mettant en péril nos libertés individuelles et nos droits collectifs.
Commençons par avouer que je ne comprends pas ce titre. Qui a jamais écrit ou même pensé que la démocratie ‘était’ la guerre ? Par contre nul ne contestera qu’une démocratie puisse se trouver ‘en guerre’, parfois à son corps défendant, comme l’histoire du vingtième siècle le démontre amplement. Sans vouloir me substituer au président de la république ou à son premier ministre et sans vouloir non plus faire des rapprochements incongrus avec les deux guerres mondiales que notre pays a subies, il n’est pas absurde de constater, avec le juge Trévidic par exemple, que les attentats du 13 novembre étaient bien un acte de guerre à la France, payé par 130 morts et plus de 200 blessés. Ce n’était certes pas seulement ‘un défi totalitaire’ lancé par l’état islamique : je ne sache pas qu’on ait jamais été assassiné par un ‘défit’, fût-il totalitaire.
Il est donc clair que l’état d’urgence que le parlement vient de prolonger pour trois mois vise à être une réponse à cet acte de guerre, et non pas ‘au défit totalitaire’ que, je vous l’accorde volontiers, l’EI lance à l’Europe et à la France. C’est certes une ‘réponse de court terme’ (trois mois). J’ai du mal à penser que notre gouvernement, aussi perverti, comme vous le pensez, qu’il soit par l’exercice du pouvoir exécutif sous la cinquième république, soit assez aveugle pour ne pas faire cette distinction, contrairement à ce que vous écrivez. Et je ne vois pas en quoi vouloir combattre les menaces terroristes présentes, voire imminentes, serait « une perspective sans issue parce que sans mémoire. Indifférente aux contextes, généalogies et héritages qui ont façonné la menace ». Une chose est de constater la responsabilité des interventions américaines et britanniques en Irak ou de la non intervention en Syrie après l’usage par Bashar Al Assad de gaz de combat contre sa population dans l’émergence de l’EI dans ces deux pays, une autre est de tenter de se prémunir des attentats que l’EI pourrait à nouveau commettre dans notre pays : les tentatives pour ce faire ne condamne pas à la cécité sur les causes de l’émergence du ‘défit totalitaire’, pour reprendre votre formulation.
Quoi qu’il en soit, il faut, vous me le concéderez, s’efforcer de déjouer de nouveaux attentats. La menace en est-elle réelle ? La supposer telle est-ce « céder à une surenchère sécuritaire » comme vous l’écrivez ? Je ne connais pas de spécialistes qui en nient la réalité. J-P Filiu, dans vos colonnes, en pronostique même le caractère quasi inévitable et le juge Trévidic a récemment déclaré que des centaines de jeunes français actuellement en Syrie se porteraient volontaires pour en commettre si on le leur demandait.
L’état d’urgence contribuera-t-il à les empêcher ? Votre article dit clairement que non ; pour vous son adoption dénote seulement ‘une accélération sécuritaire, opérée sous le coup de l’émotion’. C’est assurément une grande ‘émotion’ –révolte, peur, colère-- que nous ressentirions à la mort de quelques nouvelles dizaines ou centaines de nouveaux innocents assassinés par de nouveaux terroristes. Et c’est bien sûr pour tenter ne pas avoir à l’éprouver que cet état d’urgence semble avoir été déclaré.
Mais pour vous « L’argumentaire qui justifie son imposition repose sur un mensonge factuel, doublé d’une irresponsabilité politique. La contrevérité, c’est l’affirmation que les forces de sécurité n’auraient pas, sans son adoption, les moyens de traquer les terroristes, avec toutes les possibilités légales de surveillance, de perquisition, d’arrestation exorbitantes du droit commun que réclame une situation d’urgence. Et vous détaillez dans votre article les mesures déjà prises dans la passé pour lutter contre terroristes et attentats, effectivement nombreuses.
La nouveauté introduite le 18 Novembre réside essentiellement dans l’élargissement du dispositif d’assignation à résidence, les perquisitions administratives dans tous les lieux (publics, privés, véhicules) et la dissolution des associations ou groupements qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public si ces associations ou groupements apportent un soutien logistique ou de recrutement à de tels actes.
Ces ‘nouveautés’ peuvent-elles contribuer à empêcher de nouveaux attentats ? Naturellement les jugements diffèrent sur ce point : les forces de police ou les militaires le pensent et vous m’accorderez que ce sont ces forces qui se trouvent en première ligne dans cette tâche de prévention et dont on peut penser qu’elles ont une expertise en la matière que ni vous ni moi n’avons. Les spécialistes du droit, notamment Mme Mireille Delmas-Marty, mettent pourtant en avant le danger qu’il y a à transmettre ainsi aux seules autorités administratives des pouvoirs normalement sous contrôle judiciaire, ce à quoi je souscris. Mais ces ‘nouveautés’ ne seront actives que pendant l’état d’exception, à savoir trois mois. Comme citoyen français j’accepte ces ‘nouveautés’ dérogatoires pour cette durée, tout comme j’accepte, sans gaité de cœur, les restrictions à manifester etc. pendant cette période. C’est à la réactivité de ces mesures d’exception que l’on a attribué la mise hors d’état de nuire du commanditaire des attentats du 13 novembre et l’arrestation d’autres terroristes à Saint Denis Lundi dernier
Suis-je du fait de cette acceptation « un lapin aveuglé par des phares » Est-ce qu’en conséquence «j’épouse la temporalité des assassins qui est celle d’un présent monstre, sidérant et paralysant, un présent sans passé ni futur. Un présent mort, inerte, sans espoir ni promesse »? Votre réponse est oui. La mienne est que les citoyens français en général et moi en particulier ne sommes pas aussi aveugles et faibles d’esprit que vous le pensez : nous sommes capables de faire la distinction entre mesures d’urgence et traitement à long terme (qui passe notamment par les mesures prônées par Thomas Picketty dans sa chronique du Monde du 22-23 Novembre) et de discerner dans ces mesures d’urgence les dangers qu’elles recèlent si elles devenaient pérennes. Enfin je fais confiance, contrairement à vous semble-t-il, aux élus de la république pour veiller à ce qu’elles ne le deviennent pas, de même que je leur fais confiance pour défendre la démocratie lors des débats ayant trait aux changements constitutionnels que projette le chef de l’état.
Pourtant, avec vous et Mediapart auquel je suis abonné depuis sa création, je pense que les pouvoirs, économiques, politiques, judiciaires etc. ont besoin de contre-pouvoirs et vous remplissez ce rôle avec une indépendance et une force dignes d’éloge. C’est pour cette raison que je reste abonné à Médiapart, malgré les flots de bêtises haineuses qui se déversent dans les commentaires des articles qui y sont publiés et qui me donnent souvent la nausée.
Je me sens donc d’autant plus libre pour exprimer mon désaccord lorsque, comme dans votre article, vous utilisez des moyens rhétoriques et des artifices de présentation qui obscurcissent des problèmes qui ont d’abord besoin de clarté et qui, malgré vos références à Camus ou a Mendes France, auront pour effet principal et paradoxal de disqualifier les institutions démocratiques de notre pays qui en cette période tragiques ont surtout besoin d’être confortées.