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Billet de blog 16 août 2014

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Le téléphone sonne faux.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Prévenu par un ami du passage à l'antenne, le vendredi 15 aout, d'une émission de France Inter faite « pour moi » et  ayant pour titre : « Se soigner autrement » dans le cadre de l'émission « Le téléphone sonne », j'ai fait parvenir au réalisateur un courriel où j'écrivais :

« Je connais particulièrement bien le thème de ce soir. J'ai créé un site et j'ai écrit trois ouvrages sur ce sujet. Voir ici.

http://www.pseudo-medecines.org/

Je voudrais donc vous préciser certaines choses  :

1) il n'y a pas de médecine non conventionnelle, douce, traditionnelle, etc. Nous sommes XXIe siècle. Il y a La médecine qui est « basée sur les preuves » (EBM) et toutes les autres disciplines qui se sont emparées du créneau tenu autrefois par le chaman, le sorcier ou le curé, mais n'ont jamais fait la preuve de leur efficacité. Or, il faut que ce soit clair, la charge de la preuve appartient à ceux qui affirment et celle-ci ne peut être acquise par le simple sophisme « post hoc ergo procter hoc ».

2) l'engouement pour les médecines non conventionnelles (qu'on devrait appeler non prouvées) résulte de la pratique contestable d'un certain nombre de membres du corps médical. De cela je pense que vous parlerez abondamment (scandales, relations avec les laboratoires, etc.) et c'est l'objet de mon troisième livre : « la médecine postmoderne prend le pouvoir ».

3) les citoyens ont parfaitement le droit de choisir la manière dont ils veulent soigner leur «bobologie». Lorsqu'ils sont atteints de maladies graves, ils se tourneront de toute façon vers la médecine basée sur les preuves.

Ce qui est totalement inadmissible, c'est que des médecins pratiquent (avec la complicité du conseil de l'ordre et l'agrément des mutuelles ) ces médecines non prouvées alors que l'article 39 de leur code de déontologie le leur interdit.

En clair :

-  A la médecine ayant fait ses preuves l'exercice par les médecins et le remboursement de la collectivité (qu'elle soit sécurité sociale ou mutuelle).

- Liberté pour les citoyens de choisir des techniques sans efficacité et généralement sans danger à condition qu'ils en assurent la charge.

Ainsi : « à chacun son métier… » et nos finances seront bien gardées. »

Je fus appelé une demi-heure environ avant l'émission pour me proposer d'y intervenir. Il me fut bien précisé que le seul point qui les intéressaient était le premier, pas question d'évoquer le reste.

Je fus ensuite confié aux techniciens afin qu'ils assurent une connexion satisfaisante. Pour les raisons que chacun connaît,  pas question d'écouter l'émission sur la radio ni sur le Web. Le problème est que les techniciens en question furent incapables de m'assurer un « retour » satisfaisant. Je ne percevais l'émission, de manière à peine audible,  qu'en collant le combiné à mon oreille et en me  bouchant l'autre.

Les intervenants étaient : « Le président du registre des ostéopathes de France, le vice-président du l'union française des praticiens de médecine traditionnelle chinoise, un producteur cueilleur (non, pas un chasseur-cueilleur! Voyons!) de plantes médicinales, herboriste et botaniste de terrain depuis plus de 25 ans, un  rebouteux praticiens en Chi Tao Ming et un avocat ». Aucun contradicteur, aucun médecin, aucun scientifique. Tout était réuni pour une émission d'une grande objectivité.

Gilles Halais  introduisit le sujet en disant que le praticien de médecine non conventionnelle est celui « qui a pris le relais quand le médecin disait:  je ne peux rien pour vous ouvre » et  après avoir bien précisé que « l'émission avaient été préparée par Virginie Le Duault diplômée en herboristerie ». Il crut bon de préciser pensant faire de l'humour que cela prouvait bien «qu'on n'embauche pas n'importe qui à France Inter ». Défense de rire ! Il s'avérera d'ailleurs par la suite que cette personne n'est pas diplômée en herboristerie puisque ce diplôme n'existe pas et  qu'elle a simplement un « certificat d'herboristerie » dont je suis encore à me demander ce que cela peut être.

Le décor était planté pour une émission objective et équilibrée !

C'était comme si le regretté Alain Bédoué avait présenté un « téléphone sonne » sur une mesure gouvernementale en invitant exclusivement des ministres ou des responsables du parti majoritaire.

Enfin!

J'ai entendu avec beaucoup de difficultés l'intervention du premier témoin, juriste, sur le propos duquel il n'y a rien à redire .

Les intervenants firent ensuite assaut pour présenter leur discipline comme étant la plus ancienne, donc la plus valable.

 Puis le réalisateur m'appela à l'antenne (Jean de Nîmes).

Je commençais à m'élever contre les propos que je venais d'entendre en disant : «  ce qui m'intéresse dans ce qui vient d'être dit, c'est le fait qu'on présente un certain nombre de médecines comme étant très anciennes et parce qu'elles sont très anciennes cela constituerait une preuve . Ce n'est absolument pas une preuve: la médecine du temps de Molière est très ancienne et elle n'est absolument plus  pratiquée ».

Puis je formulais les propos qu'on attendait de moi : « Il n'y a pas 36 médecines il y a une seule médecine c'est La "médecine basée sur les preuves" qui s'appuie sur des publications, des preuves très difficiles à obtenir ». Je me préparais à indiquer que les médecines non conventionnelles ne répondaient pas à ces critères, mais c'est alors que je perçus dans le combiné le bip bip bip caractéristique d'une ligne coupée.

 Je ne ferai pas au réalisateur le procès d'avoir voulu arrêter net mes propos iconoclastes, car il n'est pas exclu qu'à force d'appuyer le combiné  sur mon oreille j'aie malgré moi déclenché une touche comme le prétendit alors l'animateur. Pour autant, on ne me rappela pas !!!

Je ne pus donc pas rester en ligne ni demander à intervenir à nouveau et c'est pourquoi après avoir écouté l'émission en podcast,  je vais vous fournir ici l'énoncé de quelques contrevérités qui furent  formulées à partir de cet instant et des réponses que j'aurais pu (ou du) y apporter.

Gilles Halais répondit d'abord à mon affirmation sur la preuve par l'objection habituelle (je cite): « La difficulté est que les laboratoires pharmaceutiques vont pouvoir investir des dizaines de millions d'euros pour prouver l'efficacité d'un médicament. Pour une médecine parallèle ou complémentaire la difficulté c'est de prouver son efficacité parce qu'elle place l'individualité du patient au cœur de sa démarche ».

Disons d'abord que « placer l'individualité du patient au cœur de sa démarche » est une phrase passe-partout qui ne signifie rigoureusement rien. Tous les médecins placent le patient au cœur de leur démarche, mais tous ne savent pas établir avec celui-ci une relation qui soit favorable à la guérison. C'est vrai pour les médecins, c'est vrai aussi pour ceux qui pratiquent des médecines fantaisistes.

Je dois par contre répondre longuement à l'objection selon laquelle les médecines non conventionnelles n'ont pas été assez étudiées pour des questions financières et que c'est pour cela qu'elles n'ont pas pu apporter des preuves de leur efficacité.

Voici ce que j'ai dit à ce sujet, lors d'une communication présentée le vendredi 15 novembre 2013 lors du séminaire annuel des commissions de travail en éthique médicale sur le thème: « mensonges et vérité, éthique et pratique de soins ». Espace étique européen UMR 72 68 – APE S

Le fait que les médecines non conventionnelles n'aient pas été assez étudiées  est une objection qui justifie toutes les dérives et permet en particulier l'introduction des médecines non conventionnelles dans les milieux hospitaliers. Il importe donc de se pencher sérieusement sur cette affirmation.

Nous ne parlerons pas ici de l'homéopathie dont les bases sont une insulte à la science et dont les multiples études (biaisées ou sans résultat) ont été résumées dans une méta-analyse publiée en 2005 par le journal The Lancet. À cette occasion la rédaction pouvait écrire : « Désormais, les médecins doivent faire preuve d’audace et être honnêtes avec leurs patients sur le manque d’effets de l’homéopathie... ».

Plaçons-nous donc sur l'ensemble des médecines non conventionnelles :

  • La « Collaboration Cochrane », organisation anglaise qui rassemble tout ce qui a été publié sur des sujets scientifiques, a répertorié 598 études portant sur les médecines complémentaires. Aucune de ces études ne présente un résultat positif.
  • Un rapport, intitulé « Alternative thérapy », a été réalisé par la "British médical association" à la demande du prince Charles grand partisan de ces médecines. Le professeur Capron, lors de son audition auprès de la commission du Sénat, a parfaitement résumé le résultat de ce travail : « le rapport est d'une sévérité extrême. Il est parfaitement rédigé et ne laisse place qu'à quelques rares ilots au milieu d'un champ de ruines ».
  • L'élément le plus important est certainement la présence aux États-Unis d'un « Centre national pour la médecine complémentaire et alternative » (NCCAM) au sein du « National institut of heath ». Cet institut, qui a dépensé en 10 ans environ 2,5 milliards de dollars, n'a pas obtenu le moindre résultat positif. Au point que sont nombreuses les voix qui s'élèvent pour sa suppression. Ainsi un article s'intitulait : « Lorsque 2,5 milliards de dollars ne peuvent pas acheter les résultats que vous souhaitez… », et un autre proposait avec humour de « placer le centre sur orbite. C'est la seule manière d'être sûr d'en être débarrassé ». D'ailleurs, Joséphine Brings la propre directrice du NCCAM a écrit sur son blog une mise en garde ou elle déclare : « pour dire les choses clairement, il n'y a pas de preuve »

En résumé, il faut tordre le cou à cette contrevérité et savoir que les médecines non conventionnelles ont été largement étudiées, mais qu'aucune preuve certaine de leur efficacité n'a pu être mise en évidence.

Il est bien évident que ce type de réponse n'était pas du tout attendu dans le cadre de l'émission telle quelle avait été conçue.

L'émission se poursuivit alors et je dois dire honnêtement que les invités firent preuve d'une grande modestie et d'une relative objectivité.

Chacun s'efforça de vendre sa marchandise (ils étaient là pour cela!) et certains montrèrent même de l'embarras à se justifier en certaines occasions.

On eut droit au bla-bla-bla habituel sur les énergies (lesquelles?), l'individualisation , la médecine qui a des recettes standardisées alors que les médecines non conventionnelles se concentrent sur la personne (encore heureux ! ). On fit voltiger des mots chinois et l'on invoqua le Qi et le Chi. On fit appel aux arts martiaux et on insista sur le sérieux des formations.

Suite à l'interpellation d'une patiente qui affirmait  par courriel qu' elle connaissait quelqu'un qui pratiquait « les médecines holistiques après deux mois de stage », on glissa subrepticement par un habile détournement d'attention sur l'importance de la déontologie,

Par contre,il fut regretté, et je partage totalement cette opinion que le diplôme d'herboristerie ait été supprimé. L'existence d'une herboristerie locale (j'ai bien dit locale) donnerait sans nul doute satisfaction à ceux qui recherchent une médecine familiale ce qui éviterait bien souvent le recourt à un médecin souvent tenté de prescrire plus vite que son ombre. L'homéopathie a remplacé l'herboristerie par un manque d'information des citoyens qui seraient sans nul doute furieux s'ils savaient ce que représente vraiment une dilution de 30 CH. Les tisanes de queue de cerise ou de menthe poivrée n'ont jamais fait de mal à personne. Elles satisfont le besoin de naturel qui se manifeste actuellement dans la population et elles contiennent, elles, des produits en dose pondérale. Les pharmaciens qui ont fait pression sur le pouvoir de l'époque pour mettre la main sur l'herboristerie devraient faire aujourd'hui amende honorable. De vraies plantes modestement vendues pour quelques euros dans un brave sachet sans prétention seraient préférables à des gélules hors de prix vendues en pharmacie.

Suite à la question d'une auditrice, on s'interrogea sur ce qui motive les mutuelles à rembourser les pratiques de médecines complémentaires.  Le juriste répondit, fort à propos, que c'est leur intérêt, car elles ont abaissé les seuils de remboursement des médecines conventionnelles et augmentées  ceux des médecines douces. L'animateur ne crut pas bon de s'élever vivement contre cette hérésie ni de préciser que les mutuelles ne sont le plus souvent que des entreprises commerciales dont le but est de « piquer » les clients de la voisine. Le remboursement des médecines non conventionnelles est dans ce but un simple argument commercial.

Un auditeur cru bon d'insister sur le fait que ces médecines ne sont pas sans effets secondaires et il cita à ce propos l'utilisation des huiles essentielles. Aucune réponse ne lui fut clairement fournie et l'on glissa vers la garantie d'expérience et de compétences que fournissaient certaines organisations qui garantissent le « sérieux de leur formation » tout en précisant bien qu'elles ne « mesurent pas la compétence ».

Lorsqu'il fut demandé comment ces praticiens pouvaient assurer aux patients l'efficacité de leurs pratiques, le praticien des énergies, ancien éducateur spécialisé, sophrologue et énergéticien avoua honnêtement qu'il devait se contenter du « retour des personnes » . Il est probable que ce brave homme ignore tout du « sophisme post hoc » et de « la dissonance cognitive ». Si j'avais son adresse, je lui ferais parvenir gracieusement mon second livre « les médecines non conventionnelles ou les raisons d'une croyance » qui lui apprendrait sans doute pas mal de choses.

Gilles Halais visiblement imbibé de psychanalyse tenta une approche lacanienne : « est-ce que ces médecines douces établissent un lien entre la vie du patient et les événements de sa vie, finalement les mots M.A.U.X prennent leur sens ». Il se fit sévèrement tacler par l'ostéopathe qui lui répondit : « ce n'est pas trop le sujet en ostéopathie ». Et notre animateur de rengainer ses jeux de mots.

L'émission se termina sur le témoignage d'une auditrice, avec laquelle je compatis pleinement et qui nous indiqua que « depuis 40 ans » elle avait (je cite) « opté pour l'ostéopathie : je suis allé consulter une homéopathe naturopathie dont le mari est ostéopathe et pratiquant  de médecine chinoise ». Là c'était vraiment la totale ! On comprend comment ce copinage des différents praticiens peut accroître le développement de ces supposées médecines. Hélas pour elle, cette brave dame nous indiqua que malgré cela elle n'était pas vraiment tirée d'affaire, mais elle crut bon d'ajouter le témoignage de  son chat, dont elle se fit la porte-parole, à qui elle avait fait prendre « le même circuit » et qui allait très bien « grâce à cela ». Je tiens à la rassurer : le chat de mon voisin n'a pas recours aux médecines non conventionnelles et malgré cela, lui aussi va très bien.

Le pire dans tout cela c'est que les intervenants qui avaient quelque chose à gagner se sont montrés plutôt honnêtes, plus mesurés et finalement plus honorables que l'organisateur d'une émission du service public  délibérément biaisée. Service public dont le but, me semble-t-il, devrait être de fournir aux citoyens une information rigoureuse et non de le soumettre à une honteuse désinformation.

Je viens de constater avec plaisir que de nombreuses réactions publiées sur le site de l'émission vont dans le même sens.

En avril 2013 le site énergies-crise.fr publiait un article intitulé « l'honneur perdu de Gilles Halais » ou il stigmatisait l'arrogance et le manque de professionnalisme de cinq journalismes de France info (dont l'intéressé). Je n'irai pas jusque-là. Le responsable de cette émission a simplement fait preuve, comme je viens de vous le prouver, d'incompétence en matière de science, de manque d'impartialité et de démagogie.

La routine quoi !

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