Il est d’usage que les journaux soient interpellés par leurs lecteurs sur leur ligne éditoriale et leur manière de traiter telle ou telle situation. Il est d’usage que les médias répondent poliment en expliquant qu’ils font de leur mieux pour donner la parole à une pluralité équitable de points de vue. L’exercice est donc plombé d’avance. Mais comme je suis assez con, je joue le jeu quand même. La question est donc : quelle glissade Mediapart est il en train d’effectuer sur le conflit israélo-palestinien, et très singulièrement sur ses répercussions en France ?
Sur le terrain de la Guerre là-bas, Mediapart semble ne plus parler des Palestiniens qu’en tant que victimes à la fois des bombes et du Hamas. Une analyse lexicale automatisée montrerait ça très facilement. Je pose la question à la rédaction : un bon palestinien est-il un palestinien mort ? Auquel cas, je me demande pourquoi ne pas soutenir plus clairement le génocide et la déportation. Qu’on en finisse quoi ! Pour ceux que cela choquerait, je renvoie aux deux vibrants appels d’Edwy Plenel. Le premier daté du 22 octobre : https://www.mediapart.fr/journal/international/221023/israel-palestine-la-question-morale. Celui là j’y ai cru… j’en ai parlé, fait circuler …. Parce qu’il vibre, qu’il est humaniste.
Et puis il y a le dernier texte, daté du 7 décembre : https://www.mediapart.fr/journal/international/071223/gaza-ou-meurt-notre-humanite. Qui ne rajoute rien, vibre encore mais de manière automatique et laisse voir le caractère hors-sol de cet humanisme. L’article déplore, larmoie et meurt ainsi en humanité. A aucun moment il n’y est question de solidarité, de lutte. A aucun moment il n’y est question des répercussions politiques tout à fait réelles que ce conflit a en France. A aucun moment il ne nous parle, dans ce journal « libre », du bâillon qui nous est mis sur la bouche dès que l’on dit « Palestine » et que l’on nous répond « antisémite ».
A aucun moment il n’y est pensé la restriction des libertés rendue nécessaire par la toute aussi nécessaire alliance du centre, de la droite et de l’extrême droite. La France pour survivre, doit exclure et communautariser. Elle exclue LFI, qui a si grossièrement oser parler de « résistance », et s’expose comme faction séditieuse à la recherche des communautaristes musulmans. Elle fait par contre entrer Zemmour qui ergote sur la remigration et le péril islamiste en pleine manif contre l’antisémitisme le 12 novembre.
Question : Mediapart s’exprime-t-il de plus en plus comme un journal de blancs écrivant pour des blancs ? La dimension blanche de Mediapart est elle en train de prendre l’ascendant sur sa dimension gauchiste ou queer ?

Sur le terrain de la guerre ici, je donne trois points de repère des évolutions de Mediapart. Pour une lecture rapide, je suggère de passer directement au troisième qui me paraît le plus important.
1°) A l’air libre du 17 octobre 2023 : https://www.mediapart.fr/journal/international/171023/guerre-israel-hamas-l-engrenage-infernal
Il s’agissait là du témoignage de Karim Kattan, écrivain palestinien vivant en France, et qui nous dit étouffer de toujours devoir se justifier. Témoignage aussi de Nadav Lapiv, réalisateur israélien vivant en France, et qui nous dit son désarroi face à sa patrie fascisante et face à la haine inextinguible des combattants du Hamas. Ce n’était pas seulement un plateau « équilibré », donnant la parole à « une diversité de points de vue », c’était un plateau poignant, qui donnait à comprendre comment se noue un drame.
2°) il y a ensuite A l’air libre du 9 novembre 2023 : https://www.mediapart.fr/journal/international/091123/antisemitisme-les-risques-et-la-confusion
Il s’agit de traiter de ce qui est effectivement un gros risque de confusions trois jours avant la manifestation d’Etat contre l’antisémitisme. Mais, Oh Surprise, il ne s’agissait en fait pas de ça du tout…comme si Mathieu Magnaudeix avait tendu un piège, il fait rosser un de ses invités, Nadav Joffe, représentant du collectif juif décolonial Tsedek ! (qu’il orthographie mal sur la page web en oubliant le point d’exclamation). Il y a là un historien qui accuse Tsedek ! de longer « la ligne de crête de l’antisionisme au risque de tomber dans l’antisémitisme », avec l’approbation de Volia Vizeltzer, qui représente les Juifs et Juives révolutionnaires (mais n’est pas présenté comme ça : il est « dessinateur et blogueur sur Médiapart »), et Fabienne Messica, une des fondatrices, avec les JJR du collectif Golem (mais elle est présentée comme membre de la Ligue des Droits de l’Homme). Soit, au final, un plateau réuni pour pourrir le seul représentant du « bloc juif » (ceux qui, avec l’UJFP-Union Juive Française pour la Paix et le collectif US Jewish Voices for Peace, défilent dans les manifestations pour la Palestine au lieu de manifester avec Le Pen, Sarkozy, Hollande et Zemmour).
Règlement de compte, gueguerre à la con… Voilà…c’est un peu désolant, mais après tout, Mediapart a bien les amis qu’il veut. Tous ceux que ça intéresse connaissent maintenant les JJR, Jonas Pardo et ses formations dispensées à Mediapart.
L’avantage du caractère inique d’un tel traitement, c’est qu’il scandalise un peu et fait réfléchir … En fouillant un peu, on se rend compte que les controverses remontent en fait à la fondation du mouvement des Indigènes de la République, et que les JJR sont particulièrement remontés contre Houria Bouteldja, une de ses éminentes fondatrice, dont un billet de blog a été dépublié par Médiapart (c’est sans doute là que tout s’est joué ?). Eminente penseuse du racisme et de l’antisémitisme d’Etat pour les uns, antisémite et homophobe pour les autres…Pour ceux qui ne connaissent pas, voici un lien vers un débat assez extraordinaire qu’elle a avec François Begaudeau : https://www.youtube.com/watch?v=aVxs_pZ9YyY
3°) Le troisième point de repère est le plus important : un article signé Mathieu Magnaudeix, daté du 5 décembre.
Mathieu Magnaudeix y rend compte de manière « objective », en ayant croisé des sources diverses et en ayant cité « une diversité de points de vue », l’affaire suivante : le collectif Parole d’Honneur, réputé proche d’Houria Bouteldja, avec Tsedek ! l’UJFP, le NPA et d’autres organisations de gauche décoloniale organise une conférence-débat sur l’antisémitisme avec Judith Butler, philosophe queer mondialement connue et avec un message d’Angela Davis enregistré par Françoise Vergès. La Mairie de Paris l’interdit pour « risques de troubles à l’ordre public ». Mathieu Magnaudeix donne la parole à Aurélie Filippetti directrice machin chose de la culture à la Mairie de Paris, qui déclare « adorer Judith Butler », mais détester Houria Bouteldja qui est « antisémite et homophobe ». Mathieu Magnaudeix rappelle alors qu’Houria Bouteldja n’était pas invitée à la conférence et donne la parole à Judith Butler qui déclare que « La ville de Paris entretient une dispute avec quelqu’un qui n’allait pas parler, et a fini par annuler quelqu’un qui allait parler. En cela, cette annulation a un caractère regrettable, voire ressemble à une farce »
Voilà, merci Mathieu, Merci Mediapart, le taff est fait. Vous avez été ob-jec-tifs. Vous avez donné la parole aux uns et aux autres. Vous aussi vous devez a-do-rer Judith Butler. Je suis sûr que vous auriez pu héberger l’évènement interdit, à condition (c’est la réponse de mon université quand les étudiants ont adressé cette demande) que ce soit uniquement une conférence de Judith Butler, à l’exclusion de tous les autres intervenants, et sans la participation de ses organisateurs. Et sans parler d’antisémitisme, de Palestine, de sionisme, de jeu communautariste de l’Etat, et autres sujets scabreux se tenant sur des lignes de crête.
Bref, Médiapart, où en êtes-vous ? La liberté d’expression … La restriction des espaces publics … La redéfinition d’un bloc républicain raciste… la chasse aux noirs et aux arabes ….. Est-ce que tout cela est condamné à demeurer cantonné au registre du léger étonnement, de la déploration, mais aussi de la veille scrupuleuse de ces fous kamikazes sur la ligne de crête ? A quel moment quitterez-vous ce registre pour vous dire qu’interdire une conférence sur l’antisémitisme et son instrumentalisation, c’est quand même quelque chose de très grave ? Et que ça ouvre des questions énormes sur « pourquoi et comment militer au XXIeme siècle » ?
De cette affaire j’ai retiré une chose positive : je me forme. Il y a surement des choses à choper chez cette Houria Bouteldja.
Merci Mediapart (mais j’aimerai quand même des éclaircissements) !