jean_gardin (avatar)

jean_gardin

réfléchir

Abonné·e de Mediapart

21 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 juillet 2020

jean_gardin (avatar)

jean_gardin

réfléchir

Abonné·e de Mediapart

La Sortie - episode 9

L'assaut des CRS sur la ferme de Pierrot est gêné par un élément imprévu : le bal des pompiers de Malétable qui donne lieu à des scènes de liesse post-confinement et à de nombreux débordements. Quelques mois plus tard, pendant que Claire se remet des blessures subies lors de l'attaque, un mystérieux personnage déploie tout un attirail de saboteur dans les marais du Cotentin.

jean_gardin (avatar)

jean_gardin

réfléchir

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 EPISODE 9

14 juillet, 23h30, salle des fêtes de Malétable.

  • On se répartit sur le parquet, chacun dans son cercle de danse, OK ? Ok, allez-y , c’est ça… écartez les bras… tournez. Ça m’a l’air bon… C’est bon pour tout le monde ?
  • Pas de contact, même du bout des doigts ?
  • Bien, alors vous repassez une couche de bombe fluo sur les cercles. Puis rompez. L’équipe de sécurité, vous prenez vos postes aux entrées, les autres, quartier libre et bonne soirée !
  • OK chef !

Le capitaine Patrick Waldeck fait le tour de la salle des fêtes pour un dernier checking avant l’ouverture des portes au public. Les présentoirs couverts de consignes relatives à la distance de danse sociale brillent par intermittence en vert, bleu ou orange au rythme du bouquet final. La seule chose qui inquiète le capitaine est l’affluence. Il n’a jamais vu autant de voitures garées à Malétable et en a dénombré 150 au cours de sa tournée d’inspection , juste avant le feu d’artifice qui a drainé la foule vers le bord de l’étang. Les véhicules encombrent la place de l’église, le parking de la mairie et la rue pentue qui monte vers l’école.

Ce que le capitaine Patrick Waldeck ne peut pas savoir, c’est que des dizaines de véhicules s’apprêtent encore à  converger vers le bourg pour fêter le déconfinement au bal des pompiers de Malétable, des voitures pleines d’une jeunesse avinée, des voitures qui quittent les feux d’artifice de leurs propres patelins, et  qui vont bientôt se vautrer, insouciantes et pressées, sur les bas-côtés des chemins creux un peu partout autour du village.

***

15 juillet, 00h30

  • C’est pas possible, y a de la cocaïne qui tourne ce soir ou quoi ?
  • C’est sûr que c’est pas propre tout ça.

Le capitaine Patrick Waldeck tourne la tête vers son lieutenant avec de gros soupçons :  Loïc lui a répondu en reniflant, le regard plongé dans le décolleté d’une fille qui se trémousse devant lui, sagement rangée au centre de son cercle de danse mais semblant vouloir y attirer le pompier, comme une araignée, à force de danses du sexe et de regards aguicheurs.

Il cherche du regard qui pourrait bien dealer dans la salle, mais c’est comme trouver une aiguille dans une meule de foin. Il y a au minimum cinq cent danseurs surexcités et pas plus de deux cent cercles fluos dessinés au sol. La soirée est déjà un fiasco sur le plan de la sécurité.

  • Pour déconfiner, ça déconfine, c’est sûr ! A toute vitesse !

Marmonne Loïc, sur le point d’oublier son grade, son chef et la planète entière pour aller se faire manger par la première fleur carnivore qui lui tombera dessus.

Un bruit de verre brisé. Quelqu’un a été bousculé vers une des fenêtres. Pas de blessés, mais la sono déverse maintenant ses décibels dans tout Malétable. Le capitaine Waldeck se demande ce qui serait le plus facteur de trouble : interrompre la soirée ou la laisser se poursuivre. Il trempe ses lèvres dans le cocktail à la fraise que lui a tendu Loïc.

Pas mauvais.

***

15 juillet, 01h30

  • Y’a de la MDMA dans les cocktails !
  • Quoi ?
  • J’te dis qu’y a de la MD dans les boissons, j’en suis sûr !
  • Lesquelles ?
  • Les cocktails à la fraise, j’en suis sûr putain, c’est chaud j’en ai bu deux ou trois !

Il n’y a plus guère trace des cercles de danse sur le sol, la peinture fluo s’étale maintenant en grandes trainées diluées par l’alcool quand elle ne macule pas peaux, tee-shirts et soutien-gorges. On ne peut plus vraiment appeler ça un bal, et, pour danser, ça se passe autant dehors que dedans, maintenant que quelqu’un a trainé les enceintes jusqu’aux fenêtres.

Le capitaine Waldeck engloutit son quatrième cocktail à la fraise en se déhanchant sur Freed from Desire, puis il se rue vers les toilettes avant d’avoir à se pisser dessus. Il a envie de rester digne, rapport à Virginie qui visiblement lui fait du gringue de folie. Coté mec, il y découvre  trois nanas en train de se poudrer le nez et des gémissements non équivoques s’échappent des deux cabines. L’une d’entre elle est restée ouverte et donne vue sur une scène de triolisme endiablé. Waldeck rigole comme un débile, se fraye un chemin vers les urinoirs, et, alors qu’il se rebraguette, entend Loïc couper la musique et  prendre possession de la sono :

  • Hé les bœufs, ça va ?
  • Ça vaaaaa !!!!

répond la foule.

  • Alors ce soir on vous a composé une petite chanson de pompiers !
  • Ouaaaiiiiiiiii !!!!!!!

« Bordel attendez moi quoi » rugit Waldeck. C’est vrai, quoi, merde alors, c’est une tradition que ce soit le capitaine qui annonce la chanson de l’année ! Il se précipite vers la salle alors que la bande son est déjà engagée sur la rythmique punk de la Negra Bouch’Beat choisie par la brigade.

Quand il arrive aux micros, une douzaine de pompiers y sont déjà agglutinés leurs textes à la main.

Il arrache le micro des mains de Loïc qui s’y agrippe comme une sangsue.

Et c’est parti :

Illustration 1

15 juillet, 02h00

Ce n’est plus un bal, c’est un zoo qui pogote à en desceller les barreaux des cages. Il y a là près de mille personnes, dans la salle, hors de la salle, sur les capots des voitures, penchées aux fenêtres, crachant du feu, baisant dans les fourrés comme dans les tentes médicalisées.

Et quand la colonne de gendarmes mobiles débarque gyrophares allumés et sirènes hurlantes pour investir la ferme de Lahurie, ça part brutalement en couille.

***

E N T R A C T E

Revue de presse du 16 juillet

***

QUE C'EST-IL PASSE DANS LA NUIT DU 14 AU 15 JUILLET A MALETABLE ?

A la poursuite d’un individu particulièrement dangereux, les forces de polices se dirigeaient vers une ferme connue dans la région pour abriter une communauté de l’ultra-gauche, quand, en plein bourg, au croisement situé devant la salle des fêtes, un rassemblement de personnes sous l’emprise de l’alcool et encombrant la chaussée, a ralenti la colonne. C’est en se frayant un passage à travers la foule en partie dénudée et qui cherchait à grimper sur les camions, que  le premier véhicule de police aurait percuté une ambulance-covid roulant à grande vitesse, ambulance qui aurait alors dévalé la pente jusqu’à percuter les tentes médicalisées où devait être organisé le dépistage du groupe N. Tentes investies selon nos sources par deux pompiers et trois jeunes-femmes occupés à fêter le déconfinement. 

LES FORCES DE POLICE AVAIENT-ELLES IGNORE OU SOUS-ESTIME L’AFFLUENCE AU BAL DES POMPIERS ?

« Il se comportait comme un véritable fou » déclare une riveraine de la salle des fêtes à propos de Christophe Castaner qui, selon les témoins, a mené l’assaut sur la ferme de Lahurie poursuivi par la foule et sous une pluie de projectiles variés, auxquels les forces de l’ordre répondaient par des tirs de grenades lacrymogènes.

CE FIASCO NOUS DIT QUE LE GOUVERNEMENT A MAINTENANT SON AFFAIRE TARNAC

QUE DIABLE VENAIT IL FAIRE DANS CETTE GALERE ?

JEUX DANGEREUX. Le ministre de l’Intérieur aurait été gravement blessé au cours d’une partie de ce que l’on pourrait qualifier de « ping pong de la mort ». Une grenade de désencerclement jetée vers une certaine Anna Paoli bien connue des services de police aurait été renvoyée vers les forces de l’ordre par la jeune femme, à l’aide d’une raquette de tennis. Selon les témoins, la grenade aurait explosé alors que Christophe Castaner l’ayant saisi au vol tentait de la renvoyer à nouveau vers les occupants du lieu. Selon d’autres sources, c’est en essayant de protéger la sortie d’un jeune otage que le ministre aurait été blessé par un tir ami.

TRES RARES AU MOIS DE JUIN, Les scènes de liesse post-confinement, semblent se multiplier et parfois dégénérer en de véritables orgies plus on s’avance en juillet. Selon la philosophe Vinciane Despret, le bal des pompiers de Malétable est un épisode parmi d’autres montrant « que nous sommes bien toujours des babouins, et heureux de l’être ». Elle se dit également « curieuse de voir ce que cela donnera lors du déconfinement du groupe X » auquel elle appartient.

TOUT ÇA POUR ÇA ?

Le bilan de l’opération meurtrière semble bien maigre : bien que fichée S, l’activiste Anna Paoli « ne représentait pas une menace majeure », de l’aveu même du commandant de gendarmerie Philippe Lescuyer. Quant au terroriste recherché, il court toujours.

***

FIN DE L'ENTRACTE

R e p r i s e   d e    l’ a c t i o n

D e u x   m o i s   p l u s    t a r d . . .

***

Fil d’info du 11 septembre 2020, 07h :

A l’Etranger

- Le référendum sur la sécession du Nevada validé par la cour suprême des Etats-Unis.  Acclamé par la foule dans les rues de Las Vegas, Le sénateur Lionel Mandible annonce que le référendum se tiendra dès cet automne. Il déclare que le Nevada deviendra la première nation « réellement écologiste » du continent américain, et ajoute-t-il, « sans doute de l’Histoire de l’Humanité ». Le président Donald Trump tweet qu’en cas de victoire des sécessionnistes, la construction d’un mur autour du Nevada pourrait être décrétée « dans la minute ».

- A la conférence de presse qui a suivi la signature d’un contrat de plusieurs dizaines de milliards de dollars, le milliardaire Elon Musk, PDG de SpaceX et le président chinois Xi Jiping déclarent que  le consortium liant l’administration spatiale nationale chinoise au projet StarLink du constructeur américain « est appelé à se renforcer et à se construire sur la durée ».

En France

- A l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, c’est une rentrée sans étudiants mais avec des diplômes de qualité garantie qui se prépare avec l’aide des services informatiques. Un dossier accessible ici.

- Peut-on améliorer la gestion des cliniques privées  en s’inspirant des pratiques initiées dans l’hôpital-public au cours de la crise sanitaire?  Le président du Medef déclare que la question sera débattue  « sans tabous aucun » lors du diner qui doit se tenir ce soir à l’hôtel Crillon en présence du nouveau ministre de la santé et de l’économie, Bruno Lemaire.

- L’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner auditionné ce matin par la commission parlementaire dédiée aux événements de la nuit du 14 juillet connus sous le nom de « Bal tragique de Malétable ». Remis de ses blessures mais ayant perdu l’usage d’un œil et d’une main,  Christophe Castaner assure vouloir faire toute la lumière sur l’opération de police qui a abouti à la mort d’une jeune femme, d’un sapeur-pompier  et d’un ambulancier immunisé, dans ce village réputé tranquille de l’Orne.

Claire grimace : cette dernière info réveille le souvenir d’une douleur qui vrille dans ses oreilles. Décidemment, ça ne passe pas. Elle jette sa tablette sur le siège passager, retire ses appareils auditifs et démarre en direction de l’hôpital de la Grande Cavale. Les événements de l’été l’ont profondément marquée, mais ce n’est pas le sort de Castaner qui la passionne le plus. Elle a un bébé à saluer et son père a une guerre des étoiles à déclarer.

***

Sous ses pieds il sent craquer les écailles d’une argile durcie par la sécheresse. La chaleur de midi est terrible et rien ne lui donne l’impression de marcher dans un marais. Il pose son sac à dos, s’éponge le front, frotte ses mollets meurtris par les herbes coupantes et vérifie sa position au compas magnétique en prenant pour amers le château d’eau de Carentan, la tour télé de Marchésieux et le clocher de l’église de Saint-Sébastien-de-Raids. Il y est presque.

Sur sa gauche, Cabrilleau reconnait le petit frêne qui se détache sur le ciel bleu à moins de vingt mètres. Il se rend à son pied, vise le pylône de la ligne Très-Haute-Tension Cotentin-Maine et avance de trente pas. Il pose à nouveau son sac pour en sortir une pelle-pioche et  un fer à béton pointu avec lequel il entreprend de sonder le sol en cercles de plus en plus larges. Bientôt celui-ci lui renvoie le bruit mat de la dalle de béton recherchée. Après un coup d’œil circulaire lui permettant de vérifier qu’il est bien seul à des kilomètres à la ronde, il dégage la dalle puis, avec une brosse, la nettoie pour que l’engrenage circulaire qu’il y a coulé deux mois auparavant soit parfaitement dégagé de toute poussière. Voilà, il ne peut pas faire plus ; à cette heure-ci, mieux vaut ne pas s’attarder. Il se contente de taper du pied sur le sol pour vérifier la présence des cantines enterrée avec leurs onduleurs, transformateurs, câbles, crochets et catapultes. A 23h, il faudra placer et armer les catapultes, y placer les crochets, s’assurer du bon déroulement des câbles, et puis prier pour qu’ils s’entortillent comme prévu aux fils de la ligne THT.

Cabrilleau regarde sa montre, s’accroupit dans un fourré et patiente jusqu’à 13h. Il sort alors un antique talkie-walkie analogique, l’allume, vérifie que le son est bien coupé et presse trois fois sur le bouton « morse ». Il attend quinze secondes puis appuie une nouvelle fois, en gardant le bouton enfoncé pendant dix secondes. Une diode rouge s’allume. Après une ultime vérification de la charge de la batterie, il le pose dans les hautes herbes, l’antenne pointée vers le ciel.

Il reprend son sac et s’en va. En se guidant par radiogoniométrie Thomas, Abdelkrim et Noureddine pourront rejoindre  la dalle, de nuit, sans se perdre dans les marais.

A suivre ( prochain épisode le 14 juillet 2020) …

Jean Gardin

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.