Combien de nos concitoyens, en France, se disent qu’il ne faut pas trop dire ce qu’on pense du génocide à Gaza ou du nettoyage ethnique en Palestine parce que les juifs sont puissants ? Combien de nos concitoyens sont en train de devenir antisémites ? La machine infernale est lancée.
Les moteurs de l’antisémitisme sont ici l’Etat français et l’Etat israélien. Une preuve ? Le ministre de l’intérieur a écrit un livre antisémite. Qui cela gêne-t-il ? Les Etats français et Israéliens n’ont aucune considération pour la réalité de l’antisémitisme. Ce n’est pas leur problème. Leur problème est de faire taire toute contestation interne. De continuer à exister et à assurer le business, même si ceci a un prix : le fascisme.
Ce n’est absolument pas drôle… mais nous n’avons pas le choix parce que c’est en train de nous arriver… C’est le spectacle en cours. Un spectacle pas drôle, mais un spectacle quand même, qui semble convenir à toutes celles et ceux qui n’entendent surtout pas sortir de leur position de spectateurs.
Puisqu’il s’agit de s'adresser à un spectateur, racontons-lui des histoires. De bonnes histoires, pour en faire un spectateur averti.
La version Alexandrine
Quoi, De mon tendre émoi pour les victimes du 7
Est née ma grande haine de ce hideux Hamas ?
Que neni ! Baliverne ! Les deux Etats amassent
Leurs mensonges, mais vois… France et Israël fêtent
De la Palestine le sang qui coule à flot
De juive revenante, la peur à gros sabots.
Deux faces de même pièce, ravivant des anciens
monstres européens la fureur vengeresse.
La version « logique formelle » :
Un peu barbante, mais importante quand même :
- L’arc républicain s’est recomposé, incluant l’extrême-droite, rejetant la gauche sociale-démocrate représentée par LFI.
- Cette alliance du centre à l’extrême droite est la marque de fabrique de la fascisation d’une société (avec ses corollaires : l’accord des principaux barons de l’économie, la puissance accrue de la police, le contrôle des médias dominants, le mépris de l’Etat de droit, la désignation de populations allogènes dangereuses, voir par exemple l'historien Johann Chapoutot https://lundi.am/DU-NAZISME-ZOMBIE).
- Un génocide et un nettoyage ethnique sont en cours à Gaza et dans les territoires occupés.
- Le CRIF, l’UEJF et toute une série d’officines (par exemple Golem, les Juifs et Juives Révolutionnaires) désignent régulièrement au ministère de l’intérieur quelles têtes (notamment les têtes juives de Tsedek ! et de l’UJFP), doivent tomber au prétexte de lutter contre l’antisémitisme pro-palestinien (voir les récents événements à Sciences Po, les suites de la conférence de Judith Butler à Pantin, la mise en ligne des coordonnées personnelles et des photographies de militants pro-palestiniens, les streamers renvoyés devant les tribunaux pour apologie du terrorisme, les interdictions de manifestations, le refus de salles de réunions. Juste pour un exemple : la dénonciation d'urgence Palestine ici : https://blogs.mediapart.fr/antisemites-hors-de-nos-luttes/blog/200224/lettre-ouverte-aux-organisations-qui-convergent-au-sein-d-urgence-palestine et une réponse du QG décolonial ici : https://qgdecolonial.fr/lettre-ouverte-aux-sionistes-de-gauche-qui-convergent-a-mediapart/#_ftn1)…
- Les pouvoirs publics, notamment le président, le gouvernement, les présidences du Sénat et de l’Assemblée Nationale suscitent, relayent, soutiennent, appuient cette criminalisation de l’opposition au génocide (le premier ministre à Sciences Po : voir ici https://www.blast-info.fr/emissions/2024/antisemitisme-a-sciences-po-macron-et-attal-ont-parle-trop-vite-jVR9grUMQ0qZDkVatB8F5A, la présidente de l’assemblée nationale à sa tribune, la mise en scène à l’Elysée de la commémoration du « plus grand massacre antisémite depuis la shoah », voir : https://blogs.mediapart.fr/tsedek/blog/040324/le-7-octobre-un-massacre-antisemite) …
- Toute cette séquence accrédite l’idée qu’Israël est l’incarnation étatique de la volonté, de la puissance et de la personne même des juifs : puissance politique, puissance médiatique, puissance financière.
- Cette idée en entraine logiquement une autre : les juifs ont le pouvoir et il est impossible de les critiquer sauf à devenir un paria antisémite.
- Les séquences 6) et 7) qui précèdent sont caractéristiques d’une position antisémite européenne classique…
- … et personne n’en a rien à foutre… personne n’en parle… La montée d’un fascisme antisémite n’est pas un sujet pour les médias qui ne veulent voir que l’arbre du « nouvel antisémitisme » issus du monde musulman pour mieux cacher la forêt qui est en train de pousser.
Vous m’avouerez que c’est bien relou… Ces petits points de 1) à 9) signent une version pénible… Le spectateur n’est pas content… ça le renvoie à la fameuse injonction : « mais bon dieu, bouge-toi le cul !» que lui lançait déjà sa mère quand il se grattait les aisselles au lieu de préparer son bac. Tout ça parce que « normalement », la montée d’un fascisme antisémite en France, ça devrait lui faire bouger son cul ….
La version « Société du spectacle »
Le spectateur ayant déjà son bac, on va pas la lui faire à l’envers. Il a peut être vu La Traversée de Paris ? il a sans doute vu Jean Gabin tenir tête à toute une assemblée de lâches dans une taverne de la France occupée ? Tenir tête en les regardant dans les yeux et en les traitant de « Salauds de pauvres »… C’est-à-dire en leur disant la vérité. En leur disant que ce sont des profiteurs de guerre et de lâches spectateurs de l’occupation (https://www.youtube.com/watch?v=Xlg8USczcUQ)
Or, le spectateur n’aime pas se faire traiter de « salaud de pauvre ». Quand on le voit faire sa lâcheté, il fuit.
C’est sans doute ici qu’on peut commencer à s’interroger : où fuit le spectateur quand on l’a vu faire sa lâcheté ?
Premièrement, ce lâche fuit un épouvantail : il croit les juifs tout puissants. Ce lâche est, on l’a vu, un antisémite. Un antisémite du genre silencieux, puisque le fond de sa croyance est de croire qu’il ne peut pas dire ce qu’il pense (les juifs sont puissants, omnipotents)… Il ne peut pas parler en raison même de sa croyance (peur de se faire dézinguer). Son silence parle pour lui. C’est un silence antisémite qui se manifeste bruyamment en manifestant contre l’antisémitisme avec l’extrême droite. Il manifeste donc tout contre l’antisémitisme.
Deuxièmement, ce spectateur lâche et antisémite peut paradoxalement devenir pro-palestinien, dans une logique absurde : l’ennemi de mon ennemi est mon ami : « je manifesterai bien avec vous, mais vous comprenez, c’est inutile, ils sont si puissants, ils contrôlent tout »… Rassurons-nous, nous ne le verrons jamais dans nos manif’ ou dans nos collectifs. Sa lâcheté l’en empêche. Mais si le vent tourne, sans doute voudra-t-il montrer ses biscotos ? Ce qu’il appellera alors « courage » sera un courage tout aussi antisémite que sa lâcheté principielle. On a vu Alain Soral jouer cette partition-là, et se faire bienheureusement virer par de farouches mahométanes (en passant : ces barbaresques sauvent l’Europe en ce moment, non ?)
Mais plus probablement, son désir premier de demeurer spectateur nous préserve de ce genre de risques. Il demeurera un empêché. Des masses et des masses d’empêchés. Des masses grandissantes d’antisémites empêchés, gouvernés par une alliance fasciste et prétendument philosémite, de l’extrême droite et du centre, qui nie le génocide, qui participe à l’entreprise génocidaire en vendant des armes, en organisant le blocus (blocus non pas des génocidaires mais des victimes du génocide), et en organisant des marches contre l’antisémitisme, des cérémonies contre l’antisémitisme…
Bande de lâches … salauds de pauvres… Où cela nous mènera-t-il ? Nada.
Voilà, ça s’était la version post-situ…
Vous trouvez que c’est le bordel ? Et bien c’est parce qu’on y est, on en est bien là… J’espère que le spectacle continue à vous plaire !
Sur quel autre narratif pourrait-on se lancer ?
Sur une version vulgaire :
Spectateurs, spectatrices, bougeons nos culs !