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Billet de blog 24 juin 2020

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La Sortie - Episode 7

Christophe Castaner remonte la piste qui a conduit son fils, Abdelkrim et Bruno Latour jusqu'à la communauté de Pierrot. Claire parvient également à Malétable, pour découvrir que c'est un rebouteux qui s’affaire au chevet de son père. Dans son rêve fiévreux, ce dernier rencontre Samira et Soufiane sur la planète Mars.

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LA SORTIE

Episode 7

Le médecin l’a repoussé deux fois du lit quand il devenait trop agressif, et maintenant il a furieusement envie d’une clope ou de taper quelqu’un. Vingt ans qu’il ne fume plus mais là, la nicotine occupe son cerveau. Christophe Castaner quitte la chambre sans avoir obtenu grand-chose car Samira a fini par retomber dans les pommes. Ses gardes du corps ont du mal à suivre le rythme du chef au travers des couloirs où s’indistinguent les figures masquées des infirmières et des médecins. Il consulte ses messages en attendant l’ascenseur. Il a reçu 30 sms de son cabinet : la situation est maitrisée à Pantin, à la Castellane aussi. Encore des interventions en cours à Saint-Denis et Villeurbanne, mais ce 14 juillet va sans doute s’achever plus tranquillement que prévu. Il va pouvoir consacrer un peu de temps à la recherche de son môme.

Arrivé au rez-de-chaussée, il traverse le hall couvert de dessins d’enfants, de ballons en forme de cœur et se retrouve devant l’hôpital où fume un bouquet de blouses bleues et roses ainsi qu’une quinzaine de patients. Un garde du corps n’attends pas la consigne : il sent les choses ; et tend directement paquet de Marlboro et briquet à son patron.

Castaner note vaguement le caractère kitchissime d’une grande banderole « Honneur à nos héros » pendue au-dessus des portes coulissantes  et sur laquelle médecins, infirmières, pompiers et policiers armés traversent en souriant une haie d’honneur formée par des personnages de BD faisant la révérence : Hulk, Superman, Batman, Ironman, Wonderwoman, Cap’tain America... Il remonte le masque sur son front et allume la cigarette. Que faire ? Il ressort son portable. Encore trois nouveaux messages et deux d’entre eux concernent son fils ! C’est tout d’abord, la confirmation ADN de l’identité d’Abdelkrim Benziane que Thomas cachait dans la chambre de bonne, trois étages au-dessus de chez eux. Castaner a un petit sourire : il tient sa tante sanglée sur un lit d’hôpital. Ensuite c’est de la vidéosurveillance, Porte d’Orléans. Aucune confirmation possible, car l’image est prise de plus de 100 mètres en noir et blanc avec une caméra à basse résolution, mais les descriptions concordent : deux jeunes font du stop, une voiture s’arrête, un grand type en descend lentement, semble se disputer avec les occupants d’un 4*4 et finalement embarque les deux gamins.

Leurs tenues sont passe-partout et Castaner serait bien en peine de reconnaitre les vêtements de Thomas. Mais la fiche précise que les tailles et les heures correspondent à la fuite de Thomas et qu’on est en train  de déchiffrer les plaques. Castaner s’attarde un peu sur la vidéo : Il y a quelque chose dans la silhouette voutée du type à la voiture qui rappelle vaguement quelqu’un au ministre de l’intérieur.

Ce n’est qu’une question de temps. Il le sait. On les retrouvera. On les retrouve toujours. Le chauffeur avance la voiture sur le signe discret d’un garde du corps. Ce n’est qu’à ce moment que les fumeurs en rose et en bleu prennent conscience de l’importance sociale du personnage avec qui ils ont partagé l’instant d’une clope. Médecins et infirmiers regardent un peu fascinés la silhouette martiale s’approcher de la portière arrière ouverte, poser les mains sur le capot de la voiture et s’immobiliser, le regard fixé droit devant lui.

Christophe Castaner lit, sans comprendre ce qu’il signifie profondément,  l’énorme graffiti qui dégouline sur le mur, en face de l’entrée de l’hôpital et qu’un bonhomme vert est déjà occupé à effacer au karcher:

LES SOIGNANTS, CES ENCULES

***

Elle éteint la radio, fatiguée de la répétition sempiternelle des mêmes nouvelles, mais peu désireuse d’écouter la musique trop écoutée des quelques CD qui traînent dans la boite à gants. Alors, comme elle conduit dans le silence, fatalement, elle pense.

J’en viens à me dire que la décision de confiner tout le monde, aussi autoritaire soit elle, est la moins pire à prendre pour diminuer la charge pesant sur les soignants.

Pourquoi son père lui ressasse-t-il sans arrêt cette phrase ? Il en a encore parlé au téléphone en lui annonçant sa crainte d’avoir attrapé le virus. C’est vrai qu’elle avait écrit ça dans un mail il y a des mois, et que ça lui semblait juste, et en tout cas très partagé… Et ça restait vrai, non ? Le système hospitalier n’avait pas été complétement débordé. Les trains covid avaient permis de répartir la charge sur tout le territoire, la pénurie de masques, de gants, de visières, de surblouses, de lits et de personnel avait été compensée par l’engagement de chacun. Les respirateurs avaient fonctionné. La courbe avait été aplanie, ce qui avait permis d’éviter les choix éthiques les plus discutables, les choix italiens, la discrimination des personnes à sauver selon leur âge et leurs facteurs de comorbidité. Non, vraiment, les soignants pouvaient être fiers d’eux-mêmes, droits dans leurs bottes.

« Mais tout de même » répétait son père… « Tous ces pauvres qui crevaient sur les routes du monde, Et en France, tous ces gens qui n’étaient pas allé à l’hôpital se faire soigner autre chose, ce paradis pour maris violents, cette répression kafkaïenne des marcheurs en forêt, ces millions d’enfants décrochés du système scolaire, cette totale absence de stratégie de long terme, ces promesses de vies hors-sol derrière des écrans »… Ben, on ne savait pas !!! Qui aurait pu prévoir ? Et très peu de personnes étaient mortes !  « Mais personne n’est mort ! » avait crié son père complétement exalté. « C’est nous, les vivants, qui sommes morts ! ».

« On protège les plus faibles, c’est tout ! Et là, on s’occupe de toi ! » avait-elle asséné pour le faire taire et le ramener à des considérations plus pratiques et immédiates, comme le trajet qui le conduirait, via Malétable, jusqu’à l’hôpital de Brest.

Son téléphone sonne alors qu’elle s’apprête à prendre la sortie du Mans sur la A11. Un coup d’œil à l’écran lui signale que c’est encore son père.  Il attendra. Arrivée au rond-point après la barrière du péage, elle se gare sur le bas-côté et rappelle.

  • Allo Papa ?
  • C’est Noë à l’appareil, madame, Monsieur Latour est à côté de moi, il ne va pas très bien, il est très fatigué. On est en train de le coucher pour qu’il se repose.
  • Noë ?
  • Oui, heu… un ami.
  • Vous êtes où ?
  • A Malétable, mais pas chez vous, à Lahurie, vous connaissez ? Ce serait mieux que vous veniez le chercher ici.
  • Mais qu’est-ce qu’il fait chez vous ?
  • C’est compliqué… Il est arrivé ici en voiture et voilà, il est complétement HS, il arrivait plus à conduire, il a même pas pu nous dire où il allait et nous a juste donné son portable en nous disant d’appeler sa fille Claire.
  • Lahurie vous dites ?
  • Oui, pas loin du bourg, au-dessus de l’église, de la mairie, de l’école… deuxième ferme à gauche.
  • Je crois que je vois. Je dois en avoir pour une heure. Je vous rappelle si je ne trouve pas. OK ?
  • OK, à tout’.

« A tout’ ? » Il avait quel âge ce Noë ? Un « ami » de son père ? Qui l’avait trouvé dans sa voiture devant la ferme ? Et qui ne savait ni ou était sa maison ni qu’il avait une fille ?

***

  • Mais on voit toujours pas les plaques. C’est chiant quand même.
  • Non, mais déjà on identifie bien les jeunes, la voiture, et on a une image nette du vieux qui les prend en stop. La voiture est une Renault Mégane grise. Ils ont probablement pris une autoroute, ça devrait être assez simple de l’identifier sur les caméras des péages. Après, si ils ont pris des nationales, ça va être plus compliqué.
  • Vous l’avez trouvée comment cette vidéo ?
  • La Nana qui filmait depuis le 4*4 l’a postée directement sur VigiCovid.gouv pour dénoncer les jeunes qui faisaient du stop. Ca nous est tombé tout cuit dans les mains. Vous reconnaissez bien votre fils Monsieur le Ministre ?
  • Hein ?

Christophe Castaner n’écoute pas les commentaires des deux flics. Complétement fasciné par le vieux qui grimace en gros plan à l’écran, il se demande bien ce qui a pu emmener l’illustre sociologue qu’il a rabroué ce matin-même à prendre Thomas et Abdelkrim en stop Porte d’Orléans.

Il dit, l’air absent :

  • Ça va être plus facile que prévu. Le vieux s’appelle Bruno Latour. C’est une star apparemment.

***

  • Qu’est-ce qu’il a dans sa sacoche ? Regarde, un interview de lui, y a sa photo !… Il doit être connu… Tu m’étonnes, c’est Bruno Latour !
  • Putain mais tu fouilles dans son sac là ! arrête Guenola !
  • Tu fais chier Chloë. Il est dans les vapes et il est chez nous. Y a bien le droit de savoir qui c’est, non ?
  • Ça dit quoi ?
  • Déjà le titre, trop drôle : BRUNO LATOUR, Le philosophe qui avait tout compris?
  • Ça date de quand ?
  • C’est du 14 mai, dans Libération. Ah, ça promet.
  • Bah, c’est pas méchant, regarde : il appelle à imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise.
  • Mouais… Il se la pète quoi.
  • C’est pas si mal pour un intello de Libé. Et ça, lis ça… Si c’est pas un pote je sais pas ce que c’est : Je voyais à peu près comment cerner la crise sanitaire. Mais la crise économique qui s’y articule me paraît tellement massive que je suis tenté de partir à la campagne et de m’écarter de ces problèmes sans plus penser à rien !
  • Waouh… Il voulait se casser à la campagne ? Ben il est servi.
  • Moi j’aime bien ce passage : Nous avons offert au Covid les mêmes conditions que celles que l’on donne à un insecte qui viendrait dévorer une forêt dont les arbres sont tous identiques. Il a circulé parmi des milliards d’humains tous connectés entre eux et peu prêts à se défendre.
  • Comment ça se fait que tu le connaisses?
  • Ben j’ai fait de la socio à Nanterre avec Anna. C’est une super-star ce gars, mais dans le genre exalté. Regarde ça par exemple : A une échelle micro, brusquement, on a l’extraordinaire surprise de voir que les relations avec des collègues, des employés ou des proches sont totalement différentes parce que certains sont affectés. Cette redistribution des rôles, ce que j’ai appelé autrefois «la redistribution des associations entre humains et non-humains», est classique.
  • On dirait qu’il veut dire que c’est génial de voir des groupes affinitaires se créer sur la base de la flippe : les immunisés d’un côté, les sains à risques de l’autre, les sains pas fragiles dans une troisième case…
  • Oui mais lui il y voit des trucs positifs, genre, « la redistribution des associations entre humains et non humains»… Toutes les catégories sont revues à la base effectivement, mais tu trouves ça positif toi ?
  • Attends, il a pas mal évolué quand même. Ecoute ce qu’il dit sur les GAFA : On constate aujourd’hui leur triomphe financier et technique. Le virus leur permet de présenter l’hypermodernisme non plus comme une fuite en avant terrifiante, mais comme quelque chose de réaliste et de souhaitable, avec des cours d’école ou d’université sur Skype ou sur Zoom. C’est une catastrophe majeure, car nous restons des babouins, nous avons besoin de nous toucher, de nous épouiller !
  • Ouais, ça c’est réglo. Il peut rester au moins une nuit à Lahurie.
  • Pour moi, il est complétement paumé.
  • Il mute plutôt, il sait pas où il va : Il faut construire une conscience de classe géo-sociale qui permette à chacun de comprendre qu’il entre en lutte contre d’autres classes qui sont en train de bousiller ses conditions d’existence en vivant «hors-sol» par leur niveau de consommation.
  • Des classes géo-quoi ? C’est incompréhensible.
  • C’est encore un gamin, mais on dirait qu’il est en train de s’encagouler. Ça fait plaisir. J’espère qu’il va s’en sortir.

***

  • Ça va Pierrot, mieux que la dernière fois ?
  • Salut René, ça va et toi ?
  • Ça va. Tu m’as pas appelé pour du cidre je suppose ?
  • Non, viens voir.

Pierrot conduit René Guénon vers la chambre du bas où il est accueilli par Noureddine et Asma.

  • Salut René, ça va ?
  • Ça va Asma. Merci. Y a quelqu’un de malade ?
  • Oui, il est là. Il a sans doute le Covid.
  • Il est là.
  • Je vois.
  • On vous laisse ?
  • Non, vous pouvez rester.
  • T’as besoin de rien ?
  • Tu m’apportes une chaise s’il te plait ?

Dans son rêve, Bruno voit un ciel violet, presque noir, et semé de quelques étoiles. Des feuilles s’agitent dans le vent. Il se redresse sur les coudes et contemple la palmeraie nichée au creux d’un nid de sable rouge. Il se lève et avance, à la recherche d’êtres humains, le long d’un minuscule canal d’irrigation creusé dans le sable. Il croise des plantations de poivrons, de tomates, de céréales de luzerne et d’autres végétaux qu’il n’arrive pas à identifier, comme ces tiges d’allumettes surmontées de sphères translucides aussi légères que des bulles de savon et qui semblent flotter dans l’air à la manière de petites montgolfières retenues au sol par leur amarre. Il en touche une, la bulle éclate et la tige retombe au sol. Ses doigts sont poisseux. Il en goutte le jus. Farineux, sucré, légèrement acidulé.

Plus loin le canal en rejoint d’autres et s’élargit pour prendre les dimensions d’une minuscule voie navigable. La palmeraie s’ouvre et dévoile le paysage martien : rabwa, medna, zbar, plus loin : amkasirs… Des dunes sur d’autres dunes et au fond, un volcan qui semble grimper jusqu’au ciel. Il est maintenant devant un reg aride dont sortent quelques cheminées. En se dirigeant vers la plus proche il tombe sur une excavation circulaire dont les parois sont percées de fenêtres, certaines illuminés. Un escalier taillé dans la cuirasse lui permet d’accéder au fond. Il y a là quelques instruments aratoires et des portes. Bruno en choisi une et entre.

  • Il y a quelqu’un ?

Silence.

Bruno s’assois sur un bas-flanc, puis lentement, s’y allonge, parcouru de frissons. Il se glisse sous une couverture de laine posée là comme si elle l’attendait et s’endort en grelottant. Un petit bonhomme, la soixantaine alerte et les joues rougies par les travaux extérieurs, en profite pour sortir de l’ombre  et s’approcher de lui une chaise à la main. Il s’installe à son chevet et glisse les doigts sous la couverture. Bruno sent la chaleur de ces mains envahir son corps. Il ouvre les yeux. Le petit bonhomme le regarde, l’air concentré, inquiet.

  • Il est tatoué par le confinement.
  • Comment ça ?
  • Ben, votre Bruno, il est tatoué, comme nous tous.
  • Et alors, quoi ?
  • Il est plus tatoué que nous. Sa peau a pris de mauvais plis. L’illusion de la bulle immunitaire a été très forte chez lui. Il a cru mettre le monde à distance. Du coup quand le monde le touche, tout s’effondre.
  • Pourtant il n’a pas l’air d’un lâche. Il prend des positions publiques, il pense, il ne se laisse pas faire.
  • C’est au-delà du langage, Asma. Justement. C’est là le problème, sa peur est au-delà du langage. Il est tatoué, c’est dans la peau. Nous aussi, mais là c’est plus grave. Toi Asma, j’ai jamais connu quelqu’un comme toi, d’aussi résistant, à part peut-être Noureddine. Mais tu sais pourquoi.

Noureddine rigole doucement. Asma sourit.

  • Tu ne m’envies pas ?
  • Je ne t’envies pas.
  • Tu ne peux rien faire pour Bruno?
  • Je lui enlève le feu. Sa fièvre baisse. Heureusement qu’il n’a pas vingt ans de moins. Il a des souvenirs, un passé auquel se raccrocher, un orgueil aussi. Mais il lui manque la Tradition.

Debout dans le coin de la chambre, Pierrot se gratte la tête.

  • La tradition ?

Et Thomas de s’étonner :

  • Il veut une baguette-tradition ?
  • C’est rien. Pierrot, Noë, laissez tomber. Vous nous préparez un petit café s’il vous plait ?

***

Claire en a marre, ça fait cinq minutes qu’elle poirote à l’entrée de la ferme comme si c’était une frontière internationale.

  • Non mais zut, mais vous me laissez passer, oui ?

Anna tourne autour du 4*4 l’air suspicieuse.

  • Belle voiture dites-donc… Ca consomme beaucoup ?
  • Bon, si vous continuez comme ça, j’appelle la police !
  • Ah, désolé, mais l’usage des téléphones portables est interdit ici.
  • Alors je sors et j’appelle les flics, ça vous va ?

Guenola soupire et saute du banc sur lequel elle s’est perchée. Anna la fait chier avec ses principes à la con, ses manières d’humilier les gens et sa manie de pisser sur les roues des voitures pour marquer son territoire.

  • Je crois que c’est bon là… elle est venue chercher son père.

Claire se retourne. Enfin quelqu’un de raisonnable ? La seconde fille est encore plus hirsute que la première, mais au moins elle ne jappe pas comme un caniche derrière le grillage.

  • Il est où, Ce Noë qui m’a appelé ?
  • Il arrive, je crois qu’il est au chevet de votre père, ou alors il est parti s’installer dans le verger. Mais venez, suivez-moi.

Anna bougonne :

  • Elle va pas laisser son tank là, à boucher l’entrée quand même ?

Guenola modère :

  • OK, garez-vous dix mètres plus bas, le long de la grange.

Claire obtempère, laisse glisser sa voiture le long de la pente, serre le frein à main, s’extrait du véhicule, ouvre le coffre, enfile les bretelles de son kit de premiers secours et hésite devant le fatras de sacs débordants. Guenola s’en empare.

***

  • Alors là, ce point qui clignote à l’écran, c’est son téléphone portable. Il est dans une ferme, dans un bled qui s’appelle Malétable, à 50 kilomètres à l’Est d’Alençon, sur la N12.
  • C’est chez lui ?
  • Non, c’est une espèce de communauté d’ultra-gauche que les renseignements surveillent de loin en loin. Rien de très méchant. Accueil de clandestins, multiples ruptures du confinement, et j’imagine qu’il y a des pieds d’herbe sous la serre, là.

Le flic zoome sur le potager et pointe un rectangle blanc du doigt.

  • L’image qu’on a là, c’est du direct ?

Demande Castaner.

Le flic se retourne et regarde son ministre comme s’il était complétement demeuré.

  • Heu, non, là, en direct, il fait nuit.
  • Rien d’autre d’illégal ?
  • Non, mais on a déjà de quoi les faire tomber facilement, si vraiment on en a besoin. Après, faut savoir qu’il y a 12 habitants permanents, pour ce qu’on en sait, et le satellite montre qu’il y a aussi un camping dans le verger. Trois camions, une dizaine de tentes. Donc potentiellement ça fait du monde. Si on intervient, on mettra le paquet. Et faudra faire gaffe parce que le lendemain c’est la sortie du confinement pour les gens du coin. Il y a déjà tout le service de santé qui a posé ses tentes sur la place du village.
  • Vous pouvez être opérationnels à quelle heure ?
  • A une heure du matin, avec un pré-positionnement ici, dans le bocage, à deux kilomètres. A La Souricière.
  • Qu’est-ce que Bruno Latour fout dans cette ferme ?
  • J’en sais rien.
  • Vous bornez d’autres portables ?
  • Pas beaucoup. Ils se méfient. Si on supprime ceux des voisins, attendez… il en reste quatre. Une certaine Anna Paoli, italienne, fichée S pour des histoires de manifs, une réfugiée qui s’appelle Asma Baghdaoui, le portable de Latour et … celui de sa fille, Claire Latour.
  • Sa fille, bon Dieu, mais c’est quoi ce bazar ! C’est qui elle ?

Le flic tapote rapidement sur son clavier.

  • Alors… Chef du service Réanimation de l’hôpital de la Grande Cavale, à Brest… Médaillée de la Légion d’Honneur par le Président Macron le 18 juin, Célibataire sans enfants… 45 ans… Elle a reçu un appel de son père à 19h03 alors qu’elle était au boulot… et juste après elle a filé sur la voie rapide pour arriver directement ici. Entre temps, elle a encore manqué un appel, et elle a rappelé de la sortie d’autoroute au Mans à 22h47. C’était encore son père.
  • Attendez… On a qu’un seul motif sérieux pour intervenir : aller chercher un môme soupçonné d’avoir renversé un flic… Et au final on va se retrouver avec une star des intellos et sa fille décorée par le Président, et tout ça dans une armée de gauchistes, la veille du déconfinement avec ses plateaux télé… ça commence à puer un peu.
  • Pardon Monsieur le Ministre, Je croyais que c’était votre fils qu’on allait chercher ? Non ?

Castaner le fusille du regard.

  • J’y vais moi-même. L’hélico m’attends.

***

Deux silhouettes drapées de noir descendent de la dune orientale en glissant comme au ralenti pour ne pas créer d’avalanches.

Bruno les regarde depuis le plateau rocailleux. Le petit bonhomme aux yeux vifs est là, à ses côtés, l’air tranquille et satisfait. Maintenant le couple est devant eux et retire ses turbans. Un jeune homme, une jeune femme. Leurs cheveux sont noirs, leur peau dorée est marquée par les rides laissées par le sable-rouille, leurs yeux sont jaunes et tranquilles. Ils resplendissent d’un éclat que Bruno n’a plus vu depuis des mois  chez des humains. Sont-ils humains ? Sont-ils Martiens ?

  • Bonjour
  • Bonjour
  • Slavouille ?
  • Avouille ?
  • Vouqui ?
  • Amou Samira, alou Soufiane. Avouqui ?
  • Amou Bruno, alou, saipa.
  • Ventelet brousse, frousse et trousse ;;; ;;:;:;././.
  • Sable-rouille crisse, frise, frasse !!!:!:!:!!!!!!
  • Avoupeur, avoue ?
  • Amoipapeur, pavous ?
  • Panous !
  • Où allez-vous ?
  • Ici, avous ?

Bruno regarde le petit bonhomme aux yeux vifs qui lui fait signe de rentrer et qui dit :

  • Alui pafini, partir.

Il désigne du doigt une petite planète bleue qui brille dans le ciel de Mars.

***

  • Claire ?
  • Papa !!!
Illustration 1
Princesse Bakery, Rue Cail, Paris 10°, 13 mai 2020 © Jean Gardin

Princesse Bakery, Rue Cail, Paris 10°, 13 mai 2020. Crédit : Jean Gardin

A suivre ( ...) Prochain épisode le samedi 27 juin

Jean Gardin

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