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Billet de blog 25 octobre 2023

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Les refoulés coloniaux et leurs effets sur le conflit israelo-palestinien

Mes copains me disent que je suis en colère, et que ça ne sert pas à grand-chose. Je voudrai ici corriger le tir. Ne pas être en colère, analyser. Mais comme je suis taquin, je voudrai aussi vous convaincre qu’à un certain stade d’injustice et d’emballement, réfléchir et analyser n’a pas d’effets plus positifs que la colère.

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Refoulé : quelque chose qui n’arrive pas à faire surface et qui replonge sans cesse dans la gadoue de l’inconscient.

Retour du refoulé : le refoulé qui n’ayant pas la possibilité de faire surface, s’exprime de manière violente, sans que ce lien ne puisse être mis en langage.

Il est de coutume d’expliquer les positions occidentales vis-à-vis d’Israël comme des expressions de  retour du refoulé. Je dis que c’est de coutume, parce que des dizaines d’intellectuels ont déjà écrit sur le sujet. Ça ne paraîtra neuf qu’aux plus jeunes.

Le soutien inconditionnel des USA à Israël ne s’explique pas que par la puissance d’un lobby pro-israélien et par les intérêts impériaux nord-américain. On est bien au-delà de ça. Abraham Serfaty, issu d’une famille juive tangéroise et militant communiste marocain rappelait que la terre américaine était recouverte de petits bleds nommés Jérusalem, Hébron, Bethléem. Bien plus encore que l’Amérique catholique, l’Amérique protestante est un immense tapis de toponymes palestiniens, un tapis qui recouvre la strate des toponymes amérindiens. L’Amérique est une colonisation qui s’est déployée sur une terre vidée de ses habitants. Les Etats Unis, surtout eux, sont basés sur le nettoyage ethnique et le génocide des « Premières Nations ».

Personne à ma connaissance ne remet pour autant et sérieusement en question le « droit à l’existence » des USA. Il faut se placer avant le massacre des Sioux à Wounded Knee (1890) pour voir des shamanes amérindiens  invoquer des esprits qui secoueront la terre comme un grand tapis pour en faire tomber les réalisations des blancs.

La remarque de Serfaty, reprise ailleurs par Gilles Deleuze et Elias Sanbar laisse donc entendre que c’est le droit à l’existence des USA qui se joue, comme un retour du refoulé, dans le soutien inconditionnel à Israël.

Voilà, c’est un peu tordu, mais, admettons.

Est ce que ça se soigne ça ?

Je m’imagine mal aller voir Biden, Trump ou Obama et leur tirer la barbichette en leur disant « Hé ! Oh ! est ce que tu te rends compte que tu rejoues ta faute originelle en Israël-Palestine ? Va donc t’excuser auprès de Sitting Bull ! ».

C’est absurde, mais c’est absurde parce que  je viens d’écrire « faute originelle ». C’est mauvais, je corrige : il faut écrire « violence fondatrice ». Il ne s’agit en rien de culpabilité. Il s’agit d’avoir acquis un droit à être là par la violence infligée à l’autre. Ca peut se traduire ensuite par de la culpabilité, de l’identification aux victimes (pensez aux néo-westerns, de Little Big Man à Danse avec les Loups), mais aussi bien plus souvent, par du plaisir et du contentement de soi (les westerns classiques). Donc, ce qui se joue dans le soutien des USA à Israël, ce n’est pas le fait de cacher le génocide amérindien, c’est de le réaffirmer. C’est le fait de réaffirmer le droit d’un Etat à être fondé sur la violence et le nettoyage ethnique.  C’est ça que veut dire l’expression consacrée, qu’il faut prononcer d’une traite sans respirer : « le droit inaliénable à l’existence d’Israël ». C’est ça qu’elle veut dire dans la bouche d’un officiel US.

Là, on commence à toucher quelque chose, non ? Il ne faut pas attendre de la culpabilité de la part des officiels US quand ils viennent exhiber les scalps pris sur la frontière.

La frontière, tient, justement… la conquête des terres indiennes s’est faite sur un front pionnier nommé Frontière, et qui ne fut abolie qu’en 1890 année du massacre de Wounded Knee, lorsque le bureau du recensement des Etats Unis jugea que le territoire « dévolu » aux USA était maintenant dans son ensemble suffisamment maitrisé. Sur un plan fantasmatique, un nord-américain peut voir la colonisation israélienne en Cisjordanie rejouer, vers l’est, le déplacement vers l’ouest de la frontière nord-américaine, avec ses chariots de colons qui font le cercle quand les peaux-rouges attaquent.

Et là, je repose la question : est-ce que ça se soigne ? La réponse est que c’est peu probable. J’en reviens toujours aux accords d’Oslo. Il y avait trois Peace-Makers sur le devant de la scène. Arafat, Rabin et Clinton. Et là, il s’est bien dit des choses sur le fait de laisser la frontière inachevée, de ne pas laisser Israël s’étendre sur « la totalité du territoire qui lui était dévolu ». Donc, oui, ça se soigne ! Puisqu’un président américain l’a accepté ! Mais Rabin a été assassiné, Arafat bombardé dans son palais de Ramallah, et Clinton semble bien mal représenter l’Amérique d’aujourd’hui.

Bon mais tout ça s’est un peu facile … s’en prendre aux ricains est un sport national en France. Un sport qui se perd, puisqu’il n’y a plus que Mélenchon pour twitter frénétiquement sur le sujet. Je suis pour la sauvegarde de l’anti-américanisme de gauche, ça fait partie du patrimoine. Mais il y a plus important. C’est l’Algérie et le retour du refoulé algérien dans la pensée politique française.

On rappelle les bases : La France est au 19eme siècle un pays notoirement antisémite et un grand colonisateur. La France s’installe en Algérie en 1830. Elle massacre mais ne procède pas à un nettoyage ethnique. Les massacres sont là pour annihiler toute résistance et se faire de la place au milieu des vaincus, priés de se pousser. C’est, avant l’Afrique du Sud qui n’existe pas encore, une colonisation de peuplement. Avant l’Afrique du Sud, la France invente en Algérie les bases d’un développement séparé que l’Afrique du Sud instituera en 1948 sous le nom d’apartheid. Rappelons que les indigènes musulmans n’y étaient pas jugés par les mêmes tribunaux, que les indigènes juifs y furent mieux traités que les indigènes musulmans (le décret Crémieux de 1870), que les enfants nés en Algérie de parents étrangers (espagnols, italiens, maltais …) y furent français à partir de 1889, qu’il faut attendre 1944 pour que le Comité français de Libération nationale signe à Alger l’ordonnance « relative au statut des Français musulmans d'Algérie »  abrogeant  le code de l’indigénat, et finalement la loi du 7 mai 1946 pour que tous les algériens soient citoyens français.

Donc deux choses à retenir au sujet du refoulé algérien : a) la violence fondatrice ; b) l’apartheid comme modalité d’accession graduelle à la citoyenneté.

Ensuite il y a la guerre d’Algérie, l’insurrection, la guerre de contre-insurrection dont les français deviennent les experts mondialement reconnus, avec ses stratégies de contre-information, d’insertion dans le tissu urbain et de tortures généralisées, et finalement l’échec, l’abandon, les accords d’Evian de 1962, et l’indépendance algérienne, sur un fond de violence inouïe, qui reste vivante dans les mémoires puisque les combattants de 20 ans de 1960 en ont 83 aujourd’hui. Il y a pour finir, les massacres d’Oran du 5 juillet 1962, trois mois après la signature des accords d’Evian, avec des centaines d’européens tués devant une armée française spectatrice… C’est alors la généralisation d’un exode de « rapatriés » entamé à bas-bruit une décennie plus tôt.

Le refoulé spécifique à la guerre d’Algérie est complexe, multiple, mais on peut tout de même tirer quelques ficelles. A) c’est une affaire intérieure à la France, qui jusqu’à 1999 refuse de parler de guerre et préfère l’expression « d’évènements ». B) c’est un facteur de division de la nation puisque des français de métropole supportèrent, voir, aidèrent le « terrorisme » du FLN. C) C’est un échec, une perte, une honte. D) c’est toujours vivant.

Je propose d’analyser les effets du refoulé algérien de la pensée politique française à deux niveaux :

Sur le plan des relations de la France au conflit israelo-palestinien. Israël est assimilé à la France, puissance occupante, et les Palestiniens, assimilés aux Algériens révoltés. Les opérations de nettoyage urbain qui furent menées à Gaza, par Israël dans l’opération « plomb durci » de 2008-2009 doivent beaucoup à l’expérience contre insurrectionnelle accumulée lors de la bataille d’Alger et partagée ensuite par l’armée française dans les meilleures écoles militaires du bloc de l’ouest. Le mot de terrorisme est accolé aux opérations du Fatah, du FPLP, et aujourd’hui du Hamas comme il l’a été aux actions du FLN. Il n’est pas accolé aux opérations de nettoyage ethnique menées par Israël. Le raid du 7 octobre 2023, qui est assimilé par les israéliens à un pogrom est, dans les mentalités françaises, plus certainement relié aux massacres d’Européens par les Algériens, notamment aux massacres d’Oran. Au Moyen-Orient, la France rejoue la guerre d’Algérie. Par conséquent, l’image qui vient fatalement barrer toute solution négociée, est celle de l’exode. La hantise d’un départ des juifs israéliens venant répondre à la réalité du départ des rapatriés d’Algérie.

Sur le plan intérieur, les déchirures entre deux camps ont profondément marqué la France métropolitaine. D’un coté la gauche communiste favorable à l’indépendance algérienne, et de manière générale, partisane des luttes de décolonisation. De l’autre, des partis de l’ordre, allant de la SFIO ou brilla un certain François Mitterrand, à la droite la plus réactionnaire. Inutile de rappeler le caractère providentiel d’un de Gaulle venant se placer au-dessus de la mêlée. Il est par contre utile de rappeler que de Gaulle fut et est encore détesté pour cela par une partie de la droite. Ce qui se rejoue aujourd’hui est très clairement une mise « en dehors du champ républicain » (expression désormais consacrée) de ceux qui refusent de dénoncer le terrorisme palestinien, de ceux qui pensent qu’une résistance peut être terroriste, qu’une lutte d’émancipation peut être terroriste. Ce que les officiels français ne veulent pas revoir, c’est la victoire de ce camp de la gauche anticoloniale pro-algérienne. Et pour se faire, ils n’hésitent pas à inclure « dans le champ républicain » le honni de la veille : le Rassemblement National, dont toute l’histoire nous ramène au refus de l’indépendance algérienne, à la stratégie de contre insurrection de l’armée française.

Est-ce qu’on peut soigner cela ?

C’est très différent de ce qui se joue aux USA. Car il s’agit d’événements concernant des gens encore vivants. Mais aussi parce que guerre d’Algérie et conflit israelo-palestinien sont des événements non seulement proches dans le temps et dans l’espace, mais aussi des éléments très concrètement reliés. J’ai déjà décrit rapidement le leg contre insurrectionnel de la France à Israël, mais il faudrait signaler aussi la continuité de la gauche radicale à la fois pro-algérienne et propalestinienne. Et il faudrait faire entrer également les relations de l’Etat algérien à l’OLP etc.

Si bien que, dans le cas français, je ne sais pas si on peut parler de refoulé et de retour du refoulé. Il faudrait sans doute parler de demi-avalé – jamais digéré, je ne sais pas.

Et puis, en tant que français, je n’ai sans doute pas la meilleure place pour analyser tout ça.

J’ai moi-même connu plusieurs appelés français ayant servi en Algérie. L’un d’entre eux me disait que « Des Oradours sur Glane, j’en ai commis des dizaines ». Il me disait aussi que « L’armée française a fait de moi un monstre ». Et il me disait encore qu’il conservait un couteau dans son coffre de voiture au cas où un b…. essayerait de la lui faire à l’envers. Il me disait enfin que lorsqu’il voyait des images de migrants entassés sur des bateaux, il lui venait des envies de les massacrer tous.

Qu’est ce qu’on peut faire tant qu’on a tant de merde dans la tête ?

Ecouter des mots doux, des mots d’espoir, écouter Edwy Plenel à la fin de cette émission par exemple : https://www.mediapart.fr/journal/international/241023/proche-orient-que-la-france-ne-soit-pas-capable-de-demander-un-cessez-le-feu-c-est-indigne

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