Les buts de cette réforme sont multiples. Détériorer le temps qui est censé échapper, aussi peu soit-il, à la domination et à l'exploitation. Dégrader le temps de la liberté, aussi fragile soit-elle, qui se dérobe à celui de la servitude. Réduire le temps de la récompense qui vient après celui de la contribution contrainte au bien commun. Cette réforme espère atteindre ces objectifs en reculant le plus possible l’âge légal du départ à la retraite et la durée de cotisation afin que les dominés de toute une vie ne puissent plus partir en bonne santé ; en appauvrissant encore les plus pauvres pour qu'ils soient obligés de réintégrer la division du travail avec un second « boulot », précaire, mal payé, exploité. La volonté du gouvernement n’est-il pas de tout faire pour que ce temps de la retraite, ce bref temps d’émancipation, ressemble au temps déjà vécu pour empêcher quiconque s’imaginer vivre autrement que sous la contrainte ? La finalité de la réforme des retraites n’est-elle pas d’imposer un temps de la retraite qui fasse peur ? Pour cela, il lui faut diffuser l'idée que ce temps sera encore un temps d'adaptation aux lois dites naturelles de l'économie dans son mode capitaliste. Il faut renforcer leur prévalence afin qu’elles s’imposent tout au long de la vie, étendre l'irrationalité du monde créée par la domination des oligarchies et créer de la sorte une profonde insécurité.
Ainsi elle tend à éliminer l’idée d’un autre monde possible, dans lequel la liberté de chacun serait une condition de la liberté de tous, un temps où l'on pourrait « chasser le matin, pêcher l'après-midi, m'occuper d'élevage le soir et m'adonner à la critique après le repas, selon que j'en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique » (Marx l’Idéologie allemande). Elle tente d’éradiquer cette promesse de bonheur une fois pour toute avant qu'elle ne se diffuse, qu'elle contamine l'économie bourgeoise et la domination politique, sous quelque forme que ce soit : quiet-quitting, grande démission, contestation de la perte de sens du travail, etc.
Cette réforme rentre dans un projet global : supprimer tous les temps libres, potentiellement subversifs, car guidés par une autre raison, libérée de la domination, seule apte à imaginer et à construire un monde où le travail pourrait être un signe de libération, où le bien-être ne se mesurerait pas en termes quantitatifs, où le bonheur ne serait plus une simple chimère.