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Billet de blog 7 août 2015

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L'automne des réformes

On n’aura jamais autant parlé de la réforme territoriale. Elle n’aura jamais semblé aussi irréelle. Son présent c’est son passé, celui de territoires toujours en évolution, et ce au moins depuis la loi de 1890 sur l’intercommunalité.

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On n’aura jamais autant parlé de la réforme territoriale. Elle n’aura jamais semblé aussi irréelle. Son présent c’est son passé, celui de territoires toujours en évolution, et ce au moins depuis la loi de 1890 sur l’intercommunalité. En sautant près d’un siècle, les divergences d'évolution sont cependant frappantes : au début des années 1980, les régions sont annoncées comme les collectivités en devenir, à une époque où les communautés urbaines végètent. Trente ans plus tard, les élus se sont pleinement emparés de ces territoires. Il convient donc aujourd’hui de dépasser les malentendus historiques et identitaires, non sans oublier un Etat qui, non seulement ne renonce pas, mais qui demeure au cœur de toute réforme. C’est en effet l’Etat qui est l’instrument de la cohésion nationale car il se doit de veiller aux équilibres nationaux ainsi qu’à l’expression des intérêts locaux. Le mythe serait que le modèle républicain aurait nivelé toute velléité locale. Or, la réalité est plus complexe car la pédagogie républicaine a dû composer avec des particularismes locaux vivaces.

Au terme de plus d’un siècle d’évolutions, et après l’échec de la réforme de la carte communale de 1971, la révolution intercommunale puis métropolitaine, a permis une rapide généralisation des groupements à fiscalité propre, sous la forme d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) obéissant au principe de spécialité, dotés de leur propre administration, qui se sont intercalés entre l’échelon communal et l’échelon départemental. L’intercommunalité fonctionnelle était critiquée pour son manque de visibilité, des économies d’échelle discutables, des redondances institutionnelles et une croissance des prélèvements sans forcément de gains d’efficience. Le texte de référence date de 1999. Il est relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Il s’agit en quelque sorte de la première loi à ne s’intéresser qu’à la coopération entre les communes. Au titre des ressources des intercommunalités, l’élément « contribuable » du quarteron considère aujourd’hui que « décidément ça suffit ! ». Même s’il convient de relever que tout contribuable local est aussi un contribuable national en puissance ou qui s’ignore, puisque l’Etat assume près du tiers de la fiscalité locale. Pour ce qui est des dotations de l’Etat, elles résultent notamment d’une volonté incitative. La dotation globale de fonctionnement (DGF) est d’ailleurs l’acronyme que tous les élus ont à la bouche.

Que doivent être, demain, les compétences des régions ? Le développement économique, l’aménagement du territoire, les transports publics, la formation, bref la préparation de l’avenir. Elles doivent être parties prenantes des politiques de l’emploi, pleinement associées à la gestion de la Banque publique d’investissement (BPI) et aux outils de financement pour les PME, pour l’innovation, pour l’économie sociale et solidaire. Elles devraient aussi pouvoir disposer d’un pouvoir réglementaire leur permettant d’adapter la loi nationale aux réalités du territoire. Aucun découpage n’est neutre alors qu’un consensus est toujours difficile, sinon impossible, à obtenir. Ce qui frappe aujourd’hui en France, c’est cette volonté de rationaliser les structures des collectivités locales et d’économiser les moyens financiers publics… mais sans y arriver véritablement, tout du moins jusqu’ici. La difficulté est que le découpage qui sera mis en place en 2015 pour les régions va en réalité générer des dépenses nouvelles, et ce, sous couvert d’économies ! En effet, lorsque deux entreprises fusionnent, l’addition des structures se traduit par une diminution des moyens, notamment humains. En somme, « 100 plus 50 » ne font pas 150 mais plutôt 130 ou 140. Dans le cas des futures « régions », les moyens humains ne vont pas diminuer, notamment en raison du statut des personnels. Ils risquent même d’augmenter pour « animer », « coordonner » etc… Quant aux moyens financiers, ils vont augmenter en raison de la nécessité de reprofiler les systèmes de gestion des ressources humaines, les systèmes d’information, de reprendre tous les schémas (aménagement, économie, formation professionnelle, transports …) de toutes les régions. Et puis, il va falloir gérer le coût des déplacements dans les anciennes capitales, à qui des compensations seront certainement proposées (ici la commission permanente, là le siège du conseil économique et social et environnemental). Sans économie en termes de ressources humaines, le surcoût peut être évalué à environ 3% des budgets actuels, soit 1 milliard d’euros. On est dont très loin des 10 milliards d’économies annoncés à grand renfort de publicité au printemps 2014. Pour fonctionner, un découpage doit s’appuyer sur la création de richesse. Force est de constater qu’aujourd’hui, les richesses sont tractées par les métropoles. Pourquoi dès lors ne pas concevoir une carte des régions à partir de nos plus grandes métropoles ?

La difficulté de la réforme des territoires tient à deux éléments. Le premier élément est d’être parti du découpage des régions actuelles plutôt que des véritables besoins des territoires. Le deuxième élément est de conduire cette réforme en même temps que la réforme des conseils généraux dans leur forme actuelle. Sur le terrain, les besoins des territoires sont de disposer d’échelons d’interventions accessibles, lisibles et soucieux des deniers publics. Or force est de constater que la réforme projetée ne supprime pas les doublons puisque seront redéléguées des compétences à d’autres échelons, un peu comme la future métropole du Grand Paris aux futures  ex-agglomérations. Pour ce qui est de la lisibilité des interventions de régions qui regrouperont chacune des dizaines de milliers d’agents publics, elle sera largement mise à mal par une technocratie particulièrement lourde. Quant aux deniers publics, les réorganisations se traduisent toujours par des dépenses avant de procurer des gains, sauf à toucher à la ressource humaine. Or on vient ici buter sur le statut de la fonction publique qui rend difficile les évolutions en profondeur. Quant à la suppression moult fois annoncée des conseils généraux elle risque de se réduire à des (nouveaux) transferts de compétences (collèges, voirie, social) tout en maintenant la collectivité départementale, pour cause de révision constitutionnelle nécessaire. Comme le disait un humoriste, « la réforme est à l’ordre du jour… Elle y restera… »

Jean-Luc Bœuf

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