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Billet de blog 7 octobre 2013

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Décentralisation

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A partir de la Révolution Française, la refonte du territoire s’organise autour des deux termes, opposés et complémentaires, du général et du particulier, du local et du national. Le découpage du territoire secrète de l’identité. Dès lors, de constants allers et retours vont s’opérer entre deux positions antithétiques, fixées pendant la décennie révolutionnaire. L’une pose en principe l’indivisibilité du territoire et impose son uniformité et l’autre part au contraire de l’hétérogénéité fondamentale du même territoire. Sur la longue durée, l’enjeu est donc à la fois de composer avec le legs de la Révolution, puis de promouvoir une certaine idée de la République, enfin de rechercher objectivité, efficacité et lisibilité. Dès les premiers débats de l’été 1789, les révolutionnaires souhaitent rompre en apparence avec la France de l’Ancien Régime, cet « agrégat inconstitué de peuples désunis » pour reprendre l’expression de Mirabeau. De ce fait, l’unité et l’indivisibilité de la France doivent résider dans son découpage en circonscriptions rationnelles, tout en endiguant la tentation fédéraliste de circonscriptions trop larges et l’anarchie d’un morcellement excessif. Le binôme que forment les communes et les départements va devenir le socle de l’organisation du pouvoir : la commune sera la cellule administrative de base et le département va devenir une circonscription du territoire favorisant l’émergence des notables et fabricant, plus tard, sa propre notabilité. La Révolution, bourgeoise, de 1789 abolit la province, car totalement identifiée à l’Ancien Régime et découpe le territoire de façon rationnelle en 83 départements. Ceci va ainsi mettre fin à ces territoires et circonscriptions divers qui se chevauchent et empêchent toute vision d’ensemble et une exclamation résume à elle seule cet enjeu lorsque Thouret proclame à la tribune de la Convention, à l’automne 1789 :  « 80 petits roquets plutôt que 15 gros chiens loups ».

L’unité et l’indivisibilité de la République résident dans son découpage en circonscriptions, point trop larges, pour endiguer les tentations fédéralistes, et point trop étroites pour éviter le morcellement excessif. Les 44.000 communes se substituent aux paroisses, mais aucune n’est supprimée. Sous la pression de la guerre civile et de la menace des invasions étrangères, les jacobins, partisans du centralisme, l’emportent sur les girondins, plus favorables à l’expression des pouvoirs locaux. Mais on ne parle pas encore à cette époque de décentralisation. Le régime napoléonien va renforcer les tendances centralisatrices de la Révolution. Dans ces conditions,  l’instauration du préfet va servir de pierre angulaire à la centralisation administrative tout au long du XIX° siècle, et cette tendance de fond, en confiant au préfet un très fort pouvoir de décision a priori vis-à-vis des pouvoirs locaux se poursuivra jusqu’à la fin du XX° siècle.

L’électeur et la République des maires

Si l’on définit la décentralisation comme l’exercice de compétences publiques par des institutions autres que l’Etat, dans un cadre territorial délimité strictement, ces institutions étant elles mêmes élues, c’est le XIX° siècle qui va voir éclore puis débattre des grandes tendances sur la décentralisation. De leur côté, les monarchistes souhaitent renforcer le pouvoir central avant, éventuellement, de le décentraliser vers des provinces qui seraient recréées. De fait, la nostalgie des provinces de l’Ancien Régime va se teindre aux couleurs de la droite contre-révolutionnaire tout au long du XIX° siècle. Au début du XX° siècle, Maurice Barrès défendra avant l’heure une idée de la décentralisation, seule à même de « rendre la vitalité à la Nation ». De son côté, Charles Maurras plaidera pour une reconnaissance politique des provinces. Pour leur part, les libéraux affinent leurs réflexions. Dans la première partie du XIX° siècle, sous la Restauration et la Monarchie de juillet, le débat va être conduit par les orléanistes. Ces derniers pèseront dans l’adoption de lois en 1831 et 1833 pour les communes et les départements, esquissant une timide décentralisation. Quant aux républicains, leur mot d’ordre est simple. Il se résume en une opposition au pouvoir et en la promotion des libertés, dont les libertés locales. Félicité de Lamennais met en avant une idée originale portée en 1848 en proposant à la commission chargée de préparer la nouvelle constitution de discuter des libertés locales avant la dévolution du pouvoir central. Les proudhoniens expriment des revendications fortes et la vision anarcho-libertaire de leur chef de file est proche d’un certain provincialisme. En dénonçant l’absolutisme du droit collectif incarné par l’Etat moderne issu de la révolution jacobine, il plaide en effet pour un système fédératif associant par un pacte des groupes souverains qui pratiquent une séparation systématique des pouvoirs. A la même époque, la complexité du rapport de la gauche à la décentralisation est qu’elle s’est conduite en opposition à certains idéaux de la Révolution. C’est d’ailleurs là une trame de fond pour analyser la décentralisation au XIX° siècle : la décentralisation s’est construite en opposition au pouvoir central estimé trop fort. Napoléon III renforcera d’ailleurs l’administration déconcentrée et son bras armé, l’institution préfectorale, appliquant ainsi l’adage selon lequel si l’on ne gouverne bien que de loin, on n’administre bien que de près.

(http://www.jean-luc-boeuf.fr/histoire-decentralisation/et-le-maire-devint-lelu-de-tous/)

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