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Billet de blog 8 janvier 2014

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Il faut sauver le soldat local de ses enchevêtrements

Si le citoyen identifie certaines compétences claires, il se perd dans nombre d’actions et il ne cherche pas à distinguer ce qui relève de l’Etat et des collectivités locales. Une même politique est souvent susceptible de mettre en concurrence plusieurs niveaux de collectivité faute de cadre et de « chef de file » légitime.

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Si le citoyen identifie certaines compétences claires, il se perd dans nombre d’actions et il ne cherche pas à distinguer ce qui relève de l’Etat et des collectivités locales. Une même politique est souvent susceptible de mettre en concurrence plusieurs niveaux de collectivité faute de cadre et de « chef de file » légitime. Pour ce qui est de la réforme des territoires, chantier permanent s’il en est, et au-delà du débat persistant mais inévitable sur la méthode de travail adoptée, il est à craindre qu’elle obère la concrétisation d’une réforme ambitieuse au départ, avec un diagnostic largement partagé par tous. Comme répété à l’envi, il faut naturellement remédier à l’enchevêtrement des compétences et à la généralisation des financements croisés, aux conséquences lourdes en termes de complexité, de coût et d’illisibilité du système institutionnel pour les citoyens. La difficulté vient du fait que le statu quo n’est souhaité par personne – à condition pour chacun de voir ses intérêts préservés ! On tourne en rond… Les axes de réforme du système institutionnel local qui s’imposent sont la réorganisation de la carte administrative, voire la fusion de collectivités.

On ne peut que saluer la foisonnante production intellectuelle de la deuxième partie des années 2000. Bien évidemment, si l’on diminue le nombre d’échelons, des gains de productivité seraient opérés au passage. Encore une fois, la complexité vient du fait que, si l’on supprime  un échelon – au-delà par exemple de rassembler les départements avec les régions – nous allons nous retrouver avec des énormes entités, avec une question très simple : comment gérer au plus près des citoyens quand on est de très loin ? A travers l’exemple concret de la région Ile-de-France qui, aujourd'hui emploie près de 20 000 salariés au conseil régional, si on ajoute les personnels des conseils généraux, on arrive à une entité de 40 000 à 50 000 salariés. Et la difficulté va être liée aux éventuels gains de productivité générés par la suppression d’un échelon qui risquent d’être annihilés par l’absence de proximité. Car aujourd'hui, ce dont souffrent les régions c’est bien cette absence de proximité et cette déconnexion entre les conseillers, élus au scrutin de liste, et donc désignés par les partis, et leur (non) représentativité territoriale.

Le fabuleux destin du « faire payer les autres »

Quand on évoque les grands équipements, l’exemple du TGV est emblématique de ce qui s’est passé en France des années 1970 aux années 2010. A la fin des années 1970, pour la construction de la ligne à grande vitesse Paris-Lyon, l’État est le premier investisseur public et il réalise la ligne à grande vitesse avec son bras armé, la SNCF, par le biais de l’endettement. Dans les années 2010, l’État investit deux fois moins, en euros constants, qu’en 1980. Il ne peut donc plus réaliser seul les investissements et la problématique qu’il pose aux collectivités locales est la suivante : « j’ai tel projet d’envergure nationale et européenne. Si vous m’accompagnez, la réalisation en sera d’autant accélérée. Si vous ne m’accompagnez pas, je le ferai mais de façon beaucoup plus lente ». Cet accompagnement, du fait de la multiplication des échelons, devient problématique. Car la région, comprenant naturellement l’intérêt de bénéficier d’une telle infrastructure, peut également se tourner vers les départements et les intercommunalités. Et l’on peut ainsi se retrouver avec des projets à cofinancés par plus de vingt collectivités publiques. Cette question pourrait être réglée de la façon suivante, en décidant que « à investissement d’envergure national ou européen, financement national et européen ». Partant, et au-delà de l’État et de l’Union européenne, les régions seraient sollicitées mais sans les départements et les intercommunalités. Ensuite, il convient de remarquer que les identités de vue transcendent très largement les clivages politiques dans les territoires et les « grands élus » peuvent se mettent d’accord entre eux au profit de leurs territoires lorsque de tels projets d’envergure nationale et européenne sont en jeu.

En définitive, revendiquer des blocs de compétences clarifiés par niveau de collectivité locale s’apparente au mythe du jardin à la française. La notion n’est pas claire. Elle ne correspond à aucune réalité et méconnaît la réalité juridique des lois de 1983 qui portent répartition « de » compétences et non pas – comme on le lit souvent – « des » compétences. De même, la notion de « chef de file » se constate de par le poids financier que devrait avoir tout maître d’ouvrage sur une action relevant de ses compétences. Comme les dispositions existent déjà, point n’est besoin de légiférer à nouveau.

Jean-Luc Bœuf

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