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Billet de blog 19 août 2015

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L'hiver des finances locales

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Les collectivités locales sont aujourd’hui confrontées à deux défis dans les activités qu’elles exercent tous les jours. Le premier défi est lié aux effets de la crise économique prolongée. Conjuguée aux déficits des finances publiques, elle va se traduire dans les prochaines années par un resserrement de la dépense publique prise dans son ensemble. Cela suppose d’abandonner les réflexes du « toujours plus de dépenses publiques ». Le deuxième défi est celui du mythe du jardin à la française qui serait organisé autour de territoires rationnels et immuables. Ce mythe a largement vécu car la différenciation est désormais pleinement à l’œuvre dans les territoires. Le jardin se retrouve donc en friche. En se reportant à un court problème d'équation mathématique, lorsque le nombre d'inconnues est supérieur au nombre d'équations, la résolution dudit problème n’en est que plus difficile ! Assurément, c'est le cas ici, puisqu'il faut réussir à diminuer le nombre de collectivités, à baisser les dépenses publiques locales, tout en rendant la réforme compréhensible, accessible et juste.

Le constat d’ensemble est sévère. Les finances publiques françaises ne peuvent continuer sur leur trajectoire actuelle d’augmentation sans fin et sans réelle maîtrise des déficits annuels. La nécessité de contenir les déficits publics nécessite une baisse des interventions. Dans cet ensemble public, les collectivités locales ne sauraient rester à l’écart et doivent cesser de s’opposer à l’Etat. Dans ces conditions, comment mettre en œuvre concrètement une approche budgétaire renouvelée?  En s’attachant aux grandes masses, il est intéressant d’observer que les budgets cumulés de toutes les collectivités représentent 11% du Produit intérieur brut (PIB), soit environ 240 milliards d'euros en 2015. La décentralisation a un coût puisqu’il s’agit de budgets de transfert. En effet, les collectivités ne créent pas de richesse. Elles en redistribuent une partie puisque leurs recettes proviennent des dotations de l'Etat pour un peu moins de la moitié, de la fiscalité pour un peu plus d'un tiers, de l'emprunt pour environ un dixième. Le reste est constitué des recettes diverses, comme par exemple les redevances de foires et marchés, les stationnements lorsqu'ils sont gérés en régie.

Dans le contexte de raréfaction de l'argent public, il s’agit désormais de contribuer activement à préparer le budget et non plus seulement à définir le contenu des enveloppes de quartier, qui ne représentent que quelques millièmes d’un budget de collectivité locale. Si la résolution de la question financière des collectivités locales est traitée depuis 2012, elle l’est en réalité de façon éparse, avec en toile de fond trois aspects fondamentaux que sont les finances locales, le découpage territorial et les compétences locales. Les finances locales sont au cœur des préoccupations de l’Etat, puisque ce dernier contribue à près de la moitié des recettes des budgets locaux, pour un montant supérieur à 100 milliards d’euros chaque année. Pour les collectivités locales qui, cumulées, représentent un budget de 240  milliards d'euros, le gisement d'économies est réel. Et c’est là que la participation du quarteron va s’imposer afin de lui faire prendre résolument les décisions nécessaires, ou à tout le moins de l’associer résolument pour que les difficiles choix futurs soient non seulement éclairés mais expressément validés. Cela permettra de passer du constat d’ensemble, partagé par tous, à la résolution dans chaque territoire, devant être acceptée par chacun.

Le coût de la décentralisation se matérialise par cet ensemble de dotations, de fiscalité locale et d'emprunts. La dégradation de la situation financière des collectivités locales a une cause très simple : les dépenses publiques locales sont devenues plus dynamiques que leurs recettes. Ces dernières sont composées de trois éléments que sont les dotations, la fiscalité et l'emprunt. Or depuis la crise financière de 2008, l'Etat a repris en main la fiscalité locale ; les dotations non seulement n'augmentent  plus mais diminuent ; l'accès à l'emprunt s'est quant à lui raréfié. Dans ces conditions, les collectivités doivent faire face à des recettes qui augmentent chaque année, par le biais des charges de personnel notamment, avec des recettes moindres. Ceci a pour conséquence de dégrader l'autofinancement et, au final, d'augmenter le recours à l'emprunt.

Lorsqu'une collectivité locale décide de réaliser un projet, son raisonnement se décompose en deux parties : tout d'abord, il s'agit de financer l'équipement proprement dit, comme une piscine ou, pour utiliser un terme plus moderne, un bassin ludique polyvalent. Ensuite, il convient de faire fonctionner ledit équipement. Pendant des décennies, le raisonnement qui a prévalu était le suivant : « moi, collectivité locale, je me débrouille pour rechercher des financeurs pour mon équipement et je me charge sur mon budget des dépenses de fonctionnement de cet équipement ». Et sur l'ensemble du territoire national, les élus mettaient en pratique ce raisonnement, espérant en bénéficier un jour ou l'autre. Dans ces conditions, le maître d'ouvrage d'un équipement pouvait ne financer que moins de 20% du coût du coût de l'équipement, indiquant qu'il « faisait son affaire » du financement du fonctionnement. Ce raisonnement n’est plus opérant aujourd'hui car les collectivités sont sous tension pour leurs dépenses de fonctionnement et qu'elles ne peuvent plus financer aussi facilement les dépenses courantes générées par un nouvel équipement. Au demeurant, le multiplicateur keynésien ne joue presque plus, notamment dans des économies ouvertes aux échanges où les importations peuvent absorber les dépenses supplémentaires injectées. Ce mécanisme consiste à injecter de l’argent public pour faire redémarrer la machine économique. Il a fonctionné à plein après la crise des années 1930 pour résorber la Grande dépression et durant les Trente Glorieuses, après la fin de la Seconde guerre mondiale. Son effet était basé sur le fait que le retour de l’argent public investi était largement supérieur à son coût. S’engageait dès lors un cercle vertueux puisque l’augmentation des dépenses publiques permettait de relancer l’économie en dépression ou d’accompagner une économie en croissance.

Jean-Luc Bœuf

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