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Billet de blog 6 octobre 2015

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Sankara, fantôme de la révolution

Les militaires du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) dirigés par le capitaine Gilbert Diendéré ont pris en otage, le 16 septembre 2015 au Burkina Faso, le président de la Transition Michel Kanfando et son premier ministre. Ce gouvernement transitoire était en place depuis onze mois, suite à l’insurrection populaire massive qui avait provoqué la chute de Blaise Compaoré en 2014, insurrection s’étant soldée par des dizaines de victimes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les militaires du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) dirigés par le capitaine Gilbert Diendéré ont pris en otage, le 16 septembre 2015 au Burkina Faso, le président de la Transition Michel Kanfando et son premier ministre. Ce gouvernement transitoire était en place depuis onze mois, suite à l’insurrection populaire massive qui avait provoqué la chute de Blaise Compaoré en 2014, insurrection s’étant soldée par des dizaines de victimes. La Transition fut pensée comme ayant vocation à la préparation d’élections démocratiques en octobre 2015, ce que la prise d’otages du RSP (qui constituait historiquement la garde rapprochée du clan Compaoré) a précisément voulue intercepter. Suite à cette prise d’otages, des milliers de burkinabés sont sortis dans la rue, et, une nouvelle fois, des dizaines de victimes sont tombées sous les balles du RSP.

 Force est de constater qu’aucune institution internationale n’a soutenu à temps la population. Le 21 septembre, une délégation de chefs d’état de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest) s’est rendue à Ouagadougou pour tâcher de trouver une solution à la crise. Les propositions qui en ont résulté visaient à rétablir le gouvernement de transition mais en acceptant les conditions des putschistes : c’est-à-dire l’amnistie pour les faits associés au coup d’état perpétré le 16 septembre et ses conséquences meurtrières. Ces propositions, soutenues par la communauté internationale, stipulaient également le maintien du RSP en tant que garde présidentielle et la participation des membres de l’ancien parti de Compaoré (la CDP) aux prochaines élections, au mépris de la volonté populaire d’en finir avec l’oligarchie Compaoré. Pour les représentants du Balai citoyen, l’organisation de la société civile, de tels accords stipulant de « passer l’éponge » sur les dizaines de victimes était évidemment inacceptable. Le soir même, des troupes de l’armée régulière encadrant des centaines de civils venus en mobylette de Bobo-Dioulasso et d’autres villes de province, se sont dirigées vers Ouagadougou afin de « libérer le peuple » et de désarmer le RSP. Suite à ce soulèvement de la population, soutenu par des jeunes militaires dans tout le pays, Diendéré a accepté de rendre le pouvoir au gouvernement de transition, a libéré les otages et « exprimé ses excuses », sans toutefois revenir sur les propositions d’accords. Le 23 septembre, la résistance populaire se poursuivant, la CEDEAO a appelé au désarmement du RSP et à l’apaisement des troupes régulières. Suite à ce changement de cap de la communauté internationale, représentée ici par les acteurs de la CEDEAO, Diendéré a annoncé dans la foulée « la fin officielle du putsch » et le désarmement prochain du RSP. Le 25 septembre, la laborieuse entreprise de désarmement du RSP est enfin lancée, et le gouvernement intérim remis en place. Mais les jours suivants, des irréductibles du RSP ont refusé le désarmement, ce qui a semé la panique à Ouagadougou. Enfin, dans la nuit du 29 au 30, l’armée régulière a lancé l’assaut, à grands renforts d’armes lourdes, contre la caserne où certains membres du RSP se trouvaient encore retranchés. Ceux-ci ont été remis à la justice, et le 1er octobre, Diendéré a enfin également été remit aux autorités de transition.

 On peut se demander quel élan de folie a pu bien pu s’emparer de Gilbert Diendéré pour oser affronter la détermination de la rue, qui avait manifesté, de façon irrépressible, sa volonté  d’en finir avec la famille politique Compaoré ? Est-ce la peur d’être traduit en justice une fois un nouveau gouvernement élu démocratiquement mis en place, ou un sentiment d’impunité trop profondément ancré, encouragé notamment par ses solides relations avec la communauté internationale, dont la France, où il fut décoré par Nicolas Sarkozy de la Légion d’Honneur en 2008 en récompense de ses bons et loyaux services ?

Fidèle partenaire du président Blaise Compaoré durant ses 27 ans de règne, pendant lesquels il exerça le poste de chef du RSP, le putschiste Gilbert Diendéré est l’un des principaux suspects directement impliqués dans l’assassinat de Thomas Sankara, l’ancien président, au pouvoir entre 1984 et 1987. Sankara, dont le corps fut exhumé il y a quelques mois en vue d’ouvrir une enquête judiciaire, c’est le fantôme qui poursuit Diendéré. En Afrique de l’ouest, Thomas Sankara est une icône politique dont la mémoire demeure l’une des principales figures du panafricanisme et des luttes anti impérialistes en Afrique. Une icône méconnue des Occidentaux. Et pour cause, ceux-ci, le gouvernement français en tête, ont toujours considéré d’un mauvais œil l’action novatrice et populaire menée par Sankara, détonante au cœur de la sous-région françafricaine. Panafricaniste, anti-impérialiste, et - chose encore plus rare -, pro féministe, l’idéologie politique qu’il incarna prit un caractère mythique, malgré les défaillances, souvent graves, de certaines de ses actions politiques. En effet, malgré sa proximité avec le peuple, Sankara n’en demeurait pas moins un militaire. Son gouvernement avait pris la forme d’un régime semi-autoritaire exerçant une restriction de libertés politiques à travers le contrôle de la presse, l’interdiction de partis d’oppositions et syndicats, et l’éviction de ceux qui contestaient son régime (licenciement de fonctionnaires grévistes en 1985). Cependant, son refus des politiques néocoloniales et de leur corruption a maintenu sa popularité et Sankara est reconnu comme une figure incontournable de résistance aux politiques néocoloniales. Surnommé « le Che Africain », ses discours sont chantés par les musiciens les plus populaires d’Afrique de l’ouest. Dans sa volonté de créer une Afrique nouvelle, affranchie de son asservissement aux anciennes puissances coloniales, c’est lui qui rebaptisa le pays - à l’époque la « Haute-Volta » -, appellation perçue comme un vestige de l’identité coloniale, en « Burkina Faso », signifiant en langues locales « le pays des hommes intègres ». Selon lui, le processus d’indépendance devait se jouer sur plusieurs strates, économiques, culturelles et politiques, et ceci devait passer par l’édification d’une nouvelle dignité.

 Son gouvernement fut renversé le 15 octobre 1987 par son compagnon d’armes Blaise Compaoré, qui prit le pouvoir par un coup d’état, organisé notamment par son proche, le général Gilbert Diendéré. Officiellement ce jour là, Sankara et douze de ses compagnons sont décédés simultanément de « mort naturelle ». Ce coup d’état ne fut jamais remis en cause ni par la France ni par une quelconque institution internationale. La France observa d’ailleurs depuis lors un soutien sans faille au régime de Blaise Compaoré, qu’elle a aussi aidé officieusement à fuir en Côte d’Ivoire pendant la révolution d’octobre 2014. Compaoré, c’est l’un des « vieux éléphants » du petit club de la Françafrique, hérité des réseaux Foccart et Houphouët Boigny. 28 ans ont passés depuis la disparition de Sankara. Mais sa mémoire plane toujours sur le pays où l’héritage du sankarisme demeure ancré dans les consciences politiques, malgré la jeunesse de la population qui n’a souvent connu que le gouvernement Compaoré. Le Balai Citoyen, en organisation meneuse de la révolution d’octobre 2014, s’était emparée de cet héritage pour rassembler les foules. Le putsch de ces dernières semaines, au contraire, a été perçu comme un ultime combat contre lui, dans la volonté désespérée de Diendéré de protéger son impunité quant à cet assassinat comme pour l’ensemble des exactions commises par le RSP durant les décennies Compaoré. Ce que la CEDEAO n’a pas compris, c’est qu’accorder l’amnistie à Diendéré revient à tuer Sankara une seconde fois, ce que la population ne saurait tolérer.

 A présent que le coup d’état a été déjoué par la pression populaire et militaire locale, l’ONU a rendu hommage à la résistance de la population et à « l’excellente collaboration des partenaires internationaux ». Pourtant, dans cette affaire, la CEDEAO n’a fait qu’attiser un brasier qui a risqué d’entraver la révolution démocratique souhaitée. Ce soulèvement populaire aurait dû immédiatement être soutenu par la communauté internationale comme un exemple mondial de lutte contre l’impunité politique. Malheureusement la CEDEAO n’a pas montré son meilleur visage dans cette affaire et ne pourra pas se vanter d’avoir donné l’exemple d’institutions démocratiques fiables et intransigeantes. Elle a conforté le sentiment d’impunité des dictateurs en exercice ou en puissance. Mais en dépit de cette malheureuse diplomatie politique internationale, les évènements du Burkina Faso ont probablement soufflés comme un vent de courage pour bien des pays africains. Les congolais ne sont-ils pas, depuis le 28 septembre, en train de se mobiliser contre le nouveau mandat souhaité par Denis Sassou Nguesso, qui cumule déjà 30 années de pouvoir ?

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