Jeanne Laperrouze

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Billet de blog 22 avril 2022

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Vers le remplacement de l'expérimentation animale : le pourquoi et le comment

Le 24 avril est la Journée mondiale des animaux de laboratoire. Cette journée, suivie de la semaine des animaux de laboratoire, vise à promouvoir le remplacement des tests sur les animaux avec comme double objectif l’amélioration du bien-être animal et de la qualité de la recherche. Une occasion de faire le point sur les alternatives existantes ainsi que sur leurs développements prometteurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Vincent Lacroix @elvixente

Chaque année dans le monde, plus de 100 millions d'animaux de laboratoire - rongeurs, singes, grenouilles, chats, chiens et bien d’autres - sont tués à des fins scientifiques. Si l'expérimentation et la recherche animales ont contribué aux progrès de la science et de la médecine pendant des siècles, plusieurs faits plaident aujourd’hui pour le développement et l'adoption de méthodes plus rapides et plus éthiques pour réduire et remplacer les tests sur les animaux.

En tout premier lieu, il y a évidemment l’enjeu du bien-être animal. La crise de reproductibilité est un autre argument remettant en cause la pertinence de l'expérimentation animale : entre 51% et 89% des tests sur animaux sont estimées non reproductibles. Récemment, des chercheurs de l'Université Johns Hopkins ont développé un algorithme capable de prédire la toxicité d'une substance en utilisant des bases de données existantes et des tests sur des animaux préalablement réalisés. Ce projet a mis en évidence certaines discordances : différents animaux peuvent générer des résultats différents pour la même expérience.

Il a également été observé que certains tests sur les animaux ne sont pas suffisamment fiables pour prédire les effets des médicaments sur le corps humain. La difficulté d'extrapoler les résultats obtenus à partir de tests sur les animaux sur l’humain, en raison des différences inter-espèces, dans le but de déterminer un niveau d'exposition maximale à des substances nocives est un défi auquel les scientifiques et les évaluateurs des risques sont également confrontés. Couplé à l'urgence de réglementer le nombre croissant de produits chimiques dont la toxicité est encore inconnue, l’adoption de solutions plus rapides, plus éthiques et plus précises est devenu une nécessité absolue.

Il existe aujourd'hui un large éventail de techniques, logiciels et outils pour remplacer les tests sur des animaux non-humains. Appelées « New Approach Methodologies » en anglais (NAM) ou Nouvelles méthodes, ces alternatives sont très diverses et complexes et aident à combler les lacunes de connaissance auxquelles l'utilisation seule de modèles animaux ne peut répondre.

Parmi les techniques les plus prometteuses, on peut citer les organes-sur-puce et la culture cellulaire 3D (ou organoïde) dans un environnement créé artificiellement. Les organoïdes sont principalement utilisés dans les études pharmaceutiques et toxicologiques pour évaluer les effets des médicaments ou les potentiels effets nocifs des produits chimiques. Les cultures de cellules 3D dérivées de cellules tumorales issues de biopsies de patients humains peuvent être utilisées pour étudier la résistance des tumeurs aux médicaments; ils sont également utilisés dans la modélisation de maladies neurodégénératives comme Alzheimer et Parkinson ; l'organogenèse est une technique qui progresse si rapidement que les chercheurs de l'Hôpital pour enfants de Cincinnati espèrent être capables de cultiver in vitro des organes complets prêts à être greffés sur les hommes d'ici une dizaine d’années.

NAMs #3: A success story " multi-organs system in a dish!" © Altertox SRL

L'intelligence artificielle et les modèles d'apprentissage automatique sauvent la vie de millions d'animaux et recèlent un énorme potentiel pour générer des résultats fiables et sûrs pour la découverte de nouveaux traitements médicaux. Les technologies de modélisation in silico, c'est-à-dire informatisées, peuvent accélérer le développement de médicaments tout en réduisant le coût des procédures et des essais cliniques. Ces méthodes sont utilisées pour l'analyse, l'interprétation et la visualisation d'ensembles de données provenant de diverses sources telles que les données génomiques. Ils ont également été appliqués plus récemment pour découvrir un remède potentiel contre le COVID-19.

Une autre solution pour remplacer les tests sur les animaux repose sur le recours à des organismes alternatifs. Le remplacement de modèles animaux par d'autres modèles animaux peut sembler contre-intuitif pour des raisons éthiques, mais certains non-vertébrés, tels que les mouches ou les vers, ne ressentent pas la douleur. Les embryons de grenouille ou de poisson zèbre par exemple sont également considérés comme non-sensibles. En tant que tels, ils ne sont pas considérés ni comptabilités comme des animaux de laboratoire dans le droit de l'Union Européenne (UE).

Bien qu'en apparence, plus éloignés des humains que des rongeurs, la biologie évolutive et l'éco-toxicologie ont prouvé que ces modèles étaient particulièrement pertinents pour étudier tous les animaux, y compris les humains, ainsi que pour évaluer la santé de l'environnement. La mouche partage 60% des gènes avec l'homme via un ancêtre commun et 75% des gènes responsables des maladies humaines ont des homologues chez les mouches. Faciles à manipuler en laboratoire, les mouches ou le zooplancton permettent aux scientifiques de réaliser des expériences à plus grandes échelles et plus rapidement, de générer plus de données, et donc des résultats plus précis.

Comprendre quels gènes sont affectés par une substance sur ces modèles alternatifs peut aider à prédire plus rapidement et avec plus de précision comment il affectera d'autres espèces. C'est l'ambition de PrecisionTox - un projet financé par l’UE dédié au développement de NAM pour accélérer l'évaluation des produits chimiques - qui s'appuie sur l'étude de cinq organismes et des lignées cellulaires humaines, combinées à une analyse de données pour une étude toxicologique comparative.

 Si les NAM remplacent déjà les modèles animaux dans certaines applications, comme pour les ingrédients cosmétiques, ils viennent aujourd'hui compléter les données obtenues par l'expérimentation animale dans de nombreux autres domaines. Il doit cependant être rappelé que tout modèle, qu'il soit basé sur des expérimentations animales traditionnelles ou les NAM, comporte ses limites. Les organoïdes ne permettent pas d'étudier l'ensemble de l'organisme, et la culture d’organes in vitro requiert l'utilisation de sérum bovin fœtal, et n’est donc pas entièrement non-animale. On peut aussi s'interroger sur l'éthique de l'utilisation d'espèces animales alternatives ou d'embryons ainsi que sur leur pertinence dans certaines situations, pour remplacer les rongeurs.

Par conséquent, l'expérimentation animale et les NAM ne doivent pas être opposés mais considérés comme complémentaires. La formation, le soutien de ces nouvelles méthodes ainsi que l'utilisation responsable des animaux de laboratoire sont fondamentaux pour s'attaquer aux enjeux de la protection de l’environnement et de la santé. Cela nécessite l'implication de toutes les parties prenantes, des défenseurs du bien-être animal à l'industrie, en passant par les chercheurs et les décideurs politiques, pour améliorer la qualité de la recherche et le bien-être animal.

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