Il fut un temps où je me suis intéressée de très près à la personnalité des dirigeants de la SNCF. C’est à ce moment que j’ai entendu pour la première fois le nom de Jean-Pierre Farandou.
J’étais alors l’avocate d’une des très nombreuses parties civiles qui se sont constituées après la catastrophe ferroviaire de St Médard sur Ille, un petit village entre Rennes et Saint-Malo qui a connu, le 12 octobre 2011, un accident terrible : un train a percuté de plein fouet un camion coincé sur le terre-plein d’un passage à niveau signalé depuis très longtemps comme dangereux.
Ce dossier avait été désigné comme devant être traité avec une célérité exemplaire par le Procureur de la République qui s’y était engagé devant les quelques 150 parties civiles réunies pou l’occasion, peu après le drame, dans une salle de concert historique de Rennes.
La suite fait peu de suspense : une instruction à rallonge, des familles laissées sans réponse pendant plus de 7 ans. A mon interrogation sur ce point le premier jour de la première audience de ce dossier, on me répondra « que voulez-vous, Maître, la justice est une vieille dame ».
Il faut comprendre ce que cela signifie d’être victime, directe ou indirecte, d’un accident aussi horrible.
On veut savoir ce que ses proches ont vécu, quelle a été leur dernière pensée, lorsqu’ils y sont restés.
On veut pouvoir être fixé sur les responsabilités lorsqu’on a survécu, savoir ce qui est arrivé à la dame assise en face de vous dans le train, on a besoin de réponses sur son indemnisation pour réaménager sa maison ou sa voiture, on a surtout besoin de mettre la procédure derrière soit pour pouvoir avancer, même si on est resté en fauteuil depuis.
6 ans d’instruction. Une honte pour la justice française.
Les victimes gelées dans l’attente de ce procès.
Un procès qui conclura de manière très tranchée à la responsabilité importante de la SNCF, qui savait que le passage était dangereux et n’a rien fait pour le rendre plus sûr pendant des dizaines d’années.
A l’époque, Guillaume Pepy prend la décision de relever appel. Nous sommes donc repartis pour deux ans.
Les victimes gelées dans l’attente du procès en appel.
Mais Guillaume PEPY s’engage, au nom de le SNCF, à ne pas se pourvoir en Cassation quel que soit le résultat en appel.
Las, la parole de la SNCF et ses promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Lorsque Jean-Paul FARANDOU reprend les rênes, il s’assoie sur la parole donnée et la SNCF se pourvoit en Cassation. Pour rien. Juste éviter l’application de cette jurisprudence qui l’embête bien puisqu’elle implique que « la SNCF, toutes entités confondues, ne pourra plus, dès lors qu’un risque est identifié, s’affranchir de sa possible responsabilité en cas de collision. Des actions concrètes devront être menées et l’obligation de résultat doit désormais prévaloir, dans la sécurisation des passages à niveau.[1] »
En trahissant cette promesse, Monsieur Farandou savait parfaitement ce qu’il faisait puisque nous avions plaidé à l’inhumanité de la longueur de cette affaire pour les victimes de l’accident.
Pour autant, un de ses premiers gestes en tant que PDG de la SNCF a été de faire perdre deux années de vie de plus à ses victimes. Telles sont la mentalité et l’humanité de ce Monsieur.
Je souhaite donc bon courage aux organisations syndicales et aux personnes au travail dans ce pays pour négocier quoi que ce soit avec ce Monsieur.
[1] Ouest France 7 décembre 2021
https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-medard-sur-ille-35250/accident-de-train-a-saint-medard-la-sncf-definitivement-condamnee-38e6dab0-577e-11ec-8090-2962c3f968ef