Jeanne Larue-JLSH

Vice Présidente du Département d'Ille et Vilaine en charge de l'Education, co-fondatrice de JLSH/Pour des organisations justes

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Billet de blog 25 février 2025

Jeanne Larue-JLSH

Vice Présidente du Département d'Ille et Vilaine en charge de l'Education, co-fondatrice de JLSH/Pour des organisations justes

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Quelle régulation des relations interpersonnelles dans les partis politiques ?

Pourquoi attendre des partis politiques qu'ils rendent la société plus égalitaire alors qu'ils sont incapables de faire le ménage en leur sein ? Témoignage d'une élue bretonne qui a trop fréquenté les formations « progressistes ».

Jeanne Larue-JLSH

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comme je suis élue, on me demande régulièrement à quelle formation politique j’appartiens. Et comme je réponds « aucune désormais », on me demande aussi pourquoi.

Je suis une femme de gauche. Cela veut dire que je crois en l’égalité, et que c’est principalement ce curseur qui guide mon action politique et professionnelle. L’égalité entre les hommes et les femmes notamment, mais aussi entre les personnes de différentes origines sociales ou géographiques – au sens mondial du terme. Vaste programme, dont je peux dire aujourd’hui qu’il a guidé toute mon action.

Après avoir exercé un mandat local sous l’étiquette du Parti Radical de Gauche à la Région Bretagne, entre 2004 et 2010, j’ai quitté la vie politique pendant 10 ans. Totalement.

Je me suis engagée dans le métier d’avocat, j’ai défendu des personnes exilées, des personnes dont la vie de famille partait à vau l’eau, des personnes qui se trouvaient face à des mastodontes économiques ou financiers, pour essayer de rétablir un équilibre entre le pot de terre et le pot de fer qui, sans doute pour des raisons biographiques, m’obsédait.

Puis j’ai rempilé et suis allée de nouveau chercher les suffrages, toujours animée de la même motivation : l’égalité.

Le Parti Radical de Gauche s’était éloigné selon moi d’une ligne véritablement à gauche : beaucoup de mes « camarades » de l’époque s’étaient convertis au macronisme, et les ravages de la loi Pinel sur la concentration de la propriété immobilière et sur la situation du logement en France ont achevé de me détourner de cette formation politique que j’avais rejointe en 2002 pour soutenir la campagne présidentielle de Christiane Taubira.

Depuis 2020, j’ai été encartée dans une nouvelle formation politique de gauche, puis j’en ai fréquenté de près une autre, toutes deux faisant partie du Nouveau Front Populaire.

Dans la première, j’ai été victime de sexisme, pour la première fois de ma vie. J’ai demandé une régulation et les personnes en charge de cette régulation m’ont indiqué - près d’un an après ma demande initiale - qu’il valait mieux que je parte.

Dans la seconde, j’ai dénoncé des faits de harcèlement et de violences graves jusqu’au plus haut du Parti qui m’a depuis ostracisée (ce que je ne déplore pas outre mesure mais ne puis que constater).

Pourtant ces formations politiques sont les premières à faire la morale urbi et orbi sur l’égalité, la justice sociale, l’égalité hommes-femmes. Elles appartiennent à l’arc de la gauche militante, celle qui est toujours la première à dénoncer le sexisme ou le racisme.

Mais lorsqu’un des leurs, détenteur d’un mandat électoral, se comporte de manière franchement dégueulasse, ou que l’ensemble d’un groupe local est dominé par des personnes n’ayant en tête que leur destin personnel, il n’existe pas de possibilité pour un individu isolé victime de ces comportements pour se défendre. Il n’existe pas d’autorité régulatrice capable de faire le travail que nous faisons dans les entreprises lorsque nous constatons que le pas du harcèlement ou de la discrimination a été franchi.

Pas de loi. Pas de sanction. Pas de rétrogradation ou de mise à l’écart. La position de pouvoir occupée par les harceleurs passe au-dessus de la justice élémentaire, dans l’ordre des priorités des partis.

Parallèlement, nous travaillons avec mon partenaire Samuel Hennequin à façonner des organisations de travail plus justes et nous sommes très régulièrement amenés à mener des enquêtes sur des situations de harcèlement dans de grandes entreprises. 

Le parallèle est saisissant. Nous obtenons beaucoup plus de résultats dans les sociétés privées qui nous mandatent que je n’ai pu en obtenir au sein des partis que j’ai alertés sur des situations parfaitement comparables.

Pourquoi ?

C’est vraiment une question cruciale.

Au sein des partis, chaque élu est une brique qui mène à une prise de pouvoir plus globale. Ainsi dans les collectivités locales, on se compte en permanence pour pouvoir soit conserver son hégémonie, soit renverser la formation politique qui la détient pour s’emparer de cette hégémonie.

Donc si un élu pose difficulté, par exemple parce que son comportement est agressif envers les femmes, les collaborateurs, ses collègues élus ou les membres de son parti, on le laisse faire. Tout simplement. Car ce serait trop dangereux d’intervenir, ça menacerait les fragiles équilibres, les compromis qu’on a trouvés, le partage du gâteau du pouvoir tel qu’il résulte des dernières élections.

Voilà la différence majeure avec le monde de l’Entreprise : les enjeux sont tout autres. Récemment nous intervenions au sein d’une grande société cotée en bourse, dont un des services était miné par un harceleur. L’enjeu financier était très important et l’action n’était pas une option pour dégager celui-ci. Voilà la différence avec ce qui se passe au sein d’un parti politique, outre évidemment l’application du Code du Travail.

Dans le milieu politique, une Omerta se met en place, à peine troublée par des coups de fils inquiets (j’en ai reçu beaucoup), du style « ah mais comment as-tu fait pour calmer untel, je ne m’en sors pas avec lui » ?

A l’Assemblée Nationale, le syndicat majoritaire parmi les collaborateurs de groupe ou de députés a une liste longue comme le bras d’élus en délicatesse avec leur personnel, les ruptures conventionnelles assorties de clauses de confidentialité longues comme le bras se multiplient, et ce sont toujours les harcelés qui partent puisque les élus sont… élus et qu’une sanction à leur égard diminuerait potentiellement la force des groupes constitués.

Personne n’en parle.

Et puis il y a le sexisme ordinaire, celui que tout le monde accepte. On ne s’émeut pas qu’en 2024 (!) la nouvelle assemblée ne compte que 36% de femmes, les partis se satisfaisant de payer des amendes plutôt que de réellement chercher à obtenir une assemblée paritaire.

Sont-elles des candidates plus médiocres que les hommes ?

Non, la vraie raison c’est que les partis choisissent de les présenter moins souvent sur des circonscriptions gagnables que les hommes, en raison précisément du sexisme endémique qui règne en leur sein.

Les partis sont comme la société : le sexisme y progresse malgré les déclarations d’intention et les mesures mises en place que sont – exclusivement - les amendes intervenant a posteriori.

Comment alors faire confiance aux formations politiques pour faire dans la société ce qu’ils sont incapables de faire en leur propre sein ?

Comment faire en sorte que ce ne soit pas celui qui gueule le plus fort qui soit finalement sélectionné pour se présenter aux suffrages des électeurs ?

Avec les conséquences désastreuses sur la société que l’on sait : valorisation des comportements guerriers, absence de représentativité, mais surtout néant intellectuel, voire apocalypse cognitive pour les plus pessimistes d’entre nous.

Et dans tout cela, où est la gauche ?

Cette endogamie est mortifère pour les idées. Notre pays devient rance, et l’affaire Bayrou/Bétharram symbolise pour moi le fond du trou que nous avons atteint, à confier notre destinée à un vieillard intégriste.

Au sein des entreprises, je promeus auprès chacun de mes clients les bénéfices d’une approche totalement inclusive dans le recrutement, favorisant le mélange qui est comme on le sait source d’empathie et de créativité. Des termes qui paraissent aujourd’hui quasiment antinomiques avec la vie politique.

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