Msieurs-dames, votre lettre ouverte (reproduite en bas de page) nous raconte une histoire qui démarrerait un 23 Septembre, par cette déclaration de Manuel Bompard sur une chaine télé : « une gifle n’est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours ».
Très vieux procédé … qui consiste à critiquer en tronquant la réalité, en isolant une phrase, un élément du contexte, en occultant l’enchaînement des évènements qui se sont déroulés.
Reprenons le fil …
- Une main courante déposée par Céline Quatennens, qu’elle souhaitait secrète (et cependant divulguée), sans volonté de déposer une plainte, souhaitant dans une déclaration commune du couple régler leur divorce à l’amiable, sans interférence avec les médias de toutes sortes.
- Un Quatennens reconnaissant publiquement (et regrettant) avoir donné une gifle il y a un an, dans un contexte d’extrême tension entre eux, avoir envoyé un trop grand nombre de SMS, avoir tenu fermement le poignet de sa femme, qui se serait cognée pour se dégager…
- Bref une histoire triste, une histoire simplement humaine qui montre la faiblesse de notre humanité dans des moments de forte tension, et l’impuissance malgré notre culture à régler parfois certaines situations de crise.
- Et cependant, un Quatennens reconnaissant sa faute publiquement, sans un mot de reproche à l’encontre de sa femme … qui (sûrement « bien conseillée ») finit par déposer une seconde main courante puis par porter plainte.
Alors oui, msieurs-dames, tout en se disant solidaire de Céline pour avoir reçu une gifle, on peut reconnaître à Quatennens une forme de courage.
Et devant le déferlement de haine qu’a déclenché son aveu, on doit évidemment admettre que cette faute là n’est pourtant pas l’équivalent d’une violence qui se reproduirait quotidiennement. Deux interventions (celle de Mélenchon et de Bompard) allant dans ce sens leur ont valu une avalanche de reproches, de critiques, voire d’insultes. Dont votre lettre ouverte au député Bompard.
Voilà donc, msieurs-dames, ce qu’il fallait rappeler pour comprendre la logique d’une pratique qui s’est généralisée : celle du lynchage médiatique … dont il est bon de rappeler qu’il vise à se substituer à un jugement de justice qui, lui, doit respecter la victime, mais aussi l’accusé qui bénéficie du droit de se défendre et même d’une présomption d’innocence. Quelle que soit la gravité de la faute incriminée, même en cas de crime.
Aussi imparfaite (et perfectible) qu’elle soit, l’institution judiciaire vaut mieux que le pilori, et aucune cause aussi juste soit-elle ne peut justifier une telle régression du droit.
Pour en finir avec la question de la « proportionnalité » des violences il serait bon, à côté de la gifle, d’évoquer aussi la forme extrême de violence que constitue ce lynchage mediatico-politique, vis à vis d’un homme qui se retrouve (ou risque de se retrouver) au ban de la société ou, du moins, d’une organisation politique à laquelle il a beaucoup donné. Souillé non pas tellement par la faute qu’il a lui-même reconnue mais par la vindicte populaire déclenchée contre lui.
Ah oui, Quatennens … le député qui gifle les femmes, pourra t’on dire !!!
Je passerai, msieurs-dames, sur la forme de justification que vous avancez dans votre lettre ouverte, en vous auto-proclamant experts sous prétexte d’être en contact avec cette réalité. La suite de votre lettre démontre le contraire.
L’existence des violences faites aux femmes n’est plus à démontrer.
Ce qui mériterait démonstration, par contre, c’est en quoi les propos de Bompard seraient une incitation à la violence contre les femmes. Votre argument est le suivant :
« En comparant la gifle à des violences quotidiennes, vous la minimisez … En lui déniant sa gravité, vous ouvrez la voie »
Tout d’abord, c’est un pur mensonge, car il n’’a jamais été question de minimiser une gifle.
Mais surtout, à l’inverse, établir une sorte d’équivalence entre des violences quotidiennes répétées et une gifle donnée une fois, revient évidemment à minimiser les violences quotidiennes (instaurées au même ordre de gravité qu’une seule gifle).
Votre argument est donc stupide et se retourne contre lui-même.
Et la question que vous posez dénote une singulière volonté d’inquisition : « où mettez vous la limite » ? « Une seule gifle, en êtes-vous sûr » ?
Vous ne semblez pas avoir compris (et c’est ce qui me semble grave) que ce n’est pas au citoyen, ni au député, ni à aucun groupe de pression de se substituer à la justice … qui devra enquêter avant d’émettre un jugement.
Contrairement à votre effet de manche, ce n’est pas une affaire de comptabilité.
La violence est un fait établi. Les mouvements féministes ont largement contribué à une prise de conscience, à une évolution des lois et des pratiques, par la généralisation d’actions de sensibilisation sur le terrain, dans les institutions…
Malgré votre déni, il y a bien une gradation dans les violences, et l’on peut sans doute vérifier que les violences graves, répétitives, se sont souvent instituées par des violences banalisées, « moins dures ». Pour autant, même si 100% des violences graves avaient commencé par une gifle, il serait faux (et stupide) d’en déduire que 100% des gifles conduiraient à une violence répétée.
Ce serait une énorme confusion que de réduire le comportement d’un individu à une statistique globale : il est faux et extrêmement dangereux de prétendre qu’un individu qui a commis une gifle en commettra d’autres.
C’est absolument inacceptable, car ça revient à condamner quelqu’un pour des faits qu’il n’a pas commis (mais qu’ il pourrait ou aurait pu commettre)
C’est une « théorie » véhiculée par des politiques de droite voire d’extrême droite. On se rappelle de cette proposition (sous la présidence Sarkozy) de catégoriser certains enfants issus de certaine couches sociales et de certains quartiers, de pré-délinquants, et de leur réserver un traitement adapté à cette catégorie.
Pire que ça, vous osez proclamer : « Vos propos si effrayants à notre conscience, c’est qu’ils pourraient dévoiler le contenu de votre pensée »
Vous instaurez ainsi un « délit de pensée », qui plus est d’une pensée que vous trahissez et à laquelle vous n’avez rien compris…
Pire (oui c’est encore possible…), vous instaurez un « délit d’inconscient » par cette sentence « Trop tard Monsieur le Député, votre inconscient a parlé ».
Voilà la pente glissante à laquelle a conduit ce lynchage et cette mise au pilori de Quatennens, digne de pratiques moyennâgeuses : une glissade incontrôlée vers une idéologie d’extrême-droite, qui vont à l’encontre de l’humanisme dont nous avons besoin, et dont nous nous devons de renforcer les préceptes y compris et surtout dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Aucun progrès n’est possible par une régression du droit !
Msieurs-dames, je vous invite sérieusement à révisez votre jugement.
jeanpaulcoste@free.fr
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Julia Courvoisier - Avocat au barreau de Paris
Affaire Bayou : cessons de creuser la tombe de l’État de droit !
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Ci-dessous, la lettre ouverte au député Bompard :
Le vendredi 23 septembre, en référence à "l'affaire Quatennens", vous déclariez sur la chaîne de télévision Cnews "qu'une gifle n'est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours".
Nous, médecins marseillais, psychiatres, généralistes et autres spécialistes, accueillons régulièrement des personnes victimes de violences. Le contact direct avec cette réalité nous autorise un avis d'experts. Les citoyens attendent de leurs représentants qu'ils façonnent un monde meilleur et désirable. Ces quelques mots sont là pour vous aider, avec bienveillance, à adopter une parole juste et un regard distancié. Car vos propos sont dangereux et irresponsables, et il doit être expliqué pourquoi ils doivent être dénoncés et combattus, sans la moindre ambiguïté. Car le risque, réel et majeur, est bien présent pour la population, l'actualité ne cesse de le rappeler.
"Une gifle n'est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours" ! Plusieurs points sont à relever.
En premier lieu, la gifle est une violence qui signe bien souvent le début d'agressions quotidiennes. Avant de battre une personne tous les jours, il a bien fallu commencer par une violence, si petite soit-elle. Une gifle ou autre chose. La violence est forcément traumatique. On peut se suicider à la suite d'une seule gifle, d'un seul mot dégradant... Comme l'on peut survivre à des insultes ou des coups violents et répétés. La nature et la profondeur du trauma psychique sont liées à une violence quelle qu'elle soit et non pas à une quelconque mesure de l'ITT (incapacité temporaire totale) qu'elle provoque.
Il n'y a pas d'ambiguïté à avoir. Or, cette petite phrase l'est. Car en comparant la gifle à des violences quotidiennes, vous la minimisez. En lui déniant sa gravité, vous ouvrez la voie à la banalisation et c'est une très mauvaise nouvelle. D'ailleurs, êtes-vous certain qu'elle fut unique, que savez-vous de son intensité, la victime a-t-elle reçu une petite ou une grosse gifle ?
D'ailleurs, "Une gifle n'est pas égale...", à ce compte-là, où mettez-vous la limite, à deux, à trois, à dix ?
Que veut dire comparer ? L'agression de Poutine serait-elle sans commune mesure avec l'annexion de la Pologne par le troisième Reich ? Mais qu'en sait-on au bout du compte ?
Bien sûr que pénalement, il y a cette proportionnalité dans les peines, c'est heureux mais vous ne nous apprenez rien, vous déplacez d'un revers de manche cette question vers de la "comptabilité", ce qui est hors sujet. Un chiffre tout de même, à rappeler sans cesse : en 2020, le ministère de l'Intérieur indique que 87% des victimes de violences conjugales étaient des femmes.
Si vos propos sont si effrayants à notre conscience, c'est aussi qu'ils pourraient dévoiler le contenu de votre pensée. En effet, la spontanéité avec laquelle vous les avez prononcés va dans ce sens et laisse envisager que vous êtes encore bien loin du compte sur le sujet des violences et de l'égalité entre les personnes. Quant à la pratique des rectificatifs bien construits par des communicants et diffusés dans l'après-coup sur des réseaux sociaux, mieux vaut ne rien en dire. Trop tard, monsieur le Député, votre inconscient a parlé, et c'est vraiment une mauvaise nouvelle. Mais vous n'êtes pas le seul, ce qui n'est pas non plus une bonne nouvelle : vous êtes aussi prisonnier de schémas de pensée bien ancrés. L'humain peut être bon, nous le croyons et si vous revenez dans le réel, vous évoluerez dans le bon sens. En tout cas, et pour vous et pour nous, nous vous le souhaitons ardemment.
Mesdames et Messieurs les députés, vous avez la chance de pouvoir vous exprimer librement à un large auditoire et parfois, vous vous risquez à donner des leçons sur les antennes. Cette fois-ci, c'est nous qui vous en donnons une. Tâchez de la retenir, il y va de l'avenir de notre société.
Une violence est une violence, un point c'est tout.