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Billet de blog 14 février 2012

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Dumping social : la classe politique s'éveille ?

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Le 12 Février 2012 Médiapart publiait un article de Philippe RIES - "Renault à Tanger: la classe politique française s'étrangle à tort" - 
article qui mérite que l'on y apporte quelques nuances contradictoires...

Une voie toute tracée...


" A la fin des années 90 du siècle dernier, Schweitzer (alors président de Renault) ... lance l’internationalisation de l’ancienne Régie nationale.... En quelques mois, profitant d’un retour en forme financier et d’opportunités historiques, il met la main sur le numéro deux japonais Nissan Motor, rachète le coréen Samsung et reprend en Roumanie les usines d’Etat Dacia pour créer, ex-nihilo, un nouveau segment dans l’industrie automobile, la voiture neuve à bas prix. "

Le président actuel de Renault n'aurait donc fait qu'emprunter une voie toute tracée par son prédécesseur...
Et la classe politique française "s'étranglerait à tort" à propos de l'implantation d'une gigantesque usine Renault à Tanger, elle n'aurait rien compris aux bouleversements systémiques... Les illusionnistes du « produire français » poseraient des questions anachroniques.
Le choix ne serait donc "pas entre «produire français» et produire ailleurs", mais "entre fabriquer dans des pays à bas coût de main-d’œuvre et ne pas fabriquer du tout".
"Bouleversements systémiques", tout est dit... circulez, il n'y a rien à voir !!!
Il en va parfois des argumentaires comme des profits : il faut aller très vite pour espérer gagner gros.
Et bien justement, non ! Au delà des formules rapides, allons voir dans les détails ...

C'est en effet au précédent président de Renault (et pas à l'actuel) que l'on doit cette intuition d'industriel "éclairé" : dynamiser le développement de Renault sur notre territoire, et soutenir cette dynamique par un investissement et un développement au niveau mondial. 

Rappelons qu'à cette époque, Renault s'était redressé et pesait autant que Nissan, en grande difficulté, la marque Dacia quant à elle étant inconnue du public...
Après cette époque et contrairement à ce qu'une analyse sommaire pourrait faire croire, le président actuel de Renault n'a pas emprunté la voie tracée par son prédécesseur.

La philosophie a profondément changé...


Il ne s'agit plus maintenant de développer l'entreprise Renault à travers des synergies mondiales. 
Il s'agit de développer une entreprise mondiale, une "alliance", dont l'entité Renault pourrait tirer quelques profits... 
L'entité, une abstraction : on parle avant tout de valeur ajoutée, de parts de marché, d'investissements et de profits financiers. Peu importent les usines réelles, les hommes réels qui y travaillent (dans quelles conditions), qui y vivent (ou s'y épuisent), qui en vivent (à quel prix).
Ce serait une loi générale de l'économie (bien connue) : le riche étant le meilleur ami du pauvre, il faut surtout que les riches (investisseurs) s'enrichissent (toujours plus) pour que les pauvres (en nombre croissant) bénéficient de quelques retombées... au prix de millions de chômeurs que l'on sortira des bilans.
Voilà donc le "bouleversement systémique" dont il est question : un monde ultra-libéral, ultra-financiarisé, qui accorde des salaires exorbitants aux PDG des grandes sociétés... sans aucune corrélation avec leurs bilans économiques réels.

Le cas Renault-Nissan, précisément...


Le salaire de son PDG... 
Il a défrayé la chronique. Montants annoncés : 8,4 millions d'euros versés par Nissan et 1,2 million d'euros par Renault (en 2010).
Comment ne pas être profondément choqué par l'indécence de ces montants ? Comment ne pas s'inquiéter de la dissymétrie des salaires versés par Nissan et Renault ? Comment, dans ces conditions, les stratégies et les intérêts commerciaux pourraient-ils rester équilibrées entre Renault et Nissan ? Renault ne pourrait-il pas devenir le parent pauvre dans cette alliance ?


Le bilan...
En effet, Nissan pèse maintenant (en terme de production) le double de Renault. Dacia a connu une progression spectaculaire de ses ventes. Samsum conçoit des modèles sans grande originalité rebadgés Renault pour le marché Français...
D'autres projets de développement du groupe Renault-Nissan (en Chine, au Mexique, au Japon, en Australie...) seraient censés profiter "aussi" à Renault...

Ce bilan appelle quelques précisions concernant Renault :

- les modèles "haut de gamme" (ceux à plus forte valeur ajoutée) ont été des échecs commerciaux cuisants (Avantime, Vel Satis) et ont dû être abandonnés. L'Espace qui était une référence est vieillissante et la nouvelle génération tarde à venir,
- les modèles de catégorie juste inférieure (Laguna) n'arrivent pas à satisfaire les objectifs de vente,
- les modèles de "niche" ont été totalement négligés par Renault qui est passé à côté de la montée en puissance des véhicules de loisir (tous-chemins, tous-terrains),
- le dernier coupé-cabriolet "Wind", pourtant attendu par les amateurs, est un échec commercial total...
- les modèles Renault les plus vendus sont fabriqués en dehors de notre territoire,
- nombreux sont les modèles de Nissan et Dacia en concurrence directe avec ceux de Renault ou sur un créneau délaissé par Renault,
- les boites de vitesses automatiques Renault sont moins performantes que leurs concurrentes,
- les puissances des motorisations sont en retrait par rapports aux concurrents
- les innovations Renault se font rares : Renault souffre d'une "perte d'image" et n'a même pas été capable de valoriser ses excellents résultats en Formule 1...

Fort heureusement, il n'y a pas que des points noirs dans le bilan (la nouvelle génération de petits moteurs, le succès des véhicules utilitaires, par exemple) et ce tableau est sans doute exagérément pessimiste... Mais voilà bien un bilan à 1,2 million d'euros annuel (pour son PDG), qui démontre encore une fois le découplage entre les performances économiques d'une entreprise et les intérêts financiers de ses actionnaires.

Car c'est dans ce contexte que, dans le même temps :
- les usines de Renault sur le territoire français mettent des ouvriers au chômage technique et licencient. 
- les sous-traitants sont exploités ou abandonnés (comme Heuliez) au bénéfice de moins-disants (souvent) délocalisés et (souvent) au détriment de la qualité.

L'effet des délocalisations ...


A en croire Philippe RIES, l'effet des délocalisations devrait être minimisé :
"Bien plus importante que les délocalisations tant décriées pour la chute de l’emploi manufacturier dans les vieux pays industriels est la hausse de la productivité. Depuis l’arrivée de la «lean production» organisée par le TMS (Toyota manufacturing system), le temps de travail nécessaire à la fabrication d’une voiture moyenne a été divisée en gros par trois ou quatre."


Analyse étonnante !!! 
Pourrait-on séparer la question des délocalisations de celle de la productivité, en occultant le fait que la hausse de la productivité se réalise de deux façons concomitantes ?
- le temps nécessaire à la réalisation d'un objet industriel qui se raccourcit (la "lean production" en est une manifestation),
- le salaire horaire qui diminue en ayant recours aux délocalisations.
Le gain de productivité résulte du produit de ces deux variations (diminution du salaire horaire et diminution du nombre d'heures nécessaires), il augmente d'autant plus que ces baisses sont plus fortes.

Changer de vision du monde...

En définitive, l'affirmation de Philippe RIES "La classe politique française s'étrangle à tort" et sa question "Que serait Renault sans l'internationalisation ?" témoignent d'une vision ordinaire, bornée par le modèle neo-libéral : nous serions irréversiblement entrés dans un monde structurellement gouverné par "les lois du marché et de la concurrence libre et non-faussée". "Fin de l'histoire" : toute remise en cause politique de cette vision serait incongrue.


C'est exactement cette vision du monde qui a "atterré" un certain nombre d'économistes et fait réagir certains politiques lorsqu'ils ont stigmatisé "les benets de la mondialisation".
En réalité, un peu tardivement et sous la pression électorale, la classe politique française s'éveille peut-être (?) et commence à se poser des bonnes questions. En témoigne par exemple le débat sur Renault retransmis sur la Chaîne Parlementaire :
LCP Assemblée nationale | Travaux en commission : Discussion sur la stratégie du constructeur automobile Renault

Il ne s'agit pas de contester le bien fondé d'une démarche de production et d'échanges au niveau mondial.
Il ne s'agit pas de contester le bien fondé de produire à Tanger des voitures qui seront distribuées en Afrique et dans d'autres pays en voie de développement.
Il ne s'agit pas de contester que "L’Afrique mérite mieux que d’être le déversoir de véhicules d’occasion arrivés en fin de vie" : invoquer un tel argument est une indignité.

L'urgence aujourd'hui est de mettre en cause les dogmes qui structurent les échanges mondiaux et d'établir de nouvelles règles d'échanges (que préfigurait déjà la Charte de La Havane de 1948 pour instituer une Organisation Internationale du Commerce : établir des règles d'échanges fondées sur la collaboration plutôt que sur une concurrence effrénée qui ne profite toujours qu'aux plus puissants et qui appauvrit toujours les plus pauvres, partout dans le monde.

La question de l'usine de Tanger n'est évidemment qu'un symptôme de l'organisation des échanges mondiaux et de la concurrence dite "libre et non-faussée".
- L'ouvrier Polonais, mal payé, l'est encore trop par rapport à la concurrence que peuvent exercer des entreprises chinoises, comme la Covec : en Pologne: des centaines de Chinois bâtissent une autoroute à bas coût.
"En Pologne, on ne reçoit pas d'argent. On n'en a pas besoin, ici on est logés et nourris", dit un ouvrier en mangeant une bouillie de riz, du shou zo avec quelque fruits de jujube préparé par des cuisiniers chinois dans un garage transformé en cuisine."
Les Marins chinois en grève sur le port de Brest pour ne pas avoir été payé depuis un an sont une autre illustration de ces "Bouleversements systémiques" auquel fait référence cet article.

N'en déplaise aux "penseurs" de la modernité, tous les citoyens du monde, de tous les pays, ont besoin de mesures protectionnistes contre le dumping social et l'esclavagisme.
Tous ont le droit de vivre dignement de leur travail.

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