Voilà une question d’actualité, après la sortie du programme du FN et de ses « 21 propositions pour une écologie patriote du XXI° siècle ».
http://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-28016-propositions-fn-ecologie.pdf
Ce « catalogue » de mesures est extrêmement intéressant… Plusieurs d’entre elles d’ailleurs (mais nul n’est propriétaire de ses idées) sont « empruntées » au programme « l’Avenir en commun » du mouvement « la France insoumise » avec quelques variantes notables toutefois …
Par exemple, ce programme ne parle pas de « protectionnisme solidaire » comme celui de la France Insoumise mais de « protectionnisme vert intelligent ».
Le « vert intelligent » serait donc une alternative à la solidarité.
On le savait déjà : le FN n’aime pas la solidarité, ni entre les peuples, ni entre les citoyens… puisqu’il en est qui sont, à ses yeux, « moins citoyens » que d’autres !
C’est une différence de taille : on y reviendra.
De même, on reviendra sur le sous-titre du document de base, élaboré par le « Collectif pour une nouvelle écologie » et la CONVENTION THÉMATIQUE MARINE 2017, sous le titre : « L’ÉNERGIE ET L’ÉCOLOGIE DE DEMAIN »
http://collectifnouvelleecologie.fr/nos-propositions/transition-energetique-et-ecologique/
Avec ce sous-titre … « POUR UNE ÉCOLOGIE PATRIOTE ! » qui méritera notre attention.
Mais voyons d’abord les mesures proposées.
Dans le premier paragraphe : << Associons en bonne intelligence économie, énergie et écologie >>
on apprend que, << n’en déplaise aux Verts, en dehors de l’énergie hydraulique, les énergies dites « vertes » ne sont aujourd’hui pas réalistes en l’état >>.
Les Eoliennes, l’énergie des courants, le solaire… pas réalistes ?
Pourtant, les ingénieurs énergéticiens de l’ADEME ont élaboré un scénario ( http://mixenr.ademe.fr/ ) qui démontre la possibilité technique d’un mix 100% énergie électrique renouvelable à l’horizon 2050… à condition bien sûr de s’en donner les moyens dès maintenant.
Qui plus est, les informations objectives sur les puissances réelles installées (en France et dans le monde) sont abondantes et démontrent la réalité de ces énergies…
Citons par exemple le site http://www.enr.fr/actualite/248/Chiffres-2015-de-l-energie-eolienne-la-poursuite-d-une-forte-croissance qui indique :
« Le parc mondial d’éoliennes s’élève à 432 419 MW fin 2015 contre 370 000 en 2014, enregistrant une croissance de 17%. »
« L’Allemagne a enregistré une année record, avec 6 000 MW de nouvelles installations, dont 2 300 MW d’éolien en mer »
Concernant l’énergie hydraulienne, également :
http://www.ecosources.info/dossiers/Hydrolienne_eolienne_sous-marine
le potentiel européen exploitable serait d'environ 12,5 GW (dont 2,5 GW sur les côtes Françaises), soit une puissance équivalente à 13 réacteurs nucléaires de 900 MW.
Quant à l’énergie photovoltaïque, on admet en général que le toit d’une maison exposé au sud et recouvert de panneaux pourrait produire une énergie en moyenne suffisante pour couvrir les besoins hors chauffage.
Autrement dit, pour ce collectif FN, les panneaux solaires ne constituent pas une solution réaliste à cause de la surface nécessaire (« la surface d’un département » dit-il). Avec le même raisonnement, recouvrir les toits des maisons avec des tuiles ne serait pas non plus réaliste : rendez vous compte du nombre de tuiles nécessaires !!!
Ce collectif reconnaît ensuite des vertus aux biocarburants… mais semble ignorer que leur production à grande échelle aurait un impact extrêmement négatif sur l’utilisation des sols (induisant une substitution des cultures d’oléagineux aux cultures vivrières), alors que leur combustion n’a rien d’écologique puisqu’elle rejette dans l’atmosphère le CO2 stocké dans les plantes. Et le temps nécessaire au stockage du CO2 par les plantes est infiniment plus long que le temps de leur combustion.
Pour ce collectif FN, la conclusion s’impose donc :
<< Plutôt que du dogme indépassable du tout-énergies renouvelables, l’objectif le plus réaliste est de recouvrir 20 % nos besoins énergétiques >>
Ce document poursuit par un inventaire des << Energies non renouvelables (ENR) >>
Au passage, on peut penser qu'il s'agit d'une coquille... car le sigle EnR communément utilisé, signifie au contraire : Energies Renouvelables...
Sans surprise : << Il y a une nécessité urgente, pour la France, de bénéficier d’énergies nouvelles, peu chères, sécures, et abondantes. Les équipements de production d’énergie installés seront fabriqués sur le sol français, permettant à la fois de créer des emplois et de réindustrialiser le pays. >>
Poursuivant la lecture, on s’aperçoit que le collectif FN découvre la vertu des micro-algues pour fabriquer des biocarburants… C’est bien !
Sauf que, si la culture de micro-algues pour produire des biocarburants ne monopolise pas des surfaces de terres cultivables, et s’il est vrai aussi que l’on pourrait avoir recours à des cultures d’algues pour capter le CO2 produit par des industries polluantes, quoiqu’il en soit, le CO2 stocké dans les micro-algues se retrouve dans l’atmosphère après combustion du biocarburant… Il reste donc préférable, dans tous les cas, de limiter les rejets polluants des industries. Il faut le dire !
On s’aperçoit aussi que le collectif FN pense que l’on pourrait, << sans abîmer les forêts françaises, doubler la production de bois pour alimenter des chaudières bois collectives ou individuelles.>>
C’est une idée destructrice, qui méconnaît la position des experts (de l’ONF et autres responsables de la gestion des forêts, en France, en Suisse et ailleurs…) qui affirment au contraire qu’une utilisation massive du bois pour alimenter des chaudières serait une très mauvaise solution : le meilleur usage du bois, prélevé dans des forêts gérées durablement, n’est surement pas sa combustion (qui libère dans l’atmosphère le CO2 stocké et autres particules toxiques), mais son utilisation dans la construction, qui induit beaucoup moins de dégagement de CO2 que le béton, par exemple, tout en ayant des durées de vie très importantes.
En poursuivant la lecture, on y découvre des propos totalement contradictoires à l’introduction qui se voulait intelligente… « Associons en bonne intelligence économie, énergie et écologie », qui pointait le solaire et l’éolien comme des solutions non-réalistes.
Bref, le grand bazar !!!
Il faut en venir au coeur du programme vert du FN, qui est le nucléaire :
<< Une nationalisation rendue nécessaire… Nos centrales doivent être sécurisées… Prolonger les centrales a minima jusqu’à 2030… Thorium « nucléaire vert »… >>
Manifestement, le FN cherche à re-dorer le blason d’une énergie « nucléaire patriotique », à bout de souffle, en vantant les « immenses avantages » de cette nouvelle filière.
<< Le thorium présente tous les avantages de l’uranium, sans ses défauts. >> prétend le document FN…
La réalité, c’est que le thorium n’est pas un combustible… qu’il faut le transformer en uranium 233 (en le bombardant de Neutrons) et que l’uranium 233 produit toujours de l’uranium 232, très dangereux, et des descendants aux radiations très énergétiques…
http://www.sortirdunucleaire.org/Le-reacteur-au-thorium-une-nouvelle-impasse
À l’évidence, sans entrer dans les détails techniques on voit que cette filière n’est qu’un concept théorique.
Et elle ne pourrait en aucun cas répondre à l’urgence de la transition énergétique.
Comme dans le cas d’ ITER, une analyse scientifique contradictoire serait nécessaire pour éclairer la prise de décision politique, de poursuivre ou non ce genre de recherche.
Reste l’évocation de la Pile à combustible et de l’Hydrogène.
Le FN a « découvert » que la fabrication et le stockage d’Hydrogène serait complémentaire du plan de développement des énergies renouvelables intermittentes.
C’est très bien…
Mais il faut comprendre l’intérêt de ce procédé, qui est coûteux et dont le rendement n’est pas excellent.
Ce procédé est d’autant plus nécessaire que l’on développera massivement les énergies renouvelables … de sorte que la production excédentaire d’électricité (en été, et quand il y a beaucoup de vent et du soleil) soit utilisée pour produire cet hydrogène, utilisable dans des piles à combustibles par exemple. Ce procédé existe, il est expérimenté au Danemark… qui justement a l’intelligence de se passer du nucléaire.
Dans la logique du projet du FN qui maintient la prééminence du nucléaire, son intérêt serait beaucoup plus limité… d’autant plus limité si on arrivait à mettre en oeuvre rapidement le projet nucléaire du FN… dont les centrales (à base de thorium et de sel fondu) présenteraient l’avantage (sur le papier) de pouvoir faire varier la puissance produite en fonction de la demande.
Mais ça, le collectif FN semble l’ignorer.
À l’échelle d’un territoire comme la France, le développement de la locomotion à Hydrogène impliquera (impliquerait) des infrastructures très lourdes.
Dans un premier temps, donc, plutôt que l’utiliser pour la voiture individuelle comme le propose le FN, il serait beaucoup plus judicieux de l’utiliser en priorité pour des trains (Alstom en réalise un prototype), pouvant s’alimenter en H2 entre deux points fixes. Mais ce sont des subtilités…
Que dire de plus concernant la position du FN sur la pollution due aux voitures, quand on sait que le candidat FN à la Mairie de Paris estime que la dangerosité des particules fines n'est pas avérée !!!
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/03/17/pollution-les-inventions-du-candidat-fn-a-paris_4384402_4355770.html
Que conclure de cette lecture ?
Certes, le FN a fait un gros effort de documentation et a emprunté de nombreuses idées à des lectures abondantes sur ces sujets… mais des lectures mal digérées, mal assemblées dans des mesures parfois incohérentes.
On pourrait objecter que cette critique est de moindre intérêt… comme le programme lui-même !
J’en conviens, car l’essentiel de la critique est ailleurs…
L’essentiel réside dans le sous-titre évoqué plus haut : « POUR UNE ÉCOLOGIE PATRIOTE ! »
C’est là, véritablement que l’on comprend que le FN n’a pas bien compris ce qu’est l’écologie, et qu’il ne pourra jamais le comprendre aussi longtemps qu’il sera nationaliste, c’est à dire aussi longtemps qu’il sera Front National…
Car en réalité, sa prétendue écologie patriote n’est rien de plus qu’une vision étroitement nationaliste.
Avec des présupposés nationalistes, on peut justifier de faire propre chez soi en polluant chez les autres : par exemple en important des matières premières nécessaires à notre industrie, mais en effectuant la phase des transformations (polluantes) en dehors de nos frontières, c’est à dire avec une double exploitation de pays tiers : exploitation économique et écologique.
Nous connaissions le national-socialisme, le FN invente la national-écologie selon laquelle notre intérêt national primerait sur toute autre considération.
Cette vision, le FN l’appelle très justement « le nouveau Colbertisme vert » (comme d’autres parlent de « capitalisme vert ») : les mécanismes de marché ou de « green washing » ne résoudront pas, au niveau national, des problèmes qui se posent à l’échelle de la planète.
On peut reconnaître les mérites de Colbert, l’impulsion qu’il a su donner dans le domaine économique, dans la restauration des finances, dans l’impulsion de la marine nationale et des activités maritimes… tout en reconnaissant la nécessité d’une autre logique que celle du mercantilisme dont le Colbertisme est devenu la théorie.
Le point de vue écologique est tout autre.
L’écologie fait référence à notre écosystème et à la nécessaire diversité qui constitue la matrice de la vie. Et c’est un point commun à l’humanité entière. A ce titre, le point de vue écologique doit se fonder sur les plus larges co-opérations possibles.
Le point de vue écologique est une vision systémique : c’est à dire qui agrège les liens entre toutes les parties faisant système et dont il est impérieux de préserver les équilibres.
Cette vision systémique englobe l’organisation de la société, partie prenante de l’écosystème. Car l’organisation de la société, les structures de pouvoir et de décision ont un rôle décisif sur notre écosystème. Il est donc aberrant de faire semblant d’ignorer ces déterminismes.
En ignorant ces déterminismes, on fait l’impasse sur la logique du capitalisme néolibéral qui est celle du profit maximum, logique qui n’a que faire de l’écologie… sauf si ça peut rapporter gros !
Du coup, il ne faut pas s’étonner que toutes les mesures proposées par le FN soient hors sol : il n’y est pas question des mesures financières et sociales qui garantiraient la réussite de ce programme : justice sociale, équité devant l’impôt, taxation des grandes fortunes, taxation des plus-values non ré-investies, taxation des capitaux investis sur le court terme, soutien des travailleurs et des citoyens pour la maîtrise des biens communs et de l’énergie…etc… etc…
On ne peut certes pas attendre du FN qu’il intègre les mesures de justice sociale défendues dans « L’Avenir en commun »…
Mais au moins, sur ce sujet de l’écologie, on pourrait suggérer aux lecteurs des thèses du FN d’être ouverts et attentif à d’autres discours…
Pourquoi pas celui du Pape Benoît XVI qui invitait à << éliminer les causes structurelles des dysfonctionnements de l’économie mondiale et à corriger les modèles de croissance qui semblent incapables de garantir le respect de l’environnement >>.
Pourquoi pas celui du Pape François dans son encyclique « Laudato si » qui rappelle <<…l’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète…>>,
que << Le climat est un bien commun, de tous et pour tous…>>
Et qui invoque : << Parmi les composantes sociales du changement global… l’exclusion sociale, l’inégalité dans la disponibilité et la consommation d’énergie et d’autres services, la fragmentation sociale, l’augmentation de la violence et l’émergence de nouvelles formes d’agressivité sociale…>>
Ces références papales devraient leur plaire... non ?
Sans surprise, « L’écologie patriote » du FN est aux antipodes d’une écologie sociale et solidaire…