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Billet de blog 11 mars 2013

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Christianisme : tradition et histoire de la papauté (9)

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Faut-il attribuer à l'épistémè ou à la doxa le fait que le monde entier entende, à l'évènement de.... qu'il esè le 266ème successeur de saint Pierre? En l'occurrence, le fait serait, apparemment, à imputer à la doxa, puisque tout ce qui relève de ce genre, (guides de poche, manuels de vulgarisation, abrégés de toutes sortes, encyclopédies-minute, etc) manque rarement de faire figurer des listes de papes dans leurs pages, tandis que les ouvrages plus savents se montrent aussi plus circonspects.

            Néanmoins, ce n'est pas la doxa qui a produit ces listes et s'il est un reproche à faire, éventuellement, à l'épistémè, c'est de ne pas dénoncer ce type de peccadille et, par le fait même, de lui permettre  de s'étendre et de se perpétuer.

            Quant à son origine, nous allons voir que la liste remonte pratiquement aux origines de l'Eglise, mais que s'il faut chercher la cause de sa perpétuation, c'est dans les publications régulières annuelles de l'Eglise elle-même qu'on peut la trouver. Mais qu'est-ce à dire que la liste des papes est à peu près aussi ancienne que l'Eglise ? Peut-il y avoir une meilleure preuve de son authenticité ? Cela dépend, préciséement, de l'idée qu'on veut se faire des origines de l'Eglise. C'est toute la question. Si l'on place les débuts de l'Eglise à la mission fixée à Pierre par Jésus en Mt 16, 18 et que, suivant une certaine tradition, on le fait venir à Rome en 42 ou 43, la fondation de l'Eglise de Rome remonterait à cette période-là., puisque la liste nous fait connaître son deuxième, troisième, quatrième successeur, etc. C'est donc que l'Eglise est mise en place. Nous avons là, par le fait même, la preuve des origines de la primauté que le catholicisme revendique.  Mais il s'agit d'un raisonnement circulaire : la liste prouverait que l'évangélisation de Rome a été faire par Pierre et Pierre à Rome serait prouvé par l'existence de la liste.

            Nous allons voir :

            1) que la présence de Pierre à Rome est, dans le meilleur des cas, hypothétique et que, dans l'hypothèse la plus favorable - c'est-à-dire dans l'hypothèse où il serait venu -, l'évangélisation de Rome par ses soins, ne le reste pas moins.

            2) que si cette liste est très ancienne, les éléments qui la constituent - c'est-à-dire les premiers noms des successeurs de Pierre, Lin, Clet, Clément, etc. - n'apparaissant pas avant la fin du IIème siècle et dans des circonstances qui les rendent douteux.

            3) que, par conséquent, l'historicité de cette liste est très faible, ce qui signifie, en dernière analyse, que les origines de la papauté, comme les origines de 'Eglise romaine, sont inconnues; donc, que la revendication de la primauté - donc, aussi, de l'orthodoxie doctrinale - est d'apparition tardive.

            Etant donné l'enjeu, cela mérite d'être examiné de plus près. Quant à la perpétuation de cette théorie très discutable, selon laquelle tout remonte à Jésus et à saint Pierre, il ne faut pas en chercher la cause ailleurs que dans le fait que cette liste est publiée chaque année dans l'Annuario Pontificio, mise en vente par la Libreria Editrifice Vaticana, au pris de 74 €[1] .

            Cette liste, pour les 40 premiers papes, c'est-à-dire jusqu'au début du Vème siècle est la suivante :

            En fait, peut-être dans un souci de prudence, l'Annuario Pontificio, ne place pas de chiffres en regard de chaque nom. Mais si le lecteur prend soin de compter, il s'aperçoit que Benoît XVI, dans l'édition de 2012, arrive bien en 265ème position.

            Or, un tel classement est logiquement rigoureusement impossible pour, au moins, deux raisons. La première est que l'histoire des papes connaît des périodes très agitées durant lesquelles plusieurs papes règnent en même temps, au moins une fois jusqu'à cinq [2]. Il plaira aux historiens ecclésiastiques d'en désigner un, rétrospectivement, comme légitime et de qualifier les autres d'antipapes, mais cela ne correspond pas à la ralité de ce qui est vécu durant les épisodes en question, lesquels régulièrement s'expliquent par des raisons politiques. et trouvent des conclusions sous l'effet de facteurs politiques. Les premiers antipapes sont Hippolytes (217-235) et Novation (251-258) que nous découvrirons bientôt. On compte plus d'une trentaine d'antipapes;

            La seconde raison pour quoi la liste pontificale conduisant au 266ème pape doit être considérée avec la plus grande réserve est que nous ne savons presque rien de la dizaine de premiers papes, c'est-à-dire ceux qui occupent le siège épiscopal de Rome jusqu'à la fin du IIème siècle et le peu que nous savons doit inciter à la plus grande prudence, à commencer par le plus grand d'entre eux, c'est-à-dire saint Pierre. Cette remarque vaut pour Pierre lui-même et pour son 3ème successeur, Clément de Rome, au sujet desquels nous allons fairele point sur ce que nous savns et nous ne savons pas. Pour les autres, jusqu'au 10ème (Pie 1er, 140-155), nous ne savons rien.

            Outre cela, l'ordre des tout premiers papes, tel qu'il apparaît dans cette liste (en quelque sorte officielle, ou semi-officielle) est contredit par les plus anciens auteurs qui en parlent. par exemple, s'agissant du personnage de Clément de Rome, qui est le seul dont on sache (plus ou moins) quellque chose avant Anicet et Soter (milieu du IIème siècle), on le trouve ici en 3ème successeur de Saint Pierre. C'est Irénée de Lyon dans son Contre les hérésies (paru vers 180) qui le dit. Mais selon un contemporain d'Irénée, Tertullien, Clément est nommé directement par saint Pierre. [3] Lequel des deux faut-il croire et pour quelles raisons ?

            `De telles contradictions montrent précisément une complète absence de coordination entre les églises locales, que l'existence d'une église centrale, sise à Rome et dotée d'un pouvoir de juridiction sur les autres ne devrait pas permettre. Le désaccord entre Irénée et Tertullien (qui sont pourtant, l'un et l'autre en relation avec la ville de Rome) montre que chacun écrit en toute indépendance, de sa propre autorité et en s'appuyant sur une tradition orale encore très flottante, véhiculant d'un lieu à l'autre, des informations tantôt convergentes, tantôt divergentes.

            Il n'est pas non plus inintéressant de noter que c'est dans le même temps - et, en l'occurence, dans la même œuvre, du même auteur -que, pour la première fois les quatre évangiles sont mentionnés, avec le nom des quatre évangélistes et les noms des treize premiers papes, c'est-à-dire jusqu'à Eleuthère (175-189) (puisque c'est sous Eleuthère qu'Irénée publie son traité).

            Dès le quatrième siècle, plusieurs pères de l'Eglise ou écrivains  (Hippolyte, Jules Africain, Jérôme, Rufin, Augustin) se sont interrogés sur les sources que les premiers "témoins" avaient bien pu utiliser, et cette interrogation a été reprise par les érudits du XIXème et du XXème siècle. [4] Les recherches n'ont jamais abouti au moindre résultat, ce que l'on comprend facilement, si leurs sources sont des traditions orales relatant des faits déjà anciens.

            Ce qui est sûr, en revanche, c'est que dès le VIème siècle, un faux est mis en circulation, intitulé Liber pontificalis qui, celui-là, donne des indications biographiques précises, avec généalogie, dates de début et de fin de règne, circonstances de la mort, ensevelissement, etc, qui servit d'histoire officielle de la papauté tout au long de la vie de l'Eglise jusqu'à ce qu'avec la plus grande difficulté, Mgr Duchesne parvint enfin à en démontre la fausseté. [5]

            L'histoire du Liber pontificalis montre, quant aux chrétiens de l'antiquité tardive, que l'absence d'informations précises sur les papes les gênait, puisqu'ils ont dû en forger ; quant aux chrétiens modernes, que l'Eglise n'a jamais été très exigeante en matière de garantie d'authenticité historique.

(à suivre)


[1] Cette publication, précédée de bien d'autres, sous diverses appellations, existe sous ce titre depuis 1912.

[2] On connaît, entre 1045 et 1058, Benoît IX, Sylvestre III, Grégoire VI, Clément II, Damase II.

[3] "C'est ainsi que les églises catholiques présentent leurs fastes. Par exemple, l'Eglise de Smyrne rapporte que Polycarpe fut installé par Jean, l'Eglise de Rome montre que Clément a été ordonné par Pierre. De même encore, d'une façon générale, les autres églises exhibent les noms de ceux qui, établis par les apôtres dans l'épiscopat, possèdent la bouture de la semence apostolique". Tertullien, de praescriptione haereticorum, (32,2)

[4] Voir article listes épiscopales, in Dictionnaire d'Archéologie Chrétienne et de Liturgie, tome 9, 1ère partie, col 1207-col 1255 et article  pape in DACL, tome 13, première partie, col 1111-col 1150

[5] Louis Duchesne, Etudes sur le Liber pontificalis, Paris 1877

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