Beaucoup de gens en France, et beaucoup d'abonnés de Médiapart, ont jugé que la visite de Benoit XVI en France pouvait être considérée comme une offense à la laïcité. De nombreuses raisons ont été avancées pour expliquer cette opinion. Je pense qu'elles se justifient dans leur ensemble, mais en même temps, j'ai presque l'impression qu'il y en a trop: le mieux est l'ennemi du bien.
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Oui, par exemple, Maurice Nivat n'a pas tort de s'indigner de la plaque commémorative apposée à l'Institut de France pour une visite de 5 minutes. En tant que membre associé étranger de l'Institut, le cardinal Ratzinger a hérité du siège de Sakarov. Aurait-on gravé une plaque en bronze pour une visite de Sakarov, surtout pour une durée de 5 minutes ? Autre exemple, la présence à la messe des Invalides, samedi matin 13 septembre, de tant de membres du gouvernement. Les journalistes soudoyés des médias de Sarkozy, ont bien insisté sur le fait qu'ils étaient là à titre privé. Admettons. Mais alors, il faut expliquer par quel hasard ceux-ci sont présents en si grand nombre, quand bien même ils ne sont pas chrétiens, comme Rachida Dati, et pourquoi on les interviewe l'un après l'autre, en tant que ministres ?
On pourrait multiplier les exemples. J'ai peur que cette multiplication d'exemples finisse par cacher l'essentiel. Je voudrais dire ce qui me semble l'essentiel et pourquoi, effectivement, je pense qu'il y a eu offense à la laïcité. Ce n'est pas le voyage lui-même, ni les frais éventuellement partagés par les finances publiques, ni le décorum ni la mise en scène; même si l'on peut trouver tout cela exagéré. On peut aussi le justifier puisqu'il s'agit, qu'on le veuille ou non, d'une personnalité mondiale d'une stature exceptionnelle.
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Je vois le problème dans la finalité politico-religieuse de l'Institution à la tête de laquelle Benoit XVI se trouve et qui tient en deux mots, la nouvelle évangélisation, dont Médiapart n'a pas dit un mot, plus plus que les médias tenus par les sbires journaleux soudoyés par Sarkozy.
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Médiapart m'a tout de même permis de publier un message là-dessus :
http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/jeanpaulyveslegoff/130908/la-nouvelle-evangelisation
Merci Médiapart.
La nouvelle évangélisation c'est le projet de reconquête du monde par une religion unique et universelle (c'est-à-dire catholique),détentrice de la Vérité également unique et absolue, tout le reste n'étant, d'après Benoit XVI, que "relativisme", c'est-à-dire, l'oeuvre de Satan.
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Au XIXème siècle, quand se préparait la Séparation, l'Eglise Catholique Romaine le disait en termes ouverts. Aujourd'hui, elle le dit en termes couverts. Mais elle le dit toujours; c'est cela que Médiapart n'a pas suffisamment signalé.
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J'ai entendu l'Eglise du XIXème deux fois dans les propos de Benoit XVI, une fois à l'Elysée, une autre fois au Collège des Bernardins. Mais il faut tendre une oreille un peu attentive et un peu avertie, car l'Eglise, au jour d'aujourd'hui, dissimule, par stratégie ses positions.Je n'ai même pas vu que Médiapart ait créé de liens indiquant où on pouvait entendre intégralement ou partiellement ces discours.
Pour l'Elysee, voici :
http://www.dailymotion.com/swf/k1Rj8SlatzTWe0LrXn
A juste titre, mais tout à fait insuffisamment, critique-t-on, ici et là, l'adjonction des adjectifs au substantif "laïcité". Dans ce discours de l'Elysée, Benoit XVI, revendique le principe de la séparation, ni plus ni moins, quand il invoque la phrase de l'Evangile : "Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu".
Si le principe de la séparation était dans l'Evangile, comment se fait-il que l'Eglise ait pendant si longtemps pratiqué le principe de la fusion et se soit opposé avec un tel acharnement à la mise en oeuvre de la séparation.
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Concernant les adjectifs, Benoit XVI, dit : " Vous avez, monsieur le président, utilisé l'expression belle de laïcité positive pour qualifier cette compréhension plus ouverte ..."
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la fin du discours
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Cela revient à dire, ce qui est objectivement faux, si on passe les discours respectifs au peigne fin, que ce que le Président de la République appelle "laïcité positive" est ce que Benoit XVI appelle "laïcité ouverte". Qu'ils sont d'accord, ce qu'en réalité, ils ne sont pas. J'ai rappelé plus haut ce que pense le philosophe Henri Pena-Ruiz (et d'autres) des adjectifs accompagnant le substantif "laïcité". Il n'y a pas de "droits de l'homme "positifs" ou de droits de l'homme "ouverts"; il y a les droits de l'homme, c'est tout.
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Mais l'offense à la vérité est plus loin, c'est-à-dire quand il dit "En ce moment historique où les cultures s'entrecroisent de plus en plus, je suis de plus en plus convaincu qu'une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l'importance de la laïcité est devenue nécessaire...Il est devenu fondamental d'insister sur la distinction entre le politique et le religieux...et d'autre part de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable pour la formation des consciences (...) et de la contribution qu'elle(la religion) peut apporter, avec d'autres instances, à la création d'un consensus éthique fondamental dans la société...)"
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Il y a énormément de choses à dire sur ce court passage. Cet entrecroisement des cultures, c'est ce que Benoit XVI, dans d'autres contextes, appelle le relativisme qu'il condamne sans appel.
Concernant "le vrai sens de la laïcité", c'est le deuxième volet de l'offense. Quand on sait ce que furent les positions de l'Eglise à l'époque de la Séparation, - mais Benoit XVI, non sans raison, compte bien sur notre ignorance - on est obligé de penser que l'Eglise est fort mal placée pour dire un siècle après à la République ce que la laïcité doit être.
Troisième volet de l'offense : "la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences". Non ! La religion peut, en effet être utile pour la formation des consciences. Elle peut être nuisible aussi, elle n'est en tous cas absolument pas irremplaçable. Affirmer le caractère irremplaçable de la religion, c'est dire que sans religion, il n'y a pas de conscience. C'est le discours du XIXème, lequel, je le répète était ouvert, la différence étant qu'aujourd'hui, le propos est couvert.
Quatrième offense : "La contribution qu'elle (la religion) peut apporter à la création, avec d'autres instances, d'un consensus éthique, etc...) Ceux qui se laissent abuser par les subtilités rhétoriques du pape, vont sans doute admirer qu'il appelle au dialogue avec ce qu'il nomme d'autres instances. En réalité, tout dialogue avec l'Eglise catholique est impossible, sauf sur le mode parodique, comme dans le domaine de l'oecuménisme, ou de l'interreligieux. Dès l'instant où l'on prétend détenir la vérité absolue, on ne peut pas négocier, on ne peut qu'une seule chose: c'est vouloir que les autres y souscrivent. Quand on est en position de faiblesse, on le demande humblement, gentiment, quand on est en position de force, on l'impose par tous les moyens, comme l'Eglise catholique romaine l'a fait pendant un millénaire et demi d'existence.
Il suffit de voir la position de l'Eglise dans la question de l'IVG : il s'agit d'une loi humaine mauvaise qui, au nom de la loi divine que l'Eglise prétend connaître et propager, doit être abolie. L'Eglise le dit ouvertement. Quant aux moyens qui sont employés à cette fin, j'espère que tout le monde les connait, mais ce n'est pas certain. D'autre part, le raisonnement tenu par l'Eglise sur l'IVG pourrait s'étendre à n'importe quel autre sujet, au gré de l'Eglise puisqu'elle prétend connaître la loi divine à la mesure de laquelle elle juge la loi humaine.
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Je m'aperçois que ce message est bien long, alors que j'essaie de cultiver la brièveté. Je ferai, dans ce même fil, plus tard dans la journée, un complément sur l'offense faite à la laïcité au Collège des Bernardins. Je veux conclure provisoirement ceci en disant que l'Eglise, en raison de cette connaissance de la loi divine, qui ne change pas puisque Dieu est éternel et parfait, ne peut elle-même pas changer.
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Donc, ses principes sont les mêmes au XXIème siècle qu'au XIXème siècle, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans le fil consacré à l'encyclique Aeternii Patris
http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/jeanpaulyveslegoff/130908/foi-et-raison-christianisme-et-philosophie-l-encyclique-aeterni-
qui n'a pas eu un succès fou auprès des lecteurs. Mais c'est la loi de la démocratie...
.jean-paul yves le goff
http://www.lelivrelibre.net