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Billet de blog 24 février 2019

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Les racines religieuses et laïques de l'Europe : Les Vandales de Genséric

LES RACINES RELIGIEUSES ET LAIQUES DE L'EUROPE

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            Les Vandales sont présents dans la grande invasion du 31 décembre 406 pour franchir le Rhin, en compagnie de Goths, de Francs, d’Alains, d’Alamans, de Suèves… Chose remarquable, constante et très fondamentale, de même qu’il y avait des Francs (saliens en l’occurrence) enrôlés comme auxiliaires dans l’armée romaine et ayant en France d’eux d’autres Francs (rhénans, en l’occurrence), de même cette armée romaine est sous les ordres d’un général en chef du nom de Stilicon. Or, ce Stilicon est vandale. Ceci suffit à montrer combien les relations sont complexes entre les Barbares et les Romains, ainsi que chez les Barbares entre eux.

            Douze ans se sont écoulés, à peu près, depuis la mort de Théodose. L’empire d’Occident est gouverné par Honorius, l’empire d’Orient par Arcadius. Dans la réalité des faits, par Stilicon. Stilicon ne s’est pas retrouvé par hasard à la tête de l’armée romaine. Né vers 360 d’un père vandale lui-même romanisé et d’un rang modeste dans cette armée, Stilicon a eu la bonne fortune de se faire remarquer dans la garde prétorienne, c’est-à-dire une unité d’élite chargée de la protection de l’empereur, Théodose en la circonstance. Deuxième signe de la faveur du destin, il s’éprend – et réciproquement – de la nièce de Théodose qui en est aussi la fille adoptive, portant le doux nom de Serena. On est en 384. A partir de là, on comprend plus facilement son ascension. Quand, en 395, Honorius prend la succession de son père, Stilicon, tout vandale qu’il soit, se trouve devenir le beau-frère de l’empereur.

            A quelques mois de sa mort, Théodose, d’ailleurs non seulement nicéen, mais qui a rendu le catholicisme obligatoire, affronte à la bataille de la Rivière Froide, le 5 septembre 394, un empereur usurpateur, d’ailleurs arien, du nom d’Eugène défendu par un autre général Barbare, celui-là d’origine franque, Arbogast. Théodose a à ses côtés Stilicon qui défait à plates coutures Arbogast et Eugène, lesquels y trouvent la mort. Beaucoup d’historiens présentent cette date comme le triomphe du christianisme sur le paganisme. Il n’en est rien. C’est le triomphe d’une branche du christianisme du christianisme, le nicéisme ou catholicisme sur une autre banche, l’arianisme dont l’historiographie chrétienne le prototype de l’hérésie. Encore ce triomphe n’est-il nullement définitif, comme la suite le démontre amplement. Si Théodose est catholique, Stilicon lui-même est arien. Nous avons vu qu’à la mort de Théodose quelques mois plus tard (17 janvier 395), ses deux fils Honorius et Arcadius ont respectivement 11 et 17 ans.. Stilicon devient leur tuteur et, dans la pratique, détenteur du vrai pouvoir politique et par contrecoup religieux.

            Non seulement Stilicon était le beau-frère du nouvel empereur, mais il oblige Honorius à épouser sa fille, Marie qui devient, en titre, l’impératrice. Stilicon est donc, à la fois, le beau-frère et le beau-père de l’empereur. Le problème est que les deux époux ont l’un et l’autre aux environs de 14 ans. Pour cette raison, ils vivent séparés et ne consomment pas le mariage. En 407, les deux époux ont légèrement dépassé la vingtaine d’années, mais Marie est toujours vierge et c’est dans cet état qu’elle meurt, en février de la même année. Décidément, particulièrement entêté, Stilicon force Honorius à épouser sa seconde fille, du nom de Thermantia, au début de 408.

            Là-dessus, Honorius, qui commence à prendre quelque autonomie, soupçonne Stilicon de vouloir le renverser. Il le fait arrêter (dans une église de Ravenne où il s’était réfugié) et exécuter le 22 août 408. Quant à Thermantia, elle est peu après répudiée et, la vie sauve, renvoyée chez sa mère. Que Stilicon soit arien à l’origine ne fait aucun doute. Cependant, pour exercer son pouvoir de régent, étant donné qu’il est le plus clair de son temps dans la partie occidentale qui est massivement nicéenne – et comme ce sera le cas des principaux rois barbares dans les territoires qu’ils auront conquis, il est obligé d’en passer, sur le plan religieux, par une sorte de « real politik ». De fait, en accord avec Honorius, il prendra des mesures contre l’arianisme (et l’autre grande hérésie du moment qui est le donatisme), tout en faisant preuve d’une clémence certaine à l’égard de la religion traditionnelle romaine, fortement représentée au Sénat et dans la population, laquelle religion est de nature essentiellement païenne.

            408, l’année où il meurt, voit les Wisigoths d’Alaric préparer leur attaque de l’Italie, couronnée par la mise à sac de Rome en 410 et, dans un troisième temps, leur transfert en Gaule septentrionale, d’où ils gagneront l’Aquitaine. Stilicon n’est vandale que d’origine et, loin de les aider, il s’oppose à la participation des Vandales à cette invation des territoires sous domination romaine qui commence le 31 décembre 406 par le passage du Rhin. 

            Malgré l’opposition qu’ils rencontrent de la part de l’armée romaine, Stilicon en tête, ces Vandales, avec les autres, pénètrent en Gaule et, ne trouvant guère de territoires à piller puis occuper, parce qu’ils l’ont déjà été, ils descendent vers les Pyrénées pour se retrouver vers la fin de 409 en Espagne où ils trouvent un peu de place. Ce n’est pas leur destination finale, mais ils y demeurent tout de même vingt ans.

            En 428, le pouvoir chez les Vandales échoit à un certain Genséric, considéré comme le fondateur du royaume vandale qui décide de tourner ses regards vers l’Afrique où aucun barbare, jusque là, ne s’était jamais installé. L’Afrique du Nord sera la base permanente du royaume vandale de 429 à 533, qui marque sa fin avec, entre temps, la conquête des Baléares, de la Sardaigne, de la Corse, de la Sicile, du Péloponnèse et une sévère expéridition sur Rome en 442.

            Donc, en 429, les Vandales traversent le Détroit de Gibraltar, débarquent dans la Maurétanie (actuel Maroc) et, de victoires en victoires contre les armées romains, arrivent à Carthage dix ans plus tard, non sans avoir conclu avec les Romains, en 435, un foedus que, selon l’habitude, ils ne tarderont pas à oublier. A l’Est de la Maurétanie se trouve la Numidie (actuelle Algérie) où le vieil évêque Augustin, non sans quelque raison, se lamente de les voir arriver devant sa ville d’Hippone (aujourd’hui Annaba), dont ils entreprennent un long siège. Le saint homme meurt quelques jours avant qu’ils ne pénètrent dans la ville.

            Sous l’autorité de Genséric qui s’exercera longtemps pour le malheur des peuples afro-romains, une terrible persécution se met en place contre les chrétiens nicéens. Quelles que soient ses convictions religieuses, Genséric prend position en faveur des ariens. Un témoin de l’époque, Victor de Vita, prêtre catholique de Carthage a laissé une Histoire de la persécution vandale en Afrique, qui regorge de détails plus horrifiants les uns que les autres :

            « Je m’efforcerai de faire connaître de façon succincte et brève, les événements survenus dans les contrées africaines quand s’y déchainaient les Ariens (…) Un édit de Genséric frappa bientôt les évêques et les grands ; dépouillés de leurs biens, chassés de leurs églises ou de leurs palais, ils durent choisir entre l’exil et l’esclavage (…) Quant aux sénateurs et autres dignitaires, ils furent d’abord frappés d’exil, puis déportés au-delà des mers (…) Débarrassé, ainsi que je l’ai dit, de l’évêque et du vénérable clergé, le tyran s’empara aussitôt de la basilique Restitua, lieu ordinaire des assemblées épiscopales et le mit au service de sa religion. Il prit également, avec leurs trésors, toutes les églises situées dans la ville ; hors les murs, il fait main basse sur clles qui lui plaisaient (…) Par ses ordres barbares, Genséric répandit partout la terreur, de sorte qu’au milieu de Vandales, la vie n’était plus tenable (….) Sur les conseils de ses propres évêques, Genséric avait décrété que l’on n’admettrait que des ariens aux diverses charges du palais, dans sa propre résidence et dans celles de ses fils ».

            Tortures, massacres, incendies d’église sont abondamment décrits dans la suite de l’ouvrage. En 455, rompant avec le foedus conclu vingt ans plus tôt, les Vandales débarquent dans le Nord de l’Italie et font marche sur Rome. L’empereur d’Occident est, à ce moment, Valentinien III qui se fait assassiner par d’autres ennemis le 16 mars 455. Le pape Léon 1er se trouve être la seule autorité qui reste dans la ville. Il avait connu une situation très proche et joué avec succès un rôle de conciliateur en face d’Attila en 452, invitant le Hun à se détourner de la ville (voir ci-dessus… page…). Certaines sources lui accordent une demi-succès : Genséric aurait ainsi épargné de nombreuses vies de Romains, mais la ville de Rome n’en est pas moins mise à sac durant quatorze jours, bien plus que ça n’avait été le cas en 410, sous la férule d’Alaric. Quittant la ville éternelle, le roi des Vandales emmène avec lui comme otage la veuve de Valentinien III, l’impératrice Eudoxie et ses deux filles, Eudocie et Placidie.             Genséric a encore dix neuf ans à sévir, puisqu’il meurt en 474, à 77 ans, après avoir régné trente-sept ans. Lui succède l’un de ses fils, Hunéric dont le règne sera beaucoup plus court, puisqu’il durera sept ans. Le souvenir que laissera Hunéric ne sera pas beaucoup meilleur que celui de son père. Hunéric n’est pas jeune puisqu’en 429, - l’année où les Vandales quittent l’Espagne – il a épousé une princesse wisigothe. Plus tard, en 442, il est envoyé comme otage à la cour de Ravenne pour servir de garant de paix auprès de l’empereur Valentinien III, celui qui meurt assassiné trois ans plus tard et dont Genséric emmène la veuve et les deux filles. L’aînée, Eudocie, est mariée de force à Hunéric, ce qui, quelle que que soit la manière, fait entrer les princes vandales dans la famille impériale. Entre temps, la première épouse d’Hunéric, terriblement maltraitée, est renvoyée en Gaule chez son père. Quant à Eudocie après de longues années d’humiliation et de mauvais traitements, elle réussit à s’enfuir des griffes de son mari et trouve refuge à Jérusalem, où elle meurt.

            Parvenu au pouvoir, Hunéric prend la précaution de faire assassiner deux de ses frères qui pouvaient avoir des prétentions au trône, leurs femmes, leurs enfants et un certain nombre de leurs partisans. Pour des raisons essentiellement politiques, il semble pen dant quelque temps accorder un minimum de liberté aux chrétiens catholiques, mais ce libéralisme n’est que temporaire. L’historien carthaginous évoqué précédemment, Victor de Vita, dresse de lui un portrait accablant, pire que celui de son père

            C’est son dernier frère, Gunthamund, (encore en vie) qui lui succède et règne sur les Vandales de 484 à 496. Il mène d’abord la même politique de répression contre les catholiques ; puis, à partir de 487, pour quelque raison, il décide de rappeler d’exil tous les évêques catholiques et de leur redonner leurs églises.

C’est son frère, Thrasamund, quatrième roi des Vandales, en exercice de 496 à 523 (vingt sept ans) qui, réellement, mit fin aux persécutions contre les catholiques et établit, tout en restant lui-même arien, une véritable paix religieuse.

Hildéric, fils du terrible Hunéric, succède à Thrasamund et règne jusqu’en 530. Il poursuit la politique religieuse libérale intronisée par son cousin et, comme lui, tout en restant arien, éprouve une réelle sympathie pour les catholiques, d’autant que telle était la religion de sa mère, la princesse Eudocie, fille de Valentinien III, épousée de force par Hunéric. Hildéric est l’avant-dernier roi vandale. Parvenu au pouvoir à un âge déjà avancé, son règne n’est pas très long.

Il cède la place à Gélimer, dont le règne est encore plus court, puisque le royaume des Vandales disparaît en 534, dans les soubresauts de la reconquête de la partie occidentale de l’empire, par Justinien.

Il est à noter que le terme de « vandalisme », utilisé pour qualifier tout acte de destruction systématique et gratuit est popularisé sous cette acception dans notre langue par un rapport de l’abbé Grégoire en 1794 qui titre : « RAPPORT SUR LES DESTRUCTIONS OPÉRÉES PAR LE VANDALISME ET LES MOYENS DE LE RÉPRIMER ».           

En réalité, nous venons de voir que les mœurs des Vandales n’étaient pas douces, mais celles des autres peuples barbares n’avaient rien à leur envier.

 (À SUIVRE)

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