A la suite de l’essai Emancipation de la psychiatrie qui remet en perspective les acquis institutionnels de la psychothérapie institutionnelle et du secteur de psychiatrie publique généraliste, L’accueil, une clinique d’hospitalité, utopie concrète du soin psychique, le reprend à partir de pratiques cliniques d’accueil du soin psychique émancipatrice de la « valeur humaine » en psychiatrie. L’humain, technique alternative en est l’enjeu politique majeur d’accès inconditionnel aux soins psychique dans la société, que ce soit pour les populations autochtones ou pour les réfugiés et exilés migrant de l’humanitaire.
L’introduction resitue la mise en crise politique de la dimension institutionnelle des acquis et des pratiques cliniques de la psychiatrie publique. Leur destruction radicale est l’imposition d’une politique néolibérale dont le management économiste de financiarisation du soin en marchandise à marche forcée réduit le sujet à un objet évaluable objectif. Annoncée comme modernité du capitalisme, son mécanisme gestionnaire et administratif dessaisit la décision soignante d’organisation du soin et transforme l’hospitalisation et le secteur de psychiatrie en outil de production rentable de soin. Le soin marchandise sur un marché rentable public-privé qui repose sur un retour sur investissement déshumanise l’acte de soin. Le sujet divisé de la psychiatrie est réduit à une « anormalité » biologique et neurologique évaluable d’une science du cerveau objective opposable avec ses médications et ses techniques comportementales de maitrise du symptôme émotionnel. La psychiatrie reconnue comme discipline autonome en 1968 est mise en crise en tant que psychiatrie publique par ce retour au neurologique évaluable. Il en résulte la mise en crise dramatique dans ses moyens et son éthique de la relation soignante avec les patient.es. Ce sont les acquis institutionnels d’une pratique clinique relationnelle soignante avec la personne et de collectifs avec les patient.es qui rendent l’hôpital et le soin de secteur psychiatrique qui sont violemment annulés dans ses moyens et son éthique dans la société, en lien avec le médico-social et les acteurs de terrain. Imposé par les recommandations de « bonnes pratiques » opposables de la Haute autorité de santé aux équipes soignantes et aux patients, la psychiatrie publique devient un programme de santé mentale positive de contrôle social et de tri avec ses données de saisies algorithmiques. La mise en crise majeure est celle de l’éthique du métier de soignant.es soumis en permanence à des restructurations comptables de l’organisation du travail et d’un effectif soignant à flux tendu qui « ne savent plus quel métier ils font ». La décision managériale rend impossible toute continuité relationnelle et toute élaboration soignante avec les patient.es, mais aussi entraine la multiplication de contentions comportementales. La politique de secteur public cesse d’être généraliste et d’intérêt général pour devenir articulation public-privé qui formate les investissements au détriment du service public. L’accès aux soins des patient.es se réalise de façon différée par des plateformes d’orientation de tri où en urgence, déshumanisation d’un tri et contrôle social de la souffrance psychique. La réification du sujet en chose économique est particulièrement dramatique pour la pédopsychiatrie. Les besoins affectifs et les turbulences de l’enfant cessent d’être l’objet d’une pratique soignante attentive à son développement, pour lui substituer la pathologisation neurologique de tout trouble et sa médicalisation et sa rééducation comportementale. L’ensemble des équipes de soins de la pédopsychiatrie et des CMPP sont soumis aux restructurations public-privé économistes, additionnant leurs fermetures comme dans le secteur adulte. Dans les deux les démissions de soignants du service public sont générales.
Le retour généralisé à l’isolement-enfermement et la généralisation de la contention en est sa dimension sécuritaire. L’hospitalisation en cas de crise est une forme de garde à vue psychiatrique de 72 heures depuis la Loi du 5 juillet 2011 de Sarkozy. Ce sont autant d’impasses d’un réel service public d’accès aux soins psychiques et à leur continuité, mais aussi le renvoi à la dangerosité potentielle et ses multiples contentions comme caractéristique de la maladie mentale dans la société
L’alternative pose donc dès maintenant la résistance de pratiques cliniques et institutionnelles et politiques à ce cours dévastateur.
Dans cette perspective toute lutte de revalorisation soignante matérielle (salaires, conditions de travail et souffrance au travail) est l’objet d’une remise en élaboration des différentes approches du soin qui repose sur la parole d’une subjectivité en crise des patient.es dans ses transversalités relationnelles et institutionnelles. Si la médication apaise le symptôme, c’est la parole du patient qui lui donne sens de la maladie subjective à traiter pour accéder au sujet social symbolique de la vie sociale.
La réappropriation de la formation aux pratiques cliniques relationnelles et éthiques antérieurs à réactualiser, à réinventer dans une perspective institutionnelle avec les patient.es est celle des soignants en lutte qui restent et résistent dans le service public. Elle pose dès maintenant dans la formation pour une nouvelle génération la lutte sur les contenus de l’enseignement à l’université pour les psychiatres, psychologues, infirmier.es et tout acteur du soin. Les connaissances cliniques antérieures sont à remobiliser dans une clinique « carrefour de sciences » biologiques et humaines, la psychanalyse étant une source de connaissances spécifique.
Le propos central du livre est de l’aborder par l’accueil, clinique d’hospitalité qui traite de l’accès aux soins inconditionnel d’une subjectivité en crise de la personne, avec son expression corporelle émotionnelle. Être-là avec les patient.es dans la construction d’une relation fiable et rassurante permet l’approche d’une subjectivité pathologique et la négociation de recherche du consentement aux soins des patient.es. Dès l’accueil le respect de la personne est l’expression de droits humains fondamentaux. La négociation du consentement à quels soins, avec qui et en quel lieu participe de ce cheminement d’une élaboration clinique relationnelle à construire à partir de la parole des patient.es. La pratique clinique d’accueil travaille donc l‘élaboration d’une rencontre symbolisable ou pas qui détermine un cadre de soin dans la durée ainsi qu’une présence protectrice non-menaçante dans la souffrance psychotique qui n’accède pas au symbolique du Moi autonome de sujet social. Implanté en proximité la vie sociale, le centre d’accueil et de crise permet l’écoute avant toute hospitalisation de tiers parentaux et sociaux, du médecin généraliste ou urgentiste qui l’adresse. Cette écoute participe d’une cartographie des lieux ressource et de leurs vécus face au sujet en crise. La qualité humaine de l’’accueil participe de l’institution d’une pratique du soin institutionnelle de la subjectivité à l’hôpital temps plein, l’hôpital de jour et le suivi au centre médico-psychologique (CMP) comme projet global de service. Il est également une ressource refuge dans les suivis au CMP par son ouverture 24h sur 24 pour les patient.es souffrant de psychoses. Son implantation sur le territoire du secteur permet avec le CMP et l’hôpital de jour des actions en commun de recours en cas de crise. Le centre d’accueil est un repère pour les structures animées par les patient.es (Club du Pont-Neuf, appartements associatifs un aller vers les précaires à la rue).
C’est à partir de ce cadre clinique ouvert et de situations cliniques qui l’explicitent que sont mises en débat les connaissances mobilisées et les différentes pratiques cliniques de psychothérapiques de la subjectivité. L’approche du normal et du pathologique réactualise l’apport de la trace sur un tableau de l’élève en difficulté comme relation vivante qui lui permet d’entrer réellement à l’école de Fernand Deligny, le rapport entre norme du vivant biologique et norme sociale de Georges Canguilhem et ses rapports dialectiques de Henri Wallon qui resitue la place du vivant et du social dans la subjectivité et la sexualité. Leur rencontre dans la résistance à St Alban pendant la guerre avec la psychothérapie institutionnelle de François Tosquelles et de Jean Oury introduit la place de la psychanalyse freudienne qui sera reconnue par H. Wallon mais récusée comme norme par Deligny.
L’apport de Freud renvoie vers la psychiatrie la « névrose actuelle » qui n’accède pas à la cure psychanalytique, contrairement à la « névrose de transfert ». C’est la connaissance de l’appareil psychique et du destin des pulsions de vie et de mort reste essentiel dans le psychothérapique de la socialisation du sujet et du choix de sa sexualité, mais aussi aide à penser l’accès à la symbolisation du sujet dans la psychose, mais ce savoir est mis en débat avec de nouveaux apports évolutifs Ainsi, l’apport freudien de la cure psychanalytique élabore à la suite de la première guerre mondiale l’anthropologique politique de L’avenir d’une illusion à propos du religieux puis son pessimisme dans Malaise dans la civilisation qui le recentre sur la cure apolitique. Il demeure que l’apport de l’appareil psychique freudien et de l’inconscient enrichit la pratique clinique psychothérapique en psychiatrie. Le politique de sa pratique est son opposition au fonctionnel réducteur du symptôme à traiter.
Mai 68 l’a reconfiguré dans les valeurs humaines avec l’essor du féminisme et l’apport de Michel Foucault sur la sexualité homosexuelle qui réinterrogent le normal et le pathologique dans les évolutions de la société actuelle. Ce point interroge le mouvement psychanalytique confronté aux évolutions d’une famille nucléaire en famille recomposée et à une position critique de ce modèle de la famille nucléaire traditionnelle. La reprise de Freud par Lacan qui introduit le langage aux signifiants multiples structuré par l’inconscient, n’annule pas le langage comme produit de la culture. L’anthropologique de la perte du grand Autre lacanien est-il sa seule désymbolisation symbolique ? Le discours de pouvoir de la biopolitique de Foucault rend compte de la déshumanisation de la société capitaliste et Marx sa dimension économique de classe. Un chapitre traite de la symbolisation ou de la resymbolisation du sujet qui reste la question centrale de la socialisation et de son anthropologique.
Comment traiter la mise en crise des pratiques humaines et sociales d’accès inconditionnel aux soins avec les traumas d’une société traversée par la destruction des services publics et les restes à charge à financer dans le soin ?
Entre fin du monde et fin de mois, réapparait le trauma et la mélancolie. Le trauma individuel et social s’alimente de la précarisation généralisée du commun, de la souffrance psychique de la vie des « gens de la moyenne » d’ici et d’ailleurs. Le trauma mortifère de l’exil chez soi a été le quotidien mortifère du lien social de la pandémie SARS-Cov-2 issue d’une crise écologique majeure de l’écosystème de la planète. Le trauma est le retour de la guerre en Europe et aujourd’hui au Moyen-Orient, mais celui de migrations de peuples à la recherche d’un lieu d’asile où vivre également. Chacun et chacune, en individuel ou en collectifs, est en recherche de symbolisation vivante d’un lien social dont l’atteinte met en évidence la destruction antérieure et actuelle d’une santé publique et de son hospitalisation. La souffrance psychique traumatique est l’expression durable et intergénérationnelle d’un travail déshumanisant. Son objet est aujourd’hui le paradoxe à dépasser entre une normalité vivante et une normalisation sociale imposée à coups de 49-3 pour travailler plus imposé par les gouvernements du capitalisme.
L’anthropologique de la valeur humaine de vie sociale commune ouvre le chapitre sur la politique de non-accueil des migrants et l’alternative de pratiques cliniques et institutionnelles pour mettre fin à la crise de l’accueil soignant de migrant.es réfugié.es issues de guerres et de la destruction des cultures traditionnelles, reproduction d’une colonisation qui ne cesse pas. Habiter cet entre-deux culturel est anthropologique dans sa connaissance. La présence de l’interprète entre langues différentes de la subjectivation mobilise une relation à 3 qui participe de la resymbolisation du symptôme dans ce qui est ou pas maladie. L’habiter est un apprentissage transculturel de l’humain qui s’inscrit dans le travail d’acculturation.
Résister par un accueil inconditionnel et d’hospitalité est l’utopie concrète de pratiques cliniques d’accueil politiques qui refondent une réelle pratique de secteur psychiatrique avec une hospitalisation humaine sans contentions. Le travail symbolique d’accès au sujet social reconnait l’apport freudien avec l’apport politique de l’humanité des patients et de leurs droits. Avec la population, ses élus, ses institutions sociales et associatives de patients et de familles, c’est une histoire qui se construit au quotidien comme outil de résistance et d’émancipatrice politique vers une société commune démocratique. Son objet dans ses différentes entrées est celui du Printemps de la psychiatrie qui tente de rassembler pour résister et élaborer une psychiatrie humaine mais aussi un mouvement de réappropriation collectif de son destin social et intime qui concerne en premier lieu les patients et patientes.
Jean-Pierre Martin
publié chez L'Harmattan