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Billet de blog 12 avril 2025

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Précarité, soins, exclusion : Quelle place pour « une psychiatrie sociale » ?

Les politiques de financiarisation gangrènent tous les services publics. L’accès aux soins du sujet en souffrance psychique n’y échappe pas. La financiarisation – par ses restructurations privé-privé en psychiatrie – ne laisse aucune place à la citoyenneté et à la subjectivité sociale de la personne.

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Précarité, soins, exclusion : Quelle place pour « une psychiatrie sociale » ?

Les politiques de financiarisation gangrènent tous les services publics. L’accès aux soins du sujet en souffrance psychique n’y échappe pas. La financiarisation – par ses restructurations privé-privé en psychiatrie – ne laisse aucune place à la citoyenneté et à la subjectivité sociale de la personne. Forme de domination d’un marché capitaliste globalisé, elle accélère la transformation en marchandise de toute activité de soin, d’éducation et de protection sociale[1]. Elle conforte toutes les tentatives du patronat de mettre fin aux acquis sociaux de la Sécurité sociale de 1945. Moment de conquêtes sociales, 1945 est marqué, en psychiatrie, par l’essor de la psychothérapie institutionnelle. Cette dernière est née à St Alban durant la guerre (François Tosquelles). L’idée de secteur public de psychiatrie date de cette époque (Lucien Bonnafé).

Sa remise en cause asilaire est aujourd’hui celle de tous ses acquis que sont :

  • les acquis en 1968 d’une discipline psychiatrie science de la subjectivité acquise, des apports de la psychanalyse et de la phénoménologie dans toutes les pratiques alternatives du soin développées depuis à l’hôpital,
  • la politique de secteur public de psychiatrie comme implantation sur des territoires citoyens,
  • le rapport Demay de 1982 et sa proposition d’une politique de secteur basée sur des établissements locaux de santé mentale.

L’annonce gouvernementale d’une « santé mentale grande cause nationale »  laisse donc présager une transformation radicale de la « santé mentale » conçue comme besoin social de reconnaissance du soin psychique par un service public. La santé mentale d’un nouveau marché du soin, avec ses plateformes d’appel privées, réduit l’échange au symptôme fonctionnel et au comportemental. L’accueil dans le soin est effectué par un plateau technique qui n’écoute plus les patients et patientes mais trie en ligne leur raison de consulter. La création de « mon soutien psy » en 12 séances en est la caricature. La déshumanisation du soin qui en résulte s’appuie sur le retour au seul neurocomportemental évaluable. On sait pourtant qu’il réduit le traitement aux médications immédiates du symptôme et non aux maladies psychiques. La pratique clinique n’est plus déterminée par les équipes soignantes.

La pratique du tri du soin psychique concerne particulièrement la pédopsychiatrie. Celle-ci traite du sujet social à éduquer et construire alors qu’il est aujourd’hui objet de répression comportementale. , discours de pouvoir de la destruction néolibérale de la spécialité psychiatrie comme soins de la subjectivité par une politique fonctionnelle de la réussite sociale dès l’enfance.

L’ensemble s’inscrit dans un sécuritaire médicalisé et comportemental dès l’enfance. Sa mise en œuvre a commencé sous Sarkozy avec la loi du 5 juillet 2011. Associée à une garde à vue psychiatrique de 72 heures, la loi a inauguré le tri de symptômes référés à leur risque de dangerosité avec des pratiques de contention pour toute agitation.

Il en résulte la mise en crise des métiers du soin engagés d'une psychiatrie humaniste et égalitaire pour tous et un manque de  motivation à s’y engager. Les soignants et soignantes ne savent plus le métier qu’ils font. Le tri d’accès aux soins laisse de côté les populations les plus fragiles, adultes, enfants, adolescents ou personnes âgées

 C’est bien d’abord ce refus du sujet social dans une série de crises sociales majeures qui réactualise ce que Michel Foucault a nommé discours médical de « biopouvoir » référé à l’anormalité du fou par nature et son exclusion de la vie sociale pour sa supposée dangerosité. La référence à la dangerosité accompagne d’un populisme pénal (Denis Salas) dans une période de montée des idées d’extrême-droite qui s’applique également au rejet des migrants exilés et réfugiés. La CNDA et l’OFPRA ont ainsi renvoyé dans leur pays deux personnes schizophrènes pour leur dangerosité potentielle et toute agression violente est référée au terrorisme.

Comment se ressaisir  de la reconnaissance des droits du sujet humain du fou et de son traitement tant médical que juridique face à la précarisation et à la déshumanisation ? Le facteur nouveau est la sensibilité d’une part importante de la population à ces effets sur la santé mentale et nombre d’élus et d’associatifs gardent le souvenir des pratiques communes. Une autre psychiatrie engagée aux avant-postes de la prévention et des soins en direction des populations les plus précaires est centrale face à ce nouvel ordre asilaire jusqu’au domicile[2].

L’urgence est donc de reconstituer un réel accueil inconditionnel humain sur le secteur psychiatrique et son hospitalisation. La question du social participe d’une pratique clinique d’émancipation de l’humanité du fou. Son expérience avec d’autres acteurs du social et du politique reste un acquis à faire vivre.

Jean-Pierre Martin

[1] Ainsi l’hôpital public est restructuré en permanence par une gestion qui repose sur une dette insoutenable. En effet, depuis 2002 la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne a retiré la possibilité pour les hôpitaux d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts avec des intérêts très bas et des délais de remboursement qui pouvaient aller jusqu’à 60 ans. Les emprunts se dont donc faits auprès des banques commerciales avec des taux d’intérêts qui ont pu atteindre près de 20 %, des emprunts dits toxiques. Le résultat est de ce fait aujourd’hui catastrophique. Dans l’ensemble de l’hospitalisation et de l’accès aux soins.

[2] L’enjeu clinique et social alternatif reste pour moi l’expérience un centre d’accueil ouvert 24h sur 24 à Paris, constitué dans une dynamique institutionnelle de secteur public de psychiatrie du service de soin en lien avec les élus et les services sociaux locaux et les associations, Sans rendez-vous préalable de tout personne dans le sentiment d’urgence psychique, l’accueil d’une équipe infirmière en responsabilité thérapeutique élargie avec des médecins est l’écoute relationnelle vers un soin possible à déterminer et dans quel lieu (dispensaire et si besoin d’une hospitalisation), mais aussi sur place 24h sur 24 ses repas en commun et 5 lits d’accueil autorisés par la caisse régionale d’assurance maladie. Le projet et sa réalisation sont l’enjeu social d’une crise du sujet dans celui d’un social en crise qui va rapidement être intégré par les acteurs sociaux et médicaux du centre de Paris et source de déplacements vers un domicile ou la rue.

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