Psychiatrie et question sociale
La gouvernance politique et économique d’Etat met à mal la question sociale, la citoyenneté et la subjectivité individuelle. Son objectif ? Imposer une politique de l’offre concurrentielle par la financiarisation à l’ensemble des services publics de soin et la psychiatrie. Forme de domination du marché capitaliste globalisé qui accélère la transformation en marchandise de toute activité de soin et de la protection sociale, il rappelle toutes les tentatives du patronat de mettre fin aux acquis sociaux de sécurité sociale. La financiarisation interroge de ce fait et à nouveau la question de l’appropriation sociale de l’économie sous toute ses formes face à un management capitaliste du système public, le détruisant vers des solutions de gestion de marché. Ce rappel concerne tous les acquis institutionnels de la question sociale.
Ainsi l’hôpital public est restructuré en permanence par une gestion qui repose sur une dette insoutenable, résultat depuis 2002 de la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne où les hôpitaux se sont vu retirer la possibilité d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts avec des intérêts très bas et des délais de remboursement qui pouvaient aller jusqu’à 60 ans. Les emprunts se dont donc faits auprès des banques commerciales avec des taux d’intérêts qui ont pu atteindre près de 20 % avec les emprunts dits toxiques. Le résultat est aujourd’hui catastrophique. Christophe Prudhomme dans un article de Médiapart en montre deux exemples récents des difficultés financières rencontrées par des hôpitaux illustrent une situation insoutenable de leur dette. L’Institut Mutualiste Montsouris à Paris, établissement de 450 lits, est en cessation de paiement du fait d’une dette cumulée de 120 millions d’euros due à sa reconstruction qui n’a pas été financée par l’Etat. À Marseille, c’est l’Assistance Publique qui est aujourd’hui dans une impasse avec une dette de 840 millions d’euros qui l’empêche d’engager des opérations de rénovation de ses bâtiments vieillissants et qui se dégradent. Il en résulte une charge des intérêts qui dépasse chaque année 1 milliard d’euros au grand bénéfice des banques ( en 2023, les bénéfices de la seule BNP ont atteint 11 milliards d’euros).
Ainsi, l’annonce gouvernementale d’une « santé mentale grande cause nationale » mettent en évidence l’accélération de la remise en cause des acquis de la sécurité sociale de 1945 et de l’ensemble de ses services publics, dont celui enfin reconnu de la psychiatrie comme discipline en 1968. La création de la notion de santé mentale à la fin du 19ème siècle est de revendiquer l’ouverture des asiles d’enfermement et la reconnaissance éthique de l’humanité de la folie et des droits des patient.es. Dans sa double dimension de santé mentale et de la reconnaissance du soin psychiatrique, va naître la psychothérapie institutionnelle qui s’appuie sur les apports de la psychanalyse inscrits comme base relationnelle de toute pratique de soin psychique et la promotion par Lucien Bonnafé en 1946 de la politique de secteur public de psychiatrie comme implantation sur des territoires citoyens. Bien que mise en place à partir des années 60 dans une territorialisation économiste, vingt ans avec Mai 68 au milieu de pratiques de psychothérapie institutionnelle sur le secteur avec son hospitalisation sont au cœur du rapport Demay de 1982 : sa proposition d’une politique de secteur basée sur des établissements locaux de santé mentale. La remise en cause actuelle de la psychiatrie publique est donc non seulement sa financiarisation publique-privée mais aussi le retour à un sécuritaire médicalisé et comportemental dès l’enfance, accéléré depuis Sarkozy et aujourd’hui par la présidence Macron. Cet ensemble appelle donc à reposer la santé mentale en lien avec la question sociale comme objet possible de résistance et non sa redistribution public-privé sur un nouveau marché du soin algorithmique à l’œuvre avec la multiplication de plateformes d’appel qui ne traitent pas dans la durée. Ses IA à venir? Dans cette perspective, la désignation de la santé mentale comme « grande cause nationale de l’année 2025 » n’est pas une opportunité sans inclure la psychiatrie et ses pratiques de secteur à développer. En réalité elle ne développe qu’une santé mentale fonctionnelle et comportementale. Globalement, l’accueil dans le soin est celui d’un plateau technique qui n’écoute plus les patients et patientes, mais trie leur raison de consulter de façon agressive et sélective. La déshumanisation du soin qui en résulte s’appuie sur le retour au seul neurocomportemental évaluable, dont on sait qu’il réduit le traitement aux médications immédiates du symptôme et non aux maladies psychiques. Les soignants et soignantes ne savent plus le métier qu’ils font. La pratique clinique n’est plus déterminée par les équipes soignantes. L’urgence est donc celui de reconstituer un réel accueil inconditionnel.
Le rapport parlementaire dit trans-partisan sur les urgences en psychiatrie décrit de façon documentée ses conséquences : la situation catastrophique de l’accès actuel aux soins psychique. Il laisse en même temps le besoin du secteur psy dans sa continuité et de son travail d’accueil des urgences en extrême difficulté. Ce qui laisse interrogation ou critique sont les préconisations proposées.
L’appel à Un nécessaire nouveau souffle des politiques publiques en matière de santé mentale et de psychiatrie appelle certes depuis 2018 principalement une feuille de route spécifique, mais les effets positifs se font au détriment d’une réelle santé publique par des dispositifs ponctuels. Effectivement ni le dispositif VigilanS de maintien du contact avec l’auteur d’une tentative de suicide ou du numéro national de prévention du suicide (3114), ni la formation de près de 200 000 secouristes en santé mentale depuis 2019 ([21]), ni la mise en place de 104 projets territoriaux de santé mentale (PTSM) ou encore l’amélioration du dispositif Mon soutien psy qui a bénéficié à 381 000 patients en août 2024 remplacent l’ensemble du secteur mis en crise avec son hospitalisation. C’est bien son existence dans la continuité qui détermine par une même équipe de secteur globale ce qui nécessite une hospitalisation et des soins ambulatoires comme stratégie claire, et non différents types de modèles de prise en charge. Dans ce contexte, recevoir l’urgence psychiatrique fait partie de cette continuité d’accueil et sa structuration pendant, mais aussi en amont et en aval
Concernant l’apport de Mon soutien psy le Syndicat national des psychologues pose bien les questions. 1. Externaliser la mission de service public, initialement dévolue à l’État, par le financement des psychologues libéraux via l’argent public. 2. Permettre de justifier, par l’existence du dispositif, l’absence d’augmentation du budget alloué aux soins psychiques de manière générale et plus particulièrement aux CMP et aux institutions du médico-social. Plus besoin de postes supplémentaires, il y a Mon soutien psy ! 3. Faire croire au public que les CMP et les institutions du médico-social sont essentiellement destinées aux cas les plus lourds et les plus difficiles, au contraire du libéral. 4. Faire croire que c’est la première fois que les psychologues sont remboursés alors même que toutes les séances avec les psychologues sont prises en charge dans les services publics de psychiatrie depuis la sectorisation de 1960. 5. Valider l’existence des symptômes qualifiés de légers à modérés ce qui ne correspond pourtant à aucune classification internationale, ni à aucun élément clinique probant. 6. Se centrer uniquement sur le symptôme visible, laissant de côté tout ce qui peut être dissimulé ou masqué par une symptomatologie manifeste. 7. Laisser croire au public que ses difficultés psychologiques peuvent se régler en un nombre court de séances en un nombre limité de séances et connu à l’avance. 8. Afficher que le temps psychique de chacun n’est pas le critère important et que si la thérapie dure trop longtemps, c’est qu’il y a un problème. 9. Laisser à penser, même dans la version améliorée du dispositif, avec suppression de l’adressage, que le psychologue serait autonome alors qu’il doit référer des éléments au médecin traitant qui a autorité pour orienter le patient.
Chacune des préconisation qui suit est donc à lire avec ce qui est entrain d’être détruit pour faire service public d’accueil.
- Renforcer l’offre de soins de premier niveau pour garantir une prise en charge précoce, graduée et homogène sur le territoire et pour prévenir les urgences psychiatriques est la réalité de ce qui est détruit dans les politiques actuelles et appelle bien un dispositif public permanent d’accueil de toute demande de soins.Mieux outiller les médecins généralistes serait effectivement d’être formés au soin psychique comme recours, le renforcement des moyens humains et financiers des CMP pour assurer des soins ambulatoires de proximité et la coordination des parcours de soins sont centrales sur le territoire du secteur. Le CMP est dans la proximité une organisation territoriale des soins psychiatriques faite en lien avec des services sociaux de mairie et des acteurs de terrain qui font organisation de santé mentale. Se traitent également des troubles addictifs et l’accompagnement durablement les personnes les plus vulnérables par les équipes mobiles psy précarité.
- Structurer un parcours de prise en charge d’urgence qui soit clair et accessibleest bien la perspective de service public de la recréation et la défense de réelles structures d’accueil (CAC, consultations en soins non programmés, etc.) contre la généralisation de leur fermeture. Ils permettent l’écoute précoce du sentiment d’urgence qui permet d’accéder dans un suivi relationnel à son accueil dans le temps et la continuité d’un travail de soin relationnel avec ses moyens à financer globalement. En leur absence la souffrance devient crise urgente et se retrouve dans ce que l’on appelle les urgences. Cela pose également la question des hospitalisations sous contrainte avec la loi sarkozyste du 5 juillet 2011 qui met sous contrainte pendant 72 heures d’évaluation. Mais quel sens de parler de la démarche qualité ? Quand la relation soignante n’est pas au centre de l’ensemble des services d’accès aux soins (SAS), les CAC et les CMP, c’est aujourd’hui qu’ils n’ont plus les moyens de faire continuité.
- Mobiliser davantage le secteur privé pour mieux prendre en charge les patients et pour une équité accrue entre établissements et professionnels de santé n’a de sens que si l’on combat la financiarisation, une épreuve de force contre ce qui fait la force du privé : le choix du patient à recevoir. Ce n’est pas de garantir un quota de lits de service public en psychiatrie dans les établissements privés à la place de leur maintien dans le service public qui règlera le déficit créé actuel par ce gouvernement et ses agences régionales de santé (ARS).
- Soutenir particulièrement la pédopsychiatrie et la santé mentale des jeunes.Le rapport souligne que les recommandations des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant de 2024 pour garantir une offre de soins pédopsychiatriques homogène et adaptée aux besoins sur tout le territoire, n’a pas été appliqué. Les possibilités d’évaluation en urgence ou en soins non programmés, mais aussi de mener un diagnostic approfondi et partagé sur l’usage croissant des psychotropes n’a plus d’acteurs. Les moyens de la médecine scolaire doivent être renforcés, les établissements scolaires associés au déploiement d’une politique de prévention et de repérage précoce des troubles psychiques, ce qui suppose de réinterroger les liens entre la médecine scolaire et le ministère de l’éducation nationale. Le rapport aborde peu l’organisation même de la pédopsychiatrie dans sa dérive neurocomportementale en dehors de l’usage des psychotropes. Donc attente de mesures renforcées et ciblées pour mieux prendre en charge les enfants protégés et la psychiatrie périnatale soutenue comme un élément de santé mentale, non de grande cause nationale.
- Améliorer la formation et l’attractivité des métiers de la psychiatrie. L’offre de formation doit être rapidement et massivement renforcée face à la pénurie de professionnels constatée sur le terrain. Cela suppose effectivement une augmentation des effectifs de psychiatre et d’infirmiers en formation initiale et continue, et non une création de statuts spécifiques dits de passerelles ou de hausse du nombre d’infirmiers en pratique avancée. Pour être plus attractive c’est d’une réelle politique de secteur public généraliste et d’une réelle formation à une psychiatrie relationnelle qui est à mettre en perspective. Les audits, campagnes de communication, stages obligatoires ou encore création d’un institut hospitalo-universitaire (IHU) ne servent à rien sans transformer les conditions de travail en psychiatrie et redonner du sens au métier de soignant. Cela suppose un réel programme de formation à une clinique de la subjectivité en psychiatrie et des rémunérations revalorisées qui permettent d’aborder comme pratiques relationnelles les situations de violence et d’agressivité dirigées vers des tiers ou vers les patients eux-mêmes.
Au moment où le Printemps de la psychiatrie tente des réunions avec des élus nationaux, pour porter ces réponses alternatives d’accès aux soins et de ses contenus d’accueil relationnel, il ne peut que combattre des réponses purement médicamenteuses et de contrôle comportemental dont aucunes sont une pratique de soins et refuser la généralisation des pratiques de contention et de surveillance. Le non accueil actuel est ce qui fait urgence comme symptôme majeur de la situation dramatique de la psychiatrie publique, au même titre que celui des migrants où l’AME est menacée par la droite et ses extrêmes. Ce point n’est pas apparu dans la mission parlementaire sur les urgences.
Les bases de pratiques relationnelles à réinstituer en lien avec la question sociale concernent l’écoute des patients quelque soient les symptômes dès l’accueil du sentiment d’urgence. Ma propre expérience de centres d’accueil et de crise en a montré, dans un lieu de proximité du centre de Paris, ouvert 24h sur 24 avec une équipe infirmière et un médecin de permanence qui reçoit la parole des patient.es et de leurs familles, voire de travailleurs du social et du médicosocial et d’autres services de soins ainsi que venant des élus locaux. où l’accueil inconditionnel traite de l’urgence et du sentiment d’urgence qui est son vécu humain. Ce travail s’est inscrit dans ce qui se nomme psychiatrie de secteur public de psychiatrie sur un territoire et de son service d’hospitalisation. Il s’accompagne de clubs de patient.es qui apprennent en commun à exister socialement comme sujet. Cette pratique clinique est celle des acquis de thérapie institutionnelle à l’hôpital qui s’inscrit dans le soin dans la vie commune et sa subjectivité.
Ce travail s’est inscrit dans ce qui se nomme psychiatrie de secteur public de psychiatrie sur un territoire et de son service d’hospitalisation. Il s’accompagne de clubs de patient.es qui apprennent en commun à exister socialement comme sujet. Cette pratique clinique est celle des acquis de thérapie institutionnelle à l’hôpital qui s’inscrit dans le soin dans la vie commune et sa subjectivité.
Cette politique novatrice de l’accueil dans le soin et de son accès aux soin inconditionnel, s’oppose radicalement au tri de plateformes informatisées de statut privé (un tiers de la population n’accédant pas à internet), objet de la financiarisation du service public en entreprise de production de soin qui renvoie au seul budgétaire, la sécurité sociale commune acquise étant mise sous contrôle du budget de l’état et non plus solidaire et indépendante. L’urgence est ce contrôle politique de son management financier qui restructure en permanence une perspective publique-privée et non un service public d’intérêt général.
Le contexte sécuritaire remet en première ligne la loi de Sarkozy du 5 juillet 2011. Sa garde à vue psy de 72h à l’hôpital est plus un contrôle social sans réel accueil aux soins autre que le diagnostic immédiat comportemental. Elle introduit en permanence la multiplication des soins sous contrainte et de ses contentions, aggravée par la réduction des effectifs soignants de gestion à flux tendu.
Ce sont donc les patients et leurs droits qui sont à nouveau l’enjeu de la déshumanisation. En pédo psy ce sont les besoins de l’enfant dans son développement en crise qui est à traité et non le seul comportement fonctionnel.
L’alternative est le retour à une psychiatrie publique gérée par les soignants avec les patients, et tous ceux du social qui participent de l’accompagnement du soin psychique, Elle est une politique de santé globale à réélaborer et de pratiques cliniques à réinventer. Les structures d’accueil permanentes sur le territoire qui traite de sujets sociaux dans laquelle l’hospitalisation est un temps du soin en cas de nécessité. Cela mobilise tous les acteurs. C’est de cette expérience de praticien ex-responsable du secteur du centre de Paris que je discute de ces propositions.