jeanpierremartin22

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 avril 2022

jeanpierremartin22

Abonné·e de Mediapart

Quelle psychiatrie publique émancipatrice ?

Face à la crise de la psychiatrie publique, quelle alternative promouvoir? Comment rendre la lutte émancipatrice? Une intervention à Vierzon du psychiatre Jean-Pierre Martin.

jeanpierremartin22

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quelle psychiatrie publique émancipatrice ?

 En 2019, les revendications centrales des mouvements de grèves dans les services d’urgence et dans les hôpitaux psychiatriques ont été la défense du métier de soignant et des moyens d’un réel service public. Si elles ont obtenu des acquis momentanés partiels, ils sont restés sans suite globale et les luttes actuelles à Orléans et Tours appellent toujours à une convergence.

 La concertation de Ségur qui suit la première vague de la pandémie du Covid19 indique clairement que ces revendications n’ont pas été réellement prises en compte avec des augmentations de salaire à géométrie variable de 183 euros. Dans ce contexte, l’exemplaire « héroïsation » de la mobilisation de soins intensifs par les soignants (avec la mort de nombre d’entre eux contaminés) a donc été instrumentalisé par le gouvernement pendant la pandémie (perte de 20000 lits à ce jour), pour continuer les restructurations financières destructrices de l’hôpital public.

 Parler d’émancipation de la psychiatrie et de la santé publique commence donc avec cet enjeu politique central d’une lutte contre la transformation de l’hôpital public d’intérêt général en une organisation de production de soins référée à sa fonctionnalité de rentabilité immédiate. C’est toute l’éthique soignante de service public qui est mise en crise pour l’ensemble des métiers du soin et du social réduits à une employabilité professionnelle technicienne immédiate dans les services publics de santé, de psychiatrie et du médico-social. Ce mépris de la fonction, du rôle et du statut des soignant.es alimente la souffrance au travail des personnels qui ne peuvent plus faire leur métier et entraine nombre de démissions. Là où 3 soignants sont nécessaires il en reste souvent 1 seul. Cette perte de moyens en psychiatrie dégrade non seulement la qualité relationnelle du soin psychique mais aussi entraine la maltraitance des patient.es et de leurs droits humains. L’essor du recours à une contention généralisée est l’absence de présence humaine.

 Avec les fermetures et les mutualisations de services hospitaliers, ce sont les structures du secteur psychiatrique qui sont détruites en tant que soins de proximité et de postes de travail soignants. Ce « new management » économique public-privé remplace l’accès aux soins et sa continuité par la promotion de plateformes d’expertise et de tri selon la supposée « gravité » des symptômes. Son outil informatique le rend également peu accessibles pour le public des patients de la psychiatrie et de leur famille.

 Les conséquences de cette politique du coût en psychiatrie dépossèdent non seulement les soignants de l’organisation des soins et de la décision thérapeutique, mais aussi substituent à une pratique clinique relationnelle et d’accompagnement social un retour hégémonique à une clinique neurologique évaluable de « science du cerveau et des comportements ». Cette dépossession est particulièrement grave en psychiatrie, car contrairement aux marqueurs de la médecine somatique le symptôme ici n’est pas en soi un diagnostic de maladie de la subjectivité psychique à traiter. L’organisation des soins par des recommandations d’experts de la HAS impose à la décision soignante les « bonnes pratiques » d’un outil de production de soins évaluable. La deshumanisation est celle d’une réification du soin, sa transformation en chose. Son outil privilégié de saisies algorithmiques des actes de soins subvertit toute temporalité relationnelle et promeut une clinique sans sujet humain. Ce constat est d’autant plus dramatique que cette réduction de la psychiatrie à une santé mentale positive est supposée traiter de situations de souffrances psychiques issues de la précarisation généralisées de la société néolibérale. Sa conséquence transforme la proximité d’accueil et de continuité des soins d’une pratique de secteur psychiatrique public généraliste, dans lesquels l’hôpital n’est qu’un un temps du soin. Il en résulte la fin d’un réseau de soin généraliste concret avec le patient et de son accompagnement en commun avec les autres intervenants médicosociaux et politiques locaux qui cesse d’être un service public citoyen pour être un service au public à géométrie variable selon ses moyens. Aux accompagnements en commun se substitue une articulation organisationnelle d’addition d’actes techniques immédiats qui reposent sur la prescription de médicaments purement symptomatiques et l’hospitalisation. Sa gestion économiste programmée de toutes les souffrances psychiques individuelles participe de contraintes sécuritaires pour tout trouble de l’ordre public et privé et rejoint une généralisation sécuritaire de contrôle social dans la société.

 Cette politique de santé mentale dite « positive » a montré ses effets négatifs dans la pandémie. En effet, un confinement sans protection programmée de gestions des stocks (les masques, les tests) a laissé dans son premier temps nombre de patients en rupture de soins, mais aussi sans approche de ses effets psychiques dans la population. L’hospitalisation psychiatrique comme les EHPADs sont restés non seulement sans protections mais aussi répression contre des lanceurs d’alerte qui dénoncent la confusion isolement psychiatrique-confinement Covid, comme à Moisselles et Cachan. La découverte de vaccins ne s’y est appliquée que secondairement et en l’absence d’une réelle élaboration face à sa nécessité souvent difficile à saisir pour nombre de patients. Dans cette gestion erratique de la pandémie du SRAS-Cov-2, issue de l’absence de protections liée à leurs destructions comptables antérieures et à l’abandon d’une réelle politique de santé publique et de recherche publique, il n’est donc pas étonnant que le ministre de la santé O.Véran instrumentalise et réduise l’alerte à une vague de santé mentale épidémiologique, avec ses statistique informatisée et ses plateformes. Il indique à quel point l’absence de soins psychiques issus de la précarisation générale de politiques d’austérité se prolonge dans la pandémie.

La négation par sa réduction statistique du soin psychique d’un trauma collectif et individuel, ne rend compte ni de la souffrance psychique de perte du lien social par le repli sur soi, mais aussi le mépris des quartiers populaires qui sont ceux des « premiers de cordée. En réalité, la déscolarisation des enfants, le télétravail, la mise en crise de l’univers familial, le téléenseignement à au lycée et à l’université ne sont pas abordés, tant dans le manque de moyens de protection au départ que dans ses vécus de déprimes et de dépressions avec nombre de suicides. De même, les migrants sur les camps et les lieux d’hébergement très transitoires selon le statut de réfugié sont laissés à l’abandon et contaminés du covid.

 A l’opposé le traitement de la souffrance psychique repose sur les besoins humains relationnel et citoyens de l’exil chez soi face à la mort possible à sa porte. Il nécessite également un réel travail de conviction collective à se vacciner quand les vaccins sont découverts  comme protection et obligation vaccinale. Son absence par une imposition présidentielle sans pratique démocratique, puis dans l’accès parcours du combattant pour être vacciné, ont mis à mal la santé psychique de la population. Cet autoritarisme n’a servi qu’à la soumission aux intérêts privés de l’industrie pharmaceutique et à ses plateformes de distribution, en repoussant la revendication de levée des brevets et la réquisition des entreprises pour produire les vaccins.

Emanciper la psychiatrie commence donc avec la résistance à cette politique de transformation capitaliste de tout intérêt général commun. Elle est une émancipation politique de la société, dont la perspective pose la question de quel secteur public de psychiatrie voulons-nous et de quelles pratiques cliniques ?

Aux Assises de la psychiatrie gouvernementales qui suivent un rapport au Sénat qui pose la question « est-ce que l’hôpital psychiatrique est encore un lieu de soin ? » la réponse est de fermer la porte en septembre 2021 dans sa continuité de bonne organisation efficace de restructuration des coûts économiques. Le Printemps de la psychiatrie vient de montrer avec ses Contre-assises citoyennes en mars 2022 la réussite d’une première alternative de rassemblement de professionnels, en particulier par le refus d’une pédopsychiatrie reformatée en traitement du seul neurocomportemental. Il demeure cependant des alternatives de société à penser quand la mise à mal des services publics réactualise le retour généralisé à la contention comme pratique de non-soin. L’article 84 de la loi PLFSS pour 2022 en a montré son arrière-plan juridique d’encadrement des pratiques de contention et de  sa dimension sécuritaire. L’assassinat de Sarah Halimi a mis en cause la non jugeabilité de son assassin, un populisme pénal qui refuse au fou l’ « irresponsabillité pénale ». La suite doit donc s’ouvrir à un débat de société qui s’oppose à la montée d’un national populisme d’exclusion de catégories entières de la population, en particulier des immigrants. La participation aux manifestations globales sur la santé s’ouvre à un retour des acquis d’expérience d’un réel secteur public de psychiatrie dans la rencontre avec un réseau de centres de santé publics de la médecine. Son thème central à mettre en œuvre est la « valeur humaine » du soin promue par François Tosquelles.

Les propositions concrètes à élaborer à partir des revendications de recrutement de 100 000 soignants qualifiés, d’une revalorisation de 400 euros des métiers du soin, d’un nombre de lits liés aux besoins d’un réel service public, sont communes à la psychiatrie et l’ensemble de la médecine, en particulier des urgences. En psychiatrie elles reposent sur :

Instituer le soin par l’institutionnel de la relation soignants-patients pour rendre l’hôpital soignant, en rupture avec le soin par isolement-enfermement. Ce projet a été et reste celui de la psychothérapie institutionnelle et de ses pratiques alternatives avec les clubs thérapeutiques dans l’hôpital.

 La politique de secteur de service public psychiatrique, promue « désaliéniste » par Lucien Bonnafé pour sortir de l’isolement-enfermement de la Loi du 30 juin 1838, reste fondamentalement l’actualité d’une implantation préalable du soin sur des territoires citoyens démocratique. Le secteur de la pédopsychiatrie traite de soin-éducation, de développement de l’enfant et droits de l’enfant qui s’élabore en lien avec la parentalité, l’école et l’action culturelle. En psychiatrie adulte, ce sont les acquis à actualiser de l’Accueil et l’accès inconditionnel aux soins des CMP, hôpitaux de jours, centres d’accueil et de crise 24h sur 24, avec ses pratiques psychothérapiques du sujet en souffrance psychique. Ils supposent l’aller vers à domicile ou dans l’espace public, en liens avec les urgences hospitalières et la médecine de ville. Son urgence objective est le sentiment d’urgence humaine et l’hospitalisation n’est qu’un temps du soin.

L’affirmation de l’humanité de la folie s’oppose à la supposée « dangerosité » du malade psychique dont la contrainte-contention physique n’est qu’un contrôle social et non un soin (en 2018 plus de 1000 personnes en plus mises en placement sous contrainte). La Loi sécuritaire du 5 juillet 2011 de Sarkozy qui a généralisé la contrainte à tout trouble psychique est à abroger et nécessite de mettre fin aux services fermés. Les droits humains des patients doivent être reconnus par leur inscription dans la Code civil.

La clinique relationnelle, carrefour de sciences objectives et humaines traite de sujets en souffrance dont l’objet du soin est sa subjectivité personnelle, son imaginaire, à partir de son expression corporelle et émotionnelle.  La place du patient à défendre dans ses droits ou à conquérir dans toute relation soignante, avec ses « besoins pratiques » dans le soin et dans le consentement à quels soins dans quel lieu et avec quel soignant. Cela suppose le refus de la diffusion de données informatiques qui met à mal le secret médical comme protection de l’intimité des patients et des patientes.

L’extension du thérapeutique patient-soignant s’accompagne de ses clubs de patients en ville et dans son logement à habiter dans la socialisation d’autonomie. Les GEMs en sont une alternative, ainsi que les intervenants d’accès à l’éducation et au travail.

Le métier et l’éthique soignante suppose une formation à tous les Savoirs psychiatriques qui traitent des connaissances spécifiques phénoménologiques et psychanalytiques du sujet humain, avec ses connaissances sociologiques et anthropologiques du normal et du pathologique. L’accueil inconditionnel par l’écoute s’étend à celui des migrants avec ses interprètes. Cet apprentissage doit former à ne pas « pathologiser » toute souffrance psychique commune, en particulier celle du trauma, pour ne pas transformer une normalité en maladie et généralise le médicament comme normalité.

 L’élaboration démocratique de tout dispositif de soin suppose la remise en débat de la proposition du Rapport Demay de 1982 d’établissements de santé mentale locaux, avec les élus, les associations de patients et des familles, les intervenants scolaires et de la petite enfance, ainsi que de l’action culturelle. L’émancipation de la psychiatrie est un réel service public d’intérêt général avec les moyens financiers adéquats et la réappropriation de sa valeur humaine pour l’ensemble de la société.

Jean-Pierre Martin, avril 2022, intervention à Vierzon

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.